Lee Seung Gi, Lee Min Ho, Han Hyo Joo

Cinéma coréen : la nouvelle génération d’acteurs vient des dramas !

La jeune génération des acteurs de dramas coréens est en train de conquérir le grand écran. Décryptage d’une tendance durable.

Park Yoochun dans Haemoo, Kim Soo Hyun dans Secretly Greatly, Park Shin Hye dans Miracle in Cell No.7, Lee Min Ho dans Gangnam Blues ou encore le couple Lee Seung Gi et Moon Chae Won dans Love Forecast… Ces nouvelles stars du cinéma coréen ont un point commun : ils ont tous construit leur réputation et affûté leur jeu à la télévision. Pourquoi est-il aussi important de le souligner ? Parce que leurs visées vers la A-list du septième art pourrait bien amorcer une mutation dans le paysage cinématographique sud-coréen. Et c’est une bonne nouvelle ! On vous explique pourquoi dans notre analyse du phénomène.

Love Forecast, le succès atypique

Il n’aura fallu que six jours d’exploitation à Love Forecast, le nouveau film de Park Jin Pyo (Voice of a Murderer) sorti le 14 janvier 2015, pour attirer 1 million de spectateurs, dont 133,746 dès le premier jour. Un record pour une comédie romantique, dans un pays où les sorties en grandes pompes sont traditionnellement réservées aux fresques historiques ou aux films d’action 100% testostéronés.

Lee Seung Gi et Moon Chae Won dans Love Forecast

A l’arrivée, Love Forecast n’a peut-être pas atteint les 10 millions d’entrées, mais qu’importe, la démonstration est faite : avec 1,9 millions de spectateurs à ce jour, le film démontre que le genre de la comédie romantique peut lui aussi être bankable. La suite de la carrière coréenne du film se déroulera en VOD, format dans lequel CJ Entertainment rend à présent ses films disponibles quelques semaines après leur sortie.

Comment expliquer ce succès atypique ? Certes, les stars de Love Forecast ont donné beaucoup de leur personne pour la promotion, mais encore fallait-il que ces acteurs attirent les foules dans les salles obscures ! Et ce n’était pas gagné, quand on sait à quel point le cinéma coréen est dépendant de son star system et que les plus gros succès du cinéma coréen de ces dernières années reposent souvent sur les mêmes têtes d’affiche, parmi lesquelles Song Kang Ho (The Host, The Face Reader, The Attorney), Choi Min Sik (Old Boy, Roaring Currents), Kim Yun Seok (The Chaser, The Thieves) ou encore Ha Jung Woo (The Chaser, The Terror Live). Point de Song Kang Ho ni de Choi Min Sik dans Love Forecast, qui sort le même jour que Chronicle of a Blood Merchant de et avec Ha Jung Woo et démarre nettement plus fort.

Park Yoochun est à l’affiche de Haemoo

Love Forecast met en vedette Lee Seung Gi, dont c’est le tout premier long métrage, et Moon Chae Won, dont c’est le troisième. Mais ces acteurs sont-ils vraiment inconnus au bataillon ? Pour les amateurs de cinéma asiatique qui persistent à faire l’impasse sur la télévision, peut-être bien. Les aficionados de séries TV coréennes sauront quant à eux décrypter le phénomène : depuis les dramas Shining Inheritance en 2009 et My Girlfriend is a Gumiho en 2010, Lee Seung Gi est très en vue sur le petit écran, un succès confirmé en 2013 par le merveilleux drama de fantasy Gu Family Book, qui a remporté un joli succès à la télévision et s’est fort bien vendu à l’international. Quant à Moon Chae Won, elle tient un second rôle au cinéma dans War of the Arrows (Kim Han Min) en 2011, mais c’est surtout le succès des dramas The Painter in the Wind, The Princess’ Man ou encore Good Doctor qui en font une vedette dans son pays.

Les stars de la télé d’aujourd’hui sont-elles les stars de cinéma de demain ? Une semaine après Lee Seung Gi et Moon Chae Won, c’est au tour de l’acteur Lee Min Ho de faire son coup d’éclat avec Gangnam Blues (Yu Ha), qui enregistre 150.000 entrées dès le premier jour et dépasse aujourd’hui les 2 millions de spectateurs. Le même Lee Min Ho n’a fait que deux longs métrages en 2008 auparavant, dont Public Enemy Returns (Kang Woo Suk), dans lequel il tenait un rôle mineur. Le voilà lui aussi star de premier plan sur le grand écran.

Lee Min Ho dans Gangnam Blues
Superstar de drama, Lee Min Ho est à l’affiche du film Gangnam Blues en 2015

La relève de la génération Song Kang Ho est arrivée

Si l’on consulte la liste des plus gros succès du cinéma coréen, on constate que les films cités datant de 2012 à 2014 comportent presque tous, au sein de leur casting, une vedette de dramas : Kim Soo Hyun dans Secretly Greatly (Jang Cheol Soo), Park Shin Hye dans Miracle on Cell No.7 (Lee Hwan Kyung), Hyun Bin et Han Ji Min dans The Fatal Encounter (Lee Jae Kyu), Song Joong Ki dans A Werewolf Boy (Jo Sung Hee)…

Ces succès nous enseignent une chose : les milieux de la télévision et du cinéma sont de plus en plus poreux. En outre, le passage de l’un à l’autre se fait dans les deux sens, ce qui était loin d’être évident auparavant. Il y a encore quelques années, les acteurs de cinéma n’hésitaient pas à utiliser la télévision pour consolider leur succès (Lee Byung Hun dans All In et Iris) ou conquérir un plus large public (Shin Ha Gyun dans Brain) mais les acteurs télé avaient plus de mal à obtenir au cinéma des rôles du même standing que sur le petit écran, à l’exception de ceux et celles ayant opté dès le départ pour une carrière mixte (Cha Tae Hyun, Kim Nam Gil, Ha Ji Won…).

Souvent vu chez Park Chan Wook, Shin Ha Gyun est la star du drama médical Brain (KBS, 2011)

La donne est en train de changer. Fini le temps où Lee Min Ho, superstar en Asie depuis le drama Boys Over Flowers, se tenait à carreau au sein du casting de Public Enemy Returns. Mieux, les acteurs télés obtiennent aujourd’hui non seulement de vrais rôles, mais aussi une reconnaissance de la part de la critique. En témoignent les récompenses qui pleuvent sur Park Yoochun (Rooftop Prince) depuis sa prestation dans Haemoo (de Shim Sung Bo, produit par Bong Joon Ho), où il se livre à un face-à-face intense avec l’immense Kim Yun Seok.

Ce dernier partageait aussi récemment l’affiche avec le jeune Yeo Jin Goo (The Moon Embracing the Sun) dans Hwayi: A Monster Boy, dans les bacs français depuis octobre 2014 et qui a fait 2,4 millions d’entrées en Corée. Bientôt, ces talents n’auront plus besoin de la présence tutélaire d’une grande figure du grand écran pour attirer les foules : tout comme Kim Soo Hyun est la tête d’affiche de Secretly Greatly, Lee Seung Gi et Moon Chae Won se suffisent à eux-mêmes dans Love Forecast, à l’instar de Lee Min Ho dans Gangnam Blues.

La relève de la génération Song Kang Ho, cette brochette d’excellents acteurs qui a émergé avec les réalisateurs de la nouvelle vague des années 2000, est assurée.

Suzy Bae et Lee Seung Gi dans le drama Gu Family Book (MBC, 2013)

L’assurance d’un rayonnement international

Les puristes du cinéma verront à tort, dans cette invasion d’acteurs télés, un signe de déclin artistique. Ce préjugé revient à raisonner à l’envers : ce n’est pas le cinéma qui se met au niveau de la télé mais les dramas qui prétendent de plus en plus se hisser au niveau du cinéma, tant sur le plan technique qu’artistique. Nous sommes en train d’assister à un âge d’or des dramas coréens.

L’arrivée massive au cinéma de ces stars de la télé, que l’on remarque surtout depuis 2012, fait suite à une période charnière pour les dramas, marquée par une montée des budgets sur les séries les plus luxueuses et par une diversification des genres. Sur le plan visuel, cela se traduit par des ambitions de plus en plus élevées : emploi de caméras dernier cri, reconstitutions historiques chiadées, scènes d’action énergiques… Des productions de luxe comme Bridal Mask ou Gunman in Joseon n’ont rien à envier aux blockbusters.

De leur côté, les scénaristes varient les univers et lancent des concepts innovants : longtemps connue pour ses mélodrames romantiques, la télé coréenne s’affranchit peu à peu de ses schémas traditionnels pour explorer d’autres styles, ce qui se traduit notamment par la montée en puissance des dramas de genre (thriller, fantastique, héros masqués…). En témoigne la vague de dramas sur le thème du voyage dans le temps qui a vu le jour en 2012 (Rooftop Prince, Queen In Hyun’s Man, Dr Jin) et se poursuit en 2013 (Nine: 9 Times Time Travel) et en 2014 (God’s Gift – 14 Days) avec à chaque fois une interprétation différente du thème de départ.
Que l’on se rassure, la fibre romantique demeure intacte ! Après tout, c’est elle qui fait tout le charme des dramas coréens.

Joo Won dans le drama Bridal Mask (KBS2, 2012)

Le propre des dramas est aussi de forger des stars d’envergure internationale : les spectateurs asiatiques sont bien plus familiers des acteurs de dramas que des acteurs uniquement visibles au cinéma. Ces stars de dramas représentent ainsi, pour les studios de cinéma, un nouvel eldorado puisqu’ils ouvrent de nouvelles opportunités d’exportation. Les scores spectaculaires des séries coréennes sur la plateforme QQ video, équivalent chinois de Netflix, parlent d’eux-mêmes : rien que le drama d’action You’re All Surrounded, avec Lee Seung Gi, Cha Seung Won et Go Ara, enregistre plus de 500 millions de vues au compteur !

Ainsi, le film Gangnam Blues est déjà prévu pour sortir aux États-Unis et au Canada. Pas étonnant quand on sait que sa star, Lee Min Ho, est l’un des acteurs les plus suivis au monde sur les réseaux sociaux : Facebook le place depuis quelques années dans son top 20, au sein d’une liste dominée par les plus grandes figures hollywoodiennes. Lee Min Ho est même plus suivi que le chanteur PSY ! Ajoutons que la créativité des séries coréennes commence à faire des envieux : la bataille des achats de droits d’adaptation a déjà commencé à Hollywood et plusieurs remakes sont programmés pour les années à venir, parmi lesquels ceux de Nine: 9 Times Time Travel, Good Doctor, God’s Gift – 14 Days ou encore You Who Came From The Stars

Et les actrices, dans tout ça ?

Face à cette entrée en force des stars de dramas dans le monde du cinéma, la grande question qui nous taraude est la suivante : les actrices trouveront-elles enfin de vrais rôles dans des films populaires ? Comme le soulignait très bien Hancinema.net le mois dernier dans l’article « Actresses have nowhere to stand » (« Les actrices n’ont leur place nulle part »), non seulement les films à gros budget sont dominés par un casting presque exclusivement masculin, mais le cinéma coréen, de manière générale, offre peu de diversité de rôles aux actrices.

Ce constat agace Moon So Ri (Une Femme Coréenne) : « Pour les hommes, il y a mille façons différentes d’être un gangster, mais pour les femmes, on a juste le choix entre la call girl ou la mère ». De son côté, Kim Yoon Jin, qui a percé grâce au film d’action Shiri (Kang Je Gyu, 1999) mais doit son regain de popularité à la série américaine Lost, appelle ses collègues féminines à réagir : « Il faut se réveiller, nous les femmes, et il faut que les agences envisagent davantage de diversité de points de vue ».

Lee Bo Young dans le drama God’s Gift – 14 Days (SBS, 2014)

Justement, on trouve à la télévision une plus grande variété de rôles féminins en termes d’âge, de caractère ou d’occupation, ce qui pousse d’ailleurs la plupart des actrices de plus de trente ans à se tourner vers la télé, seul moyen pour elles de continuer à s’épanouir dans leur métier. Il faut dire qu’il y a encore une dizaine d’années, les dramas ciblaient avant tout le public féminin, et si les dramas de genre cherchent manifestement à conquérir une audience mixte, voire franchement masculine (les dramas des chaînes tvN et OCN sont davantage tournés vers les hommes), le point de vue féminin est toujours pris en compte dans l’écriture.

Comme par hasard, la proportion de femmes parmi les scénaristes les plus estimés est exceptionnellement élevée par rapport au reste du monde, ce qui n’est pas anodin quand on sait que les scénaristes de dramas sont les mieux payés avec les acteurs au sein des équipes. De Choi Ran (Iljimae, God’s Gift – 14 Days) à Kim Eun Hee (Ghost, Three Days) en passant par les sœurs Hong (You’re Beautiful), ces stars de la plume écrivent aussi bien des romances que des thrillers ultra sophistiqués.

Ha Ji Won dans le drama The King 2 Hearts (MBC, 2012)

Reste à savoir si l’influence des dramas s’étendra jusque là et si les films coréens sortiront de leur univers étriqué, notamment le cinéma de genre où les femmes sont régulièrement battues, violées ou tout juste bonnes à être sauvées par le héros (voir notre coup de gueule dans la critique de Hwayi: A Monster Boy).

Jusqu’à présent, on ne peut s’empêcher de constater une chose : parmi les stars de dramas évoluant vers le grand écran, les hommes sont majoritaires et le rang de premier rôle leur est davantage acquis qu’à leur collègues féminines. Mais ce constat n’est pas une fatalité puisque certaines actrices font une belle percée. Moon Chae Won donne l’exemple avec Love Forecast et si des talents comme Park Shin Hye (Miracle in Cell No.7, The Royal Tailor), Han Hyo Joo (Masquerade, Cold Eyes) et Han Ji Min (The Fatal Encounter) obtiennent actuellement des seconds rôles au cinéma, elles conservent un fort potentiel de tête d’affiche.

On espère voir prochainement des talents confirmés et charismatiques comme l’excellente Lee Bo Young (God’s Gift – 14 Days, I Hear Your Voice) et l’inénarrable Gong Hyo Jin (The Master’s Sun), trouver des rôles à leur mesure au cinéma.

Enfin, on observe comme par hasard, depuis l’arrivée en force des stars de dramas au cinéma, une nouvelle mode autour des films mettant des femmes au premier plan. Et certains de ces films font de véritables cartons au box-office ! Shim Eun Kyung a ainsi séduit 7,4 millions de spectateurs avec Sunny (Kang Hyung Cheol) et 8,65 millions avec Miss Granny (Hwang Dong Hyuk). Quant à Son Ye Jin, elle était récemment tête d’affiche de Pirates (Lee Seok Hoon) qui a enregistré le score de 8,66 millions d’entrées. Les choses vont donc dans le bon sens.

Son Ye Jin dans Pirates

Vers une plus grande diversité de genres ?

Le plus profitable, pour les acteurs comme les actrices, serait que l’influence des dramas entraîne une diversification des genres cinématographiques pour les films à gros budget. Cette influence existe déjà. On en voit les effets avec le retour en force des chroniques historico-politiques en costumes : Masquerade (Choo Chang Min), The Face Reader (Han Jae Rim) ou encore The Royal Tailor (Lee Won Suk), des films qui n’auraient peut-être pas vu le jour si le genre du sageuk n’était pas aussi populaire à la télévision (The Moon Embracing the Sun, Empress Ki, Gunman in Joseon…). Espérons que l’élan se traduira également par l’émergence d’un cinéma plus jeune et destiné à tou(te)s.

En tout cas, avec le succès de Love Forecast, Lee Seung Gi prouve une chose importante : il n’est pas nécessaire, pour conquérir sa place sur le grand écran, de rompre avec son image chaleureuse pour remporter l’adhésion. Sur ce plan, il prend plus de risques que son collègue Lee Min Ho, qui cherche clairement à prendre le contrepied de son image romantique en tournant dans un film de mecs avec Gangnam Blues, une démarche louable pour un acteur qui souhaite élargir son registre (dans son cas, il était temps !), mais qui pourrait se retourner contre lui à long terme.

Une chose est sûre : aujourd’hui, pour comprendre le cinéma coréen, il faut se tenir au jus de ce qui se produit dans le monde très dynamique des séries télévisées. En d’autres termes, si vous ne savez pas ce qu’est un sageuk drama ni un revenge drama, si les initiales KBS, MBC et SBS ne vous disent rien et si vous ne savez pas en quoi la ligne éditoriale de tvN et OCN se distingue de celles des chaînes nationales, il est temps de faire un rattrapage car vous serez bientôt largués !

Elodie Leroy

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