Critique Confession, avec Ji Sung : la fin des illusions

Sorti en juillet 2014 dans les salles coréennes, Confession de Lee Do Yoon fait partie de ces films qui n’ont pas la carrière qu’ils méritent. Ce long métrage néo-noir à l’atmosphère mélancolique avait pourtant au moins deux atouts de son côté : un casting de choix réunissant les excellents Ji Sung, Joo Ji Hoon et Lee Kwang Soo, et un sujet, l’amitié virile, qui s’inscrit dans la mouvance de films qui prédomine en Corée depuis une quinzaine d’années.

En réalité, et c’est peut-être l’une des raisons de son échec commercial, Confession prend le contrepied de ses prédécesseurs sur ce thème en s’intéressant à la dislocation des liens plutôt qu’à leur glorification aveugle. Avec talent, il met ainsi à mal de façon salutaire un mythe envahissant qui a du plomb dans l’aile.

Le film, qui a aussi pour titre alternatif Good Friends, s’intéresse à un moment décisif de la vie de trois amis d’enfance. Hyun Tae (Ji Sung) est marié et père d’une petite fille, et il exerce le métier de pompier, en accord avec son sens de la justice très aiguisé. In Chul (Joo Ji Hoon) est officiellement agent d’assurance mais, roublard dans l’âme, il est surtout connu pour ses talents d’arnaqueur. Quant à Min Soo (Lee Kwang Soo), il vit d’une petite affaire mais reste en réalité complètement dépendant de ses deux meilleurs amis. Un jour, la mère de Hyun Tae demande à In Chul de cambrioler le casino qu’elle tient illégalement, afin d’escroquer la compagnie d’assurance. Celui-ci finit par accepter, non sans avoir convaincu Min Soo de l’accompagner. Le faux casse va rapidement virer à la catastrophe…

Confession est une fable urbaine empreinte de fatalisme qui s’inscrit dans la plus pure tradition du néo-noir. Comme dans les classiques du genre, l’intrigue s’articule autour d’un événement qui va entraîner de façon incontrôlable tous les protagonistes dans la tourmente. Cet événement résonne tel un écho tragique à une mésaventure qui sert d’ouverture au film, et qui montre les trois amis, alors enfants, se sortir d’un accident qui aurait pu coûter la vie au plus faible d’entre eux – un peu à la manière de la course à vélo au début d’Une Balle dans la tête de John Woo, qui laisse présager de l’avenir douloureux du trio d’inséparables amis.

Lire aussi | The Terror Live : émission radio sous haute tension

Comme c’est souvent le cas dans les films coréens, les personnages ancrés dans des milieux sociaux modestes voire défavorisés n’ont que peu de marge de manœuvre pour s’en sortir. Hyun Tae est le seul à avoir réussi sa vie si l’on en juge par les apparences, mais le passé finit par le rattraper à son insu puisque sa propre mère est à l’origine de la catastrophe qui va détruire sa famille et ses liens d’amitié.

Lee Do Yoon sait filmer, cela saute aux yeux. Son film est un vrai plaisir pour les yeux, tant pour ses plans inspirés sur les visages des acteurs que pour sa capacité à capturer l’atmosphère chargée d’un lieu. Il met humblement ce talent au service de son propos et de ses personnages, et non l’inverse. La scène-pivot du film, celle du casino, est spectaculaire et haletante, tout en étant mise en scène de façon très réaliste. Mais sa force réside dans le fait qu’en dépit du chaos qui y règne, on n’y perd jamais de vue ce que vivent chacun des personnages. Les trajectoires respectives de ceux-ci se révèleront par la suite très cohérentes, psychologiquement parlant, à mesure que la suspicion ravage leurs relations. Si le final glaçant ébranle à ce point nos convictions, donnant au titre du film tout son sens, c’est qu’il ne sonne que trop vrai, justement.

Les trois acteurs principaux font un travail superbe que le réalisateur nous laisse amplement l’opportunité d’apprécier. Dans le rôle du pilier du trio, Ji Sung (Kill Me Heal Me) interprète un Hyun Tae tout en intériorité, à la fois chaleureux et insaisissable. De son côté, Lee Kwang Soo délaisse momentanément le Kwang Soo de Running Man pour se fondre avec naturel dans la peau du fragile Min Soo. Entre Confession et le drama It’s OK, That’s Love, 2014 était décidément l’année du grand bond en avant pour Lee Kwang Soo, l’acteur. Enfin, Joo Ji Hoon (Mask) est remarquable dans le rôle du loser In Chul, seul extraverti de la bande. Les interactions entre Ji Sung et Joo Ji Hoon comptent d’ailleurs parmi les meilleurs moments du film.

Confession est un film très émouvant sur la fin des illusions, qui sonne comme une sorte de réveil brutal pour les irréductibles idéalistes de l’amitié. Ce n’est pas pour autant un film nihiliste comme ont pu l’être la plupart des polar sociaux coréens jusqu’à 2010 – je pense notamment au très beau Breathless réalisé par Yang Ik June en 2008, qui nous plongeait dans des abîmes de désespoir.

Il faut dire que les valeurs de l’amitié virile, de la solidarité masculine ou de la fraternité n’ont cessé d’être célébrées, sacralisées suite à l’immense succès du film Friend de Kwak Hyun Taek en 2001. Elles continuent de titiller l’imaginaire des cinéastes coréens actuels qui donnent, à mesure que le temps passe, l’impression d’être comme absorbés dans une contemplation narcissique sans fin. Ce n’est pas pour rien si A Better Tomorrow, le célèbre film culte de John Woo, a connu un remake coréen en 2010. Le réalisateur Song Hae Sung rendait hommage à sa façon (qui n’est pas forcément du goût de tout le monde) à un film dont l’impact en Corée du Sud fut vraisemblablement très important. Le thriller d’action associant ultra-violence et mélodrame dans un contexte viril est devenu le genre de prédilection des réalisateurs coréens en vue, et il est indéniablement celui que le public international leur associe le plus volontiers.

Ces films continuent de faire recette, comme en témoigne encore le succès de The Divine Move l’année dernière, qui cumulait de $27,926,871 en fin de parcours. Sorti à peu près en même temps, Confession, qui est pourtant un bien meilleur film, se contentait de $2,935,188 de recettes en deux semaines d’exploitation. Autant dire un four.

Espérons que cet échec commercial ne découragera pas le talentueux auteur/réalisateur Lee Do Yoon. Car à la différence de ses confrères, il ne se contente pas d’étaler son savoir-faire à coup de plans ultra-stylisés, mais s’adresse à son public avec la plus noble des intentions, celle de lui raconter une histoire.

Caroline Leroy

Lire aussi | Lucky Strike : Jeon Do Yeon épatante dans un polar malin

Vous aimerez aussi