Le film coréen The Unjust

Critique : The Unjust, de Ryu Seung Wan

Dense, très bien joué et brillamment réalisé, The Unjust porte de manière indéniable la patte artistique de Ryu Seung Wan tout en apportant un souffle nouveau à une filmographie déjà très solide.

The Unjust, sorti sur les écrans coréens en octobre 2010, mettait un terme à la longue absence du prolifique réalisateur de City of Violence. La raison de cette éclipse ? L’échec commercial cuisant de Crazy Lee, son film précédent, dont l’humour très référentiel avait laissé parfaitement froid le public local en 2007. The Unjust aura donc eu le mérite de redorer le blason de Ryu Seung Wan qui ne méritait pas de se voir évincé aussi injustement du cercle fermé des réalisateurs coréens qui comptent. Le succès public récent de son dernier long métrage, The Berlin File (plus de 48 m$ de recettes fin avril 2013 – chiffres boxofficemojo), vient confirmer s’il en était besoin la place de choix qu’il continue d’occuper dans l’industrie.

The Unjust révèle la volonté de Ryu Seung Wan, cinéaste très éclectique, d’élargir son registre au-delà du cinéma de genre qui a fait sa notoriété. Peut-être tout simplement parce que pour la première fois, il n’est pas le scénariste de son film – le rôle échoit à Park Hoon Jung, jeune scénariste prometteur.

L’intrigue de The Unjust se déroule en 2010, alors que la population de Séoul est terrorisée par les agissements d’un tueur en série qui s’en prend à des petites filles. Tandis que l’affaire est de plus en plus médiatisée, la police tue par erreur le seul suspect qui se présente à elle. Cédant à la pression, le chef de la police décide de coincer à tout prix n’importe quel autre suspect plausible. Pour exécuter cette basse tâche, il fait appel à Choi Cheol Gi, un capitaine aux bons états de services mais dont la carrière stagne depuis des années. Celui-ci engage le mafieux Jang pour dénicher le coupable idéal. C’est compter sans l’intervention d’un procureur véreux du nom de Joo Yang qui, désireux de coincer le serial killer pour sa gloire personnelle, ne tarde pas à creuser dans le passé trouble de Choi…

Lire aussi | Le réalisateur Ryu Seung Wan parle du cinéma d’action coréen

Attention, distraits s’abstenir. The Unjust ne requiert pas le même niveau de concentration fébrile que La Taupe de Tomas Alfredson, mais il n’est pas question pour qui souhaite en apprécier toute la saveur de relâcher son attention durant la première demi-heure. Connaître les visages des acteurs principaux comme secondaires donne un avantage certain. Les scènes s’enchaînent rapidement et la caméra extrêmement précise de Ryu Seung Wan ne laisse rien au hasard. Aussi peu recommandables l’un que l’autre, Hwang Jun Min et Ryu Seung Beom sont les protagonistes principaux d’un récit désenchanté dans lequel la corruption fait figure de véritable art de vivre. Flics, procureurs, journalistes, politiques, tous participent chacun à leur niveau à une vaste mascarade qui ne trompe que l’honnête citoyen.

The Unjust n’est pas un film moralisateur, loin de là, mais n’en dépeint pas moins avec une ironie acerbe une réalité à peine exagérée. Au milieu de cette atmosphère de chaos perpétuel où les explosions de brutalité masculine ont la part belle, les plus faibles doivent accepter de se faire rabaisser quotidiennement sans mot dire tandis que les décideurs se goinfrent sur leur dos. Le commissariat dans lequel exerce le flic ripoux incarné par Hwang Jung Min en est l’exemple parfait : pendant qu’il fomente l’arrestation bidon qui lui rapportera ensuite tous les honneurs de la nation, ses subordonnés font leur boulot avec une intégrité et une loyauté qui ne leur vaudront jamais aucune reconnaissance et encore moins de promotion.

Ce qui intéresse Ryu Seung Wan, ce sont les relations de dépendance qu’entretiennent ces individus peu civilisés dans l’âme. Le flic fraye avec le gangster, le gangster menace le procureur, qui lui-même accepte les pots-de-vin du chef d’entreprise tout en achetant le journaliste. La mise en scène incisive et dynamique de Ryu illustre avec efficacité les rouages naturels de cette jungle où chacun n’est qu’une proie pour l’autre. Un plan en cache ainsi un autre lorsque la caméra s’éloigne de ceux que l’on croyait être les protagonistes principaux d’une scène pour suivre en fin de compte la tierce personne qui est en train de les épier dans l’ombre depuis le début.

The Unjust joue ainsi continuellement sur l’alternance des points de vue en se focalisant uniquement sur les plus cyniques. Les personnages ne sont pas sympathiques mais ils nous donnent irrésistiblement envie de les suivre. Les acteurs n’y sont pas pour rien, qu’il s’agisse de Hwang Jung Min, particulièrement inquiétant dans la peau de ce capitaine de police faussement modeste, ou de Ryu Seung Beom, survolté et très drôle, mais aussi du toujours imprévisible Yu Hae Jin (Moss) en gangster aussi mauvais que minable. On se réjouit aussi de retrouver au passage les vétérans Cheon Ho Jin (Bridal Mask) en chef de la police et Lee Sung Min (Brain) en procureur général.

Avec The Unjust, Ryu Seung Wan se montre à la hauteur de ses ambitions et livre un film aussi percutant que divertissant qui marque une étape décisive dans sa carrière, ne serait-ce que par la maturité affichée de la réalisation et de la direction d’acteurs. Un retour en grâce qui fait chaud au cœur.

Caroline Leroy

Lire aussi | Critique : The Thieves, film de casse énergique avec Jun Ji Hyun et Lee Jung Jae

Vous aimerez aussi