Critique : Natural City, un sous-Blade Runner coréen

Ce film de science-fiction avec Yoo Ji-Tae en met plein la vue avec ses effets spéciaux, mais pas avec son scénario.

ARCHIVE – Avec l’excellent Phantom the Submarine, film de sous-marin réalisé quelques années plus tôt, Min Byung-Chun avait prouvé qu’il pouvait raconter une histoire forte et créer une atmosphère puissante avec des moyens extrêmement réduits. Pour Natural City, le réalisateur dispose cette fois d’un budget amplement supérieur. Outre la possibilité de soigner l’identité graphique de son œuvre à l’aide des technologies numériques, ce budget lui permet d’élargir le champ de sa caméra et de filmer en grand angle ses décors. Mais le scénario est-il à la hauteur du déploiement de moyen? Pas sûr.

Synopsis : En 2080, le monde a été partiellement reconstruit suite à une guerre qui a détruit une bonne partie de la planète. Désormais, les êtres humains doivent cohabiter avec les cyborgs, être artificiels faits à leur image. Membre d’un commando dont la mission est de supprimer les cyborgs défectueux, R est en réalité amoureux de Ria, une cyborg qui arrive bientôt à expiration. Cherchant à tout prix un moyen de prolonger l’existence de Ria, R fait appel à un scientifique suspect qui prétend en avoir le pouvoir. Parallèlement, le commando auquel R appartient se lance à la poursuite de Cyper, un dangereux cyborg rebelle…

Du point de vue formel, l’objectif est atteint : les effets spéciaux sont de toute beauté et s’intègrent parfaitement dans l’univers urbain et futuriste de Natural City. Ajoutons que Min Byung-Chun possède un sens indéniable du cadrage et sait mettre en valeur les mouvements ou simplement les visages de ses acteurs (en particulier Yu Ji-Tae et Rin Seo). Le fond ne soutient en revanche pas la comparaison avec Phantom the Submarine et manque cruellement d’émotion.

L’univers de Natural City exploite pourtant des thématiques typiquement coréennes : le monde décrit est doublement coupé en deux, non seulement entre humains et cyborgs, mais aussi entre les habitants de la grande métropole et les pauvres du ghetto. Trois histoires s’entremêlent : la romance entre R (Yu Ji-Tae) et Ria (Rin Seo), une sombre affaire de trafic de cyborgs et les mésaventures de la jeune Cyon (Lee Jae-Un), une « non-citoyenne » issue du ghetto de la périphérie.

« Natural City » n’est pas le nom de la métropole mais désigne le jardin que Cyon cultive au sommet d’un immeuble. Peut-être est-ce le coin de paradis que nous cherchons tous dans un monde devenu trop artificiel et dans lequel l’humain se sent de plus en plus exclus. Dans sa première partie, le scénario de Natural City diffuse quelques belles idées, mais celles-ci s’avèrent malheureusement sous-exploitées par la suite.

La faiblesse majeure de Natural City réside dans le manque de développement des personnages. Difficile de s’attacher à R, tant il se révèle égoïste et antipathique, si ce n’est inhumain. L’amour de Ria révèle une pureté d’âme qui aurait pu être touchante, si seulement la belle cyborg avait bénéficié d’un minimum d’écriture, au lieu de se résumer à une image figée de la femme innocente.

En réalité, on sait peu de choses sur les personnages. L’absence presque totale d’informations sur leur passé aurait pu leur conférer un certain mystère mais ne réussit qu’à les figer dans leurs états d’âme respectifs. Certes, Noma et Cyon évoluent au fil de l’histoire, mais l’absence de point de vue atténue l’impact émotionnel de leurs mésaventures. A vouloir utiliser ses personnages pour symboliser des concepts, Min Byung-Chun en a oublié l’essentiel : l’humanité. Il s’agit pourtant du thème central du film…

Autre point de déception, les meilleures idées de Natural City sont ostensiblement pompées sur Blade Runner (Ridley Scott) pour le fond et sur Matrix (les Wachowski) pour la forme. L’influence de Matrix n’a pas seulement des bons côtés, puisque les chorégraphies des scènes d’action de Natural City sont plombées par l’utilisation exaspérante de l’’effet bullet-time.

Signalons tout de même quelques moments sympathiques à la fin du film comme l’attaque de Noma par des cyborgs sans visage ou encore un dernier affrontement entre R et Cyper (Jeong Du-Hong), une séquence baignée dans une atmosphère étrangement captivante, davantage dans l’esprit de la folie ambiante de Phantom the Submarine.

La science-fiction est encore en développement en Corée du Sud et il n’est pas étonnant que Natural City présente finalement les mêmes défauts que le Yesterday de Jeon Yun-Su ou le Wonderful Days de Kim Moon-Saeng, à savoir un univers intéressant mais une histoire inconsistante. Les prétentions de Min Byung-Chun n’étaient cependant pas de révolutionner le genre et le réalisateur rend explicitement hommage à ses principales sources d’inspirations à travers son œuvre. Lorsque le cinéma coréen aura pris l’habitude des effets spéciaux, peut-être pourront-ils revenir à l’essentiel, même dans le genre de la SF : raconter une histoire.

Elodie Leroy

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