The Producers (KBS)

The Producers Ep. 1-6 : la télé coréenne fait sa thérapie

Les variety shows coréens sont tellement populaires qu’une série leur est consacrée. Notre avis sur les premiers épisodes de The Producers, avec Cha Tae Hyun et Kong Hyo Jin.

Depuis le 15 mai dernier, un drama coréen fait beaucoup parler de lui. Diffusé sur KBS2, The Producers nous immerge dans les coulisses d’une télé-réalité coréenne à travers le point de vue de ses producteurs. Avant sa diffusion, le drama était présenté en avril 2015 au MIPTV à Cannes : Cha Tae Hyun, Kong Hyo Jin, Kim Soo Hyun et IU trônaient en énorme à l’entrée de la salle Debussy du Palais des Festivals !

Le thème du drama est pertinent puisque la télé sud-coréenne a connu ces dix dernières années un développement spectaculaire, au point qu’on peut la considérer comme l’un des principaux pôles créatifs du moment dans le monde. D’ailleurs, non seulement les variety shows coréens s’exportent dans une dizaine de pays asiatiques, mais plusieurs programmes ont gagné une fan base en Occident grâce à la magie d’Internet : je vous ai déjà maintes fois parlé de Running Man, qui est à l’origine d’un phénomène mondial, mais on pourrait également citer 1 Night 2 Days, excellente télé-réalité qui n’a rien à voir avec les programmes poubelles qui envahissent nos écrans.

Le drama coréen The Producers

Justement, il est beaucoup question de 1 Night 2 Days dans The Producers : le drama se propose d’en dévoiler le processus de fabrication sans tabou, quitte à casser un peu la magie de ces émissions, pour dresser un tableau satirique du monde superficiel de la télévision.

Comment sont produites ces émissions ? Quelle est la marge de manœuvre des créatifs face aux pontes de la chaîne? Les stars qui se retrouvent dans une télé-réalité de ce genre, et qui sont parfois loin d’être des has been comme c’est le cas chez nous, sont-elles fidèles à elles-mêmes ou jouent-elles un rôle écrit à l’avance ? Enfin, quels sont les véritables liens entre les industries du cinéma, de la télévision et de la musique en Corée du Sud ? Tous ces aspects sont abordés dans The Producers. Et quand la télé coréenne fait sa thérapie, elle nous réserve de bons moments de rigolade !

L’histoire

Au cœur de Yeouido, à Séoul, les employés de la chaîne Korean Broadcasting System (KBS) travaillent jour et nuit pour livrer des programmes renommés tels que 1 Night 2 Days, Music Bank, The Return of Superman ou encore Entertainment Weekly. Dans ces bureaux d’apparence banale, des personnes très intelligentes et très diplômées sont traitées comme des imbéciles dès lors que leur programme enregistre une baisse d’audience, et ce, même s’ils ont passé des nuits blanches à le filmer, le monter ou à assister à des réunions interminables.

Fraîchement sorti de l’école, Baek Seung Chan (Kim Soo Hyun) vient d’être recruté et se retrouve affecté à l’émission 1 Night 2 Days, dont les derniers ratings sont catastrophiques et dont le casting doit intégralement être revu. En tant que jeune recrue et qui plus est de nature timorée et maladroite, il devient vite le larbin de l’équipe et doit supporter les sautes d’humeur du producteur Ra Joon Mo (Cha Tae Hyun). Baek Seung Chan fait aussi la connaissance de Tak Ye Jin (Kong Hyo Jin), la productrice lunatique de Music Bank, et de Cindy (IU), une star de K-Pop arrogante qui n’hésite pas à exposer la chaîne à des ennuis avec ses tenues provocantes.

Justement, Baek Seung Chan est chargé de convaincre Cindy de rejoindre le casting de la nouvelle mouture de 1 Night 2 Days. Après avoir mis en avant des actrices vétérantes âgées de 60 à 80 ans, l’émission change intégralement de concept et doit composer avec des idoles de K-Pop complètement futiles…

Quand la télé fait son autocritique

Pour une série diffusée dans un pays où critiquer les personnes influentes est encore délicat, The Producers fait preuve d’une certaine impertinence. Sous des dehors de comédie mâtinée de romance, le drama dresse un tableau satirique d’un milieu où l’argent est roi, où les luttes de pouvoir sont permanentes et où chacun ne pense qu’à sa pomme.

Ce milieu, c’est la télévision et plus précisément la chaîne publique Korean Broadcasting System, l’équivalent de notre France Télévision. Carrément.

Ce n’est pas la première fois qu’une chaîne se livre à une autocritique de ce genre au Pays du Matin Frais : fin 2012, la chaîne SBS sortait The King of Dramas, un drama qui racontait… la production d’un drama ! Si l’ensemble s’avérait inégal en raison d’une seconde partie virant au makjang, l’objet valait pour sa première partie choc dévoilant la logique mercantile des chaînes et les méthodes cyniques des producteurs.

On y voyait des jeunes se faire piquer des idées, des coursiers risquant leur vie sur la route pour livrer les bandes en temps et en heures, des scénaristes obligés d’intégrer des scènes débiles de placement de produit, des idoles stupides propulsées tête d’affiche de dramas (le personnage de Choi Si Won était impayable !), des dirigeants attribuer les prix d’interprétation en fonction de l’argent rapporté par les acteurs… Oui, ça balançait grave !

The Producers est dans la même veine que le début de The King of Dramas, à ceci près que le drama ne devrait pas virer au mélodrame. Au contraire, il semble bien parti pour conserver un ton léger et décalé jusqu’au bout. Et ça, c’est une bonne nouvelle.

The Producers, drama 2015

Entre les réalisateurs convoqués par leurs patrons pour avoir laissé passer un juron à l’antenne (ce qui est bel et bien arrivé au cours de la saison 1 de 1 Night 2 Days), les séances de lèche-cul envers les supérieurs, les dirigeants qui ne pensent qu’au profit ou encore les jeunes envoyés au casse-pipe dès qu’une situation désagréable pointe le bout de son nez, The Producers fourmille de moments croustillants. L’idée n’est pas de faire pleurer dans les chaumières mais de montrer sans tabou les conditions de travail des créatifs de ces programmes et les situations absurdes auxquelles ils sont parfois confrontés.

Aux commandes de ce drama pas comme les autres, la scénariste Park Ji Eun (My Love From the Stars) agit en collaboration avec deux réalisateurs : un réalisateur de drama, Pyo Min Soo (Full House, Iris 2), et une réalisatrice d’émissions, Seo Soo Min, qui a travaillé sur des programmes de premier plan tels que Gag Concert et 1 Night 2 Days, justement.

The Producers s’appuie donc sur le vécu et les préoccupations des producteurs de ces variety shows que des internautes du monde entier téléchargent frénétiquement. Selon la note d’intention des créateurs du drama, l’histoire s’appuie sur des anecdotes véridiques fournies par des producteurs et des techniciens. Les titres d’épisodes sont par ailleurs assez drôles pour leur côté didactique : «News of quitting, unintentionally » (épisode 2), « Understanding editing » (épisode 5), « Understanding broadcast accidents » (épisode 6)…

Entre fiction, documentaire et télé-réalité

Un mot sur la narration, qui vaut véritablement le coup d’œil. Dès le premier épisode, nous entrons dans les bureaux de KBS. Sur le point d’être dispatchés dans les équipes, les réalisateurs rookie visitent les lieux, suivis par un journaliste vidéo qui les filme en caméra portée, recueillant leurs impressions et interviewant au passage plusieurs salariés de la société – l’occasion de découvrir que la profession de scénariste télé est très féminisée.

The Producers s’appuie sur une mise en abyme à plusieurs niveaux : il s’agit d’une fiction à caractère documentaire, dont les personnages font eux-mêmes, dans l’histoire, l’objet d’un reportage. Vous me suivez ? Je vous le réexplique autrement : les personnages du drama sont des employés de la chaîne qui travaillent sur des émissions, tout en étant suivis par des journalistes vidéo pour commenter leur quotidien. L’intrigue est donc entrecoupée d’interviews des personnages comme dans une téléréalité.

Mais passé le premier épisode, où il est bel et bien question d’un reportage sur la chaîne, on se demande si ces cameramen sont réels ou s’ils ne symbolisent pas l’obsession de l’image qui anime ces créatifs dont même les rêves nocturnes ressemblent à des variety shows. The Producers offre une satire pertinente du monde actuel en pointant du doigt la surmédiatisation de soi offerte tant par la téléréalité que par les réseaux sociaux, ainsi que la facilité avec laquelle les gens s’épanchent devant une caméra.

Les réseaux sociaux font eux aussi partie de la fête : dès qu’un conflit éclate, les employés de la chaîne, pas très corporate, s’empressent de saisir leur portable pour balancer l’information en temps réel sur Twitter… On comprend d’où viennent les nombreux scandales qui agitent le monde de la K-Pop !

Caméos en série

L’une des raisons pour lesquelles The Producers fait beaucoup parler de lui est qu’il sollicite une batterie de stars : en fait, toutes les célébrités mentionnées ou faisant leur apparition en tant que telles dans le drama existent bel et bien. Et il y en a un certain nombre !

Outre Lee Seung Gi (You’re All Surrounded), membre du casting de 1 Night 2 Days saison 1 dans la vraie vie et dont le caméo dans l’épisode 6 a fait grand bruit (il s’était brouillé avec KBS mais a accepté par amitié pour la scénariste), citons l’animateur Yoo Hee Yeol (K-Pop Star, Yoo Hee Yeol’s Sketchbook), l’auteur-compositeur Yoon Jong Shin, les chanteurs Jo Kwon de 2AM, Nickhun de 2PM, Sandara Park de 2NE1 ou encore Taeyeon, Tiffany et Seohyun de Girls’ Generation…

Park Jin Young (The Producers)

Ces stars se sont prêtées au jeu de jouer leur propre rôle avec parfois beaucoup d’autodérision, entre Sandara Park qui n’hésite pas à se montrer comme une star narcissique obsédée par son âge, et la comédienne vétérane Yoon Yuh Jung (The Taste of Money) qui ne laisse pas Baek Seung Chan en placer une quand il essaie désespérément de lui annoncer son éviction de l’émission. Enfin, mention spéciale au producteur et chanteur Park Jin Young (JYP Entertainment) qui fait une intervention hilarante dans l’épisode 4 en se montrant sous un jour mégalo et futile.

Quant au chanteur et animateur Kim Jong Kook (Running Man), on s’attendait à ce qu’il apparaisse en tant que guest mais il fait en réalité ses débuts d’acteur en endossant le rôle d’un producteur !

Comprendre l’entertainment sud-coréen

The Producers constitue également une excellente occasion de mieux appréhender le fonctionnement de l’entertainment coréen, dont le modèle repose sur des synergies constantes entre la télévision, la musique et le cinéma. En d’autres termes, il est quasi impossible de comprendre l’une de ces trois industries sans connaître les deux autres, puisqu’elles sont interdépendantes, tant sur le plan artistique qu’économique puisque les agences de talents gèrent des artistes des trois industries (pour exemple, l’agence C-JeS, qui doit son succès au groupe JYJ, gère aussi depuis peu l’acteur Choi Min Sik, la star d’Old Boy).

L’invasion des stars de dramas au sein des castings de cinéma que l’on constate actuellement n’a donc rien de surprenant et je dirais même qu’elle est salvatrice pour le cinéma puisque la production de films est à la baisse depuis le milieu des années 2000, alors que la production télévisuelle a littéralement explosé et s’exporte beaucoup mieux.

Les variety shows s’intègrent dans cette dynamique : opportunités idéales pour asseoir la popularité des stars montantes, ils permettent aussi aux acteurs de cinéma d’élargir leur public. Dans l’histoire, Baek Seung Chan explique cela à Cindy en citant des exemples concrets : celui de l’actrice Jeon Do Yeon (Secret Sunshine), qui a convaincu la critique avec ses films mais a fait exploser sa popularité grâce à un épisode de Fear Factor, et celui de la chanteuse Lee Hyori, dont l’image de bombe sexuelle s’est enrichi d’un versant plus « girl next door » grâce à la télé-réalité Family Outing.

Tête d’affiche du drama The Producers, l’acteur Cha Tae Hyun est l’exemple vivant de cette porosité entre les trois industries : star du grand écran (My Sassy Girl) comme de la télévision (Jeon Woo Chi), il fait aussi partie du casting de la véritable émission 1 Night 2 Days depuis la saison 2. Dans The Producers, il interprète le rôle du réalisateur de 1 Night 2 Days. La boucle est bouclée !

Cha Tae Hyun partage l’affiche avec l’excentrique Kong Hyo Jin, actrice révélée par le cinéma (Memento Mori, Guns and Talks) mais qui a connu ses succès personnels à la télévision (récemment, le très réussi It’s Ok, That’s Love). Le quatuor d’acteurs principaux est complété par le toujours très bon Kim Soo Hyun (My Love From the Star), qui campe le novice timoré de l’équipe de 1 Night 2 Days, et IU (Dream High) dans le rôle de Cindy, une idole dont l’arrogance cache un énorme manque affectif et une lassitude des contraintes imposées par sa terrifiante patronne. Au passage, le monde de la K-Pop en prend lui aussi pour son grade puisque le drama dénonce l’encouragement à l’anorexie opérée par les labels auprès des jeunes recrues féminines…

Caprices de stars

Si beaucoup de stars interviennent dans The Producers, le drama est à l’origine d’une petite polémique au sein de l’industrie de l’entertainment coréen pour sa manière de dépeindre les rapports entre les réalisateurs de variety shows et les stars du showbiz. Certaines stars reprochent au drama de grossir leur pouvoir de négociation face à des réalisateurs présentés comme des victimes de leurs caprices.

Il est vrai que Chungmuro n’est pas Hollywood : dans les outdoor variety shows, et spécialement dans 1 Night 2 Days, les stars doivent se plier aux contraintes imposées par les équipes techniques quelle que soit leur notoriété.

Toutefois, le drama est explicite sur un point : la balance des pouvoirs est conditionnée par la conjoncture. Ainsi, lorsqu’une star de K-Pop est en tête des charts, elle peut partir à la concurrence si la politique éditoriale d’une émission ne lui convient pas, ce qui ouvre la porte à tous les caprices. Si au contraire elle traverse un passage à vide, les stars ont intérêt à assurer pour satisfaire leur label, quitte à sacrifier un peu de leur dignité sur l’autel du divertissement.

The Producers relève-t-il d’une démarche narcissique de la part des producteurs ? Peut-être. En même temps, les variety shows coréens, en particulier ceux tournés en extérieur (les « outdoor variety shows »), ont pour spécificité de ne pas chercher à cacher les équipes techniques, voire de faire intervenir réalisateurs et techniciens devant la caméra. Dans la saison 1 de la véritable émission 1 Night 2 Days, on se souvient entre autres de ce réalisateur rookie que l’animateur Kang Ho Dong a bizuté dès son arrivée en orchestrant un canular (épisode 63 diffusé le 20 juillet 2008). Ce moment est resté dans les annales et le réalisateur est resté fidèle à l’équipe. Ainsi, les réalisateurs d’émissions et membres du staff étant souvent connus du public, il est logique qu’un drama ait fini par leur être consacré !

De toute façon, le titre du drama est explicite sur l’angle de l’histoire : il s’agit du point de vue des réalisateurs de variety shows. Il ne tient qu’à ces stars mécontentes d’initier un projet développant leur point de vue. Pourquoi pas sur une de ces chaînes du câble telles que tvN, puisque celles-ci font aujourd’hui concurrence aux trois chaines majeures (KBS, MBC et SBS) tant sur le plan des dramas que des variety show…

Merci Na Young Seok

Justement, le PD Na Young Seok, à qui l’on doit incontestablement le succès de 1 Night 2 Days, s’est brouillé en 2012 avec KBS en soutenant son ami Lee Seung Gi, qui avait été maltraité par la chaîne… Depuis, Na Young Seok a plutôt bien rebondi : pendant que KBS continue d’exploiter ses idées avec la suite de 1 Night 2 Days, il cartonne sur la chaîne câblée tvN avec les programmes Grandpas Over Flowers et Noonas Over Flowers, ceux-là même qui ont initié la vague de variety shows sur le câble.

Quelle ne fut pas ma surprise d’entendre, dans l’épisode 1 de The Producers, la réplique suivante dans la bouche des pontes de la chaîne : « Na Young Seok, il était plutôt bon, il n’y a pas moyen de le faire revenir ? ». Cette réplique relève-t-elle du pur opportunisme ou est-ce aussi une manière, pour KBS, de rendre enfin à César ce qui est à César ?

Elodie Leroy

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