Lee Min-Ho (Gangnam Blues)

Critique : Gangnam Blues, un thriller noir avec Lee Min Ho

La superstar des dramas coréens joue les voyous dans un thriller ultraviolent sur la construction de Gangnam, le célèbre quartier de Séoul moqué par PSY dans Gangnam Style. Découvrez notre critique.

Sorti le 21 janvier 2015 sur les écrans sud-coréens, Gangnam Blues était projeté en septembre 2015 au Forum des Images à Paris, dans le cadre de l’Étrange Festival. On ne comprend pas très bien le rapport avec le concept de ce festival, mais qu’importe, c’est toujours une chance de découvrir un film coréen sur grand écran ! D’autant que celui-ci recèle une petite surprise : la rencontre artistique improbable entre le réalisateur Yoo Ha, estimé pour le thriller noir Dirty Carnival, et l’acteur Lee Min Ho (City Hunter, The Inheritors), superstar de dramas que l’on connaît surtout pour ses rôles de héros romantiques, et dont la présence explique en grande partie que le film se soit aussi bien exporté en Asie et ailleurs.

Le film est-il le choc annoncé ? Pas tout à fait. Gangnam Blues possède de réelles qualités formelles et intéresse par son sujet à portée historique, mais le film souffre d’une écriture inaboutie et d’un recours excessif à la violence graphique, tombant ainsi dans le travers qui pollue le cinéma coréen de genre depuis quelques années. Malgré tout, pour Lee Min Ho, le défi est relevé.

Lee Min Ho dans Gangnam Blues

50 ans avant Gangnam Style

Corée du Sud, années 1970. Jong Dae (Lee Min Ho) et Yong Gi (Kim Rae Won) ont grandi dans un orphelinat et vivent comme des parasites dans les bidonvilles de la banlieue de Séoul. Leur vie bascule le jour où leur taudis est démoli. Recrutés par un gang, ils acceptent de participer à une opération d’intimidation d’un groupe de militants politiques, moyennant une somme d’argent alléchante. Mais l’opération tourne mal et les deux jeunes gens sont séparés dans la confusion.

Trois ans plus tard, ils travaillent pour deux gangs différents, dont les activités consistent à racheter, de manière pas toujours très légale, des terrains aux paysans habitant la campagne située au sud du fleuve Han. Ces opérations immobilières forgeront le célèbre quartier de Gangnam que l’on connaît.

Kim Rae Won dans Gangnam Blues

Avec Gangnam Blues, Yoo Ha prouve une fois de plus, s’il le fallait, sa versatilité en tant que scénariste et réalisateur. Après les intrigues de cour sur fond d’homosexualité dans le sublime A Frozen Flower, et les crimes en série dans le polar Howling, le cinéaste revient vers le genre du film de gangsters qui lui avait déjà réussi dans Dirty Carnival, avec lequel Gangnam Blues partage plus d’un point commun. Sauf que l’intérêt du film se situe ailleurs : il s’agit surtout de nous conter la genèse du quartier huppé de Gangnam, l’équivalent de notre 16e arrondissement à Paris, rendu célèbre dans le monde entier par un certain tube de Psy.

Guerre des gangs à Séoul

Peut-être parce que je m’y suis perdue plusieurs fois, Gangnam n’est pas mon quartier préféré de Séoul. Je préfère largement Hongdae ou Myeong-Dong. Cependant, force est de reconnaître que le district moqué dans Gangnam Style exerce une certaine fascination. Rien que la zone commerçante située aux alentours du fameux arrêt de métro « Gangnam Station », par lequel transitent quelques 120 000 personnes chaque jour, symbolise à lui seul la prospérité d’une société consumériste tournée vers la mode et l’entertainment (et bien sûr, la bonne bouffe, comme on le constate dans les petites rues qui bordent l’axe principal du quartier!).

Il y a quarante ans, le district ne ressemblait à rien de tout cela. Comme nous le découvrons dans Gangnam Blues, il ressemblait plutôt à un no man’s land paysan plongé dans la pauvreté. Avec 9 millions de dollars de budget en poche, Yoo Ha se paie le luxe d’une jolie reconstitution des années 1970, qu’il s’agisse des visions d’intérieurs miteux dans lesquels évoluent les gangsters, ou des prises de vues aériennes sur les alentours du fleuve Han. On est loin de la juxtaposition de buildings baroque qui forme aujourd’hui la capitale sud-coréenne.

L'acteur Lee Min-Ho
Lee Min Ho dans Gangnam Blues

N’ayons pas peur des mots, Gangnam Blues est un bel objet sur le plan formel : visuellement stylisé, le film joue la carte d’effets de lumière particulièrement léchés, en particulier sur les plans nocturnes qui constituent une bonne part du film. La réalisation inspirée de Yoo Ha trouve le juste équilibre entre la sobriété des séquences intimistes et les explosions spectaculaires de violence dans les scènes d’action.

Pour apprécier Gangnam Blues, il faudra bien évidemment composer avec l’extrême brutalité des affrontements de gangsters relevés d’effusions généreuses d’hémoglobine.

Pourquoi « évidemment » ? Parce que dans les thrillers coréens actuels au cinéma, l’utilisation de la violence graphique est devenue un passage obligé, un automatisme, parfois au détriment de la narration. À croire que les cinéastes coréens en vogue, ceux dont les films font le tour des festivals internationaux, se livrent à un concours de celui qui livrera la séquence la plus trash pour impressionner la galerie (j’en ai eu une dose supplémentaire quelques jours plus tard avec Man on High Heels de Jang Jin).

Malgré tout, il faut reconnaître que les scènes d’action de Gangnam Blues bénéficient d’une belle recherche visuelle, en plus de profiter du montage acéré de la monteuse Park Gok Ji, qui travaille avec Yoo Ha depuis toujours et qui a aussi monté quelques classiques du cinéma coréen moderne tels que Shiri (Kang Je Gyu), Frères de Sang (Kang Je Gyu) ou Friend (Kwak Kyung Taek).

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J’ai bien aimé l’affrontement final entre gangs, bagarre collective en plein jour et à l’arme blanche, une scène dont l’esthétique n’est pas sans rappeler le final de Crows Zero (Takashi Miike), que l’on aurait éclaboussé de giclures de sang à la Bang Rajan (Tanit Jitnukul). Gangnam Blues fait aussi preuve d’une certaine créativité dans les coups portés et les armes employées – couteaux, machettes, haches, tout y passe, le tout agrémenté d’effets sonores tranchants. Encore une fois, ce dernier aspect n’est pas très original dans le cinéma coréen visant les festivals, mais la mise en images est irréprochable.

Un quartier construit sur des cadavres

Si les excès de violence graphiques des films coréens finissent par lasser, ils s’avèrent dans le cas présent cohérents avec le propos du film. En effet, que raconte Gangnam Blues ? C’est l’histoire de petits voyous pris dans l’engrenage sanglant des guerres de gangs. Des voyous qui croient enfin saisir la chance de monter dans l’échelle sociale, alors qu’ils ne sont que les pions d’une lutte de pouvoir entre politiciens véreux et promoteurs immobiliers cyniques. Les films de gangsters coréens ont au moins pour mérite de casser le mythe des codes d’honneur dans le monde du crime.

Gangnam Blues est aussi, comme nous l’avons souligné plus haut, l’histoire de la construction de Gangnam, ce quartier où les stars d’aujourd’hui font la tournée des clubs jusqu’au bout de la nuit (il est amusant de voir à quoi ressemblait Apgujeong dans les années 1970). Un quartier qui s’est élevé sur des cadavres, celui de ces voyous destinés à rester dans l’ombre, comme le suggère le final symbolique du film.

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Sombre et désabusé, Gangnam Blues vaut donc pour son propos acide sur l’histoire de la ville de Séoul, et par extension, sur la manière dont s’est construite la prospérité sud-coréenne dans un contexte de dictature.

A ce titre, Gangnam Blues aurait gagné à bénéficier d’un ancrage plus marqué dans la vie politique de l’époque. Après tout, le film ébauche la transition entre la Corée paysanne d’antan et la société urbaine actuelle. Aujourd’hui encore, les citadins représentent environ 80% de la population sud-coréenne, et comme on le découvre dans certains variety shows comme 1 Night 2 Days, certaines zones rurales ne sont pas si éloignées de ce qu’elles étaient à l’époque.

Sachant que le récit se déroule sous le règne du président Park Chung Hee (1961-1979), à qui l’on doit ce modèle économique fondé sur la puissance des chaebols, et que celui-ci est aussi le père de la présidente actuelle, Park Geun Hye, on devine qu’il n’était pas évident de se livrer à une critique explicite de la politique de l’époque (on se rappelle des difficultés rencontrées par Im Sang Soo après The President’s Last Bang)… Soit. A défaut d’engagement, le film aurait pu aller un peu plus loin dans la restitution du contexte idéologique de l’époque. Or la représentation du monde politique se résume à filmer des bonshommes vissés dans leur fauteuil, déblatérant autour d’une table dans des intérieurs de luxe ! On a connu mise en scène plus palpitante du milieu – s’ils traitent de périodes différentes, des dramas comme Three Days, The Chaser ou Bridal Mask vont beaucoup plus loin.

Lee Min-Ho dans un univers de machos

Yoo Ha aurait peut-être dû s’en tenir au point de vue des hommes de la rue et montrer le milieu politique de loin, de manière inaccessible. Ce parti pris lui aurait permis de développer des enjeux plus originaux autour de ses personnages, plutôt que de nous servir une énième histoire de frères ennemis entre Jong Dae et Yong Gi, les personnages de Lee Min Ho et Kim Rae Won. Gangnam Blues donne l’impression d’un film porté par une belle ambition, celle de raconter un bout d’Histoire, mais dont les personnages ont été rajoutés a posteriori. Parce que dans un film, il faut bien des personnages…

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La présence de Lee Min Ho au sein du casting mérite toutefois que l’on s’y attarde.
Lee Min Ho, 28 ans, 15 millions de fans sur Facebook et 3 millions sur Twitter, est LA star coréenne numéro 1 à l’international, beaucoup plus que n’importe quel acteur de cinéma (l’industrie des séries est plus prolifique).

L’annonce de son nom sur un projet est un buzz garanti sur le web. Aux yeux du public, il incarne le héros romantique, du genre un peu arrogant mais au grand cœur (voir son personnage de City Hunter, sympathique drama dans lequel il montre déjà sa capacité à faire de l’action), et qui plait avant tout aux filles. Ce dernier point n’a rien de péjoratif venant de moi, mais il l’est très certainement du point de vue du consommateur habituel de thrillers ultra violents comme Gangnam Blues, souvent peu ouverts d’esprit avec les acteurs de moins de quarante-cinq ans.

Ce rôle constitue donc un choix de carrière osé, quoique cohérent avec la tendance actuelle chez les stars de dramas, qui s’invitent à présent au casting de tous les films à gros budget, afin de prendre du galon, apportant du même coup un coup de jeune salutaire au cinéma coréen. Enfin, Lee Min Ho était loin d’être le premier choix du réalisateur Yoo Ha, qui voyait plutôt à l’affiche une autre star de drama – j’ai nommé Hyun Bin (Secret Garden).

Lee Min Ho parvient-il à s’imposer dans cet univers de macho ? La réponse est oui, sans difficulté. Son charisme est réel et sa prestation crédible dans l’action comme dans les scènes de tension psychologique. Comme nous l’avons vu, son personnage n’a rien de complexe, mais il fait le job avec conviction. Cette jolie prise de risques devrait lui permettre d’élargir son registre et d’amorcer une nouvelle étape dans sa carrière.

Le résultat est éloquent : 2,2 millions d’entrées en Corée du Sud ; le nom de Lee Min Ho y est pour beaucoup. L’acteur a également reçu des retours critiques valorisants sur sa prestation et des nominations au Baeksang awards… Si l’on ajoute à cela que son public habituel a adoré le découvrir sous un autre jour, le pari s’avère gagnant sur tous les tableaux.

Les actrices, dernières roues du carrosse

Le reste du casting s’avère en revanche peu mis en valeur. Kim Rae Won (Mr. Socrates) déçoit un peu dans le rôle ingrat du faire-valoir et les seconds rôles sont sans consistance, à l’exception du toujours excellent Jung Jin Young (King and the Clown, Brain).

Ne parlons même pas des actrices ! C’est tout juste si elles obtiennent des gros plans, mis à part dans les scènes de lit, ce qui en dit long sur la manière dont elles sont considérées… Malgré l’effort d’intégrer une femme influente avec le personnage de Kim Ji Soo (This Charming Girl), Gangnam Blues tombe dans le même écueil que la plupart des thrillers coréens actuels (au cinéma), à savoir dépeindre un monde uniquement forgé par les hommes pour les hommes, et dans lequel les femmes n’ont qu’un rôle accessoire, comme celui de la jeune fille pure et un peu neuneu alloué à Kim Seol Hyun (du groupe de K-pop AOA).

Vous l’aurez compris, Gangnam Blues m’a laissé des sentiments mitigés malgré ses qualités formelles indéniables. J’ai l’impression d’avoir vu une production classieuse recelant de belles intentions et quelques trésors, à savoir des scènes visuellement impressionnantes, mais qui pèche par manque de souffle historique et surtout d’humanité.

Elodie Leroy

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