Hanzawa Naoki, Saison 1

Critique : Hanzawa Naoki, un drama sans concession sur la corruption au Japon

Phénomène de société dans son pays, le drama Hanzawa Naoki dynamite le système ultra hiérarchisé des grandes entreprises japonaises à travers le combat d’un salaryman contre la corruption. Découvrez notre critique du drama.

« Yararetara yarikaesu, bai gaeshi da ! ». En français, « Si je suis lésé, je réplique deux fois plus fort ! ». Cette citation est culte au Japon depuis l’été 2013, suite à la diffusion remarquée du drama Hanzawa Naoki sur la chaîne TBS. On peut parler d’un classique instantané : de 19,4% de parts de marché pour le pilote, le drama grimpe jusqu’à 42,2% pour son dixième et dernier épisode, ce qui en fait le feuilleton le plus populaire de ces trente dernières années à la télé japonaise. Mieux, la réplique citée plus haut entre vite dans le langage commun, au point d’être reprise aussi bien par des politiciens et des sportifs de haut niveau, que par les gamins dans les cours de récré. Il faut croire que l’histoire a tapé dans le mille.

Et quel meilleur moyen, pour parler du Japon d’aujourd’hui, qu’une intrigue ancrée dans le monde du travail et plus précisément dans le secteur bancaire ? Surtout si le héros est un salaryman qui s’élève contre la corruption du milieu après avoir été abusé par ses supérieurs…

Avec son scénario béton, sa mise en scène enlevée et ses acteurs charismatiques, avec au premier plan Masato Sakaï et Teruyuki Kagawa dans un face-à-face mémorable, Hanzawa Naoki est un revenge drama brillant et ultra cathartique à ne manquer sous aucun prétexte.

Hanzawa Naoki Season 1 : poster

Le bouc-émissaire voit rouge

Réalisé par Katsuo Fukuzawa, Takayoshi Tanazawa et Kenta Tanaka, Hanzawa Naoki est adapté des romans Oretachi Bubble Nyukougumi et Oretachi Hana no Baburugumi de Jun Ikeido, qui a lui-même travaillé pendant sept ans dans la finance dans les années 1990.

Le premier arc du drama se déroule à Osaka et s’étale sur cinq épisodes. Naoki Hanzawa (Masato Sakai), la quarantaine, est manager du service des prêts professionnels d’une filiale de la Tokyo Chuo Bank, un grand groupe bancaire. Il vit avec sa femme et son fils dans un appartement de fonction. Sa carrière se déroule sans heurt, jusqu’à ce que son supérieur hiérarchique l’oblige à accorder un prêt de 500 millions de yens à la société Nishi Osaka Steel. Malgré ses doutes sur la solidité du dossier, Hanzawa est contraint de préparer le contrat. Mais avant qu’il ait eu le temps de le finaliser, celui-ci lui est dérobé pour être envoyé au siège pour accord.

Quelques semaines plus tard, il s’avère que Nishi Osaka Steel a fait faillite et que son dirigeant a disparu avec l’argent. Or les supérieurs de Hanzawa lui font porter le chapeau du trou de 500 millions dans les caisses de la banque, et de ses conséquences sur l’activité. Pour couronner le tout, l’entreprise est l’objet d’un contrôle fiscal qui vise précisément son service.

Pris au piège, Hanzawa risque de voir sa carrière voler en éclat. A moins qu’il ne remette la main sur les 500 millions de yens… Refusant d’être le bouc émissaire, il va tenter de faire la lumière sur l’escroquerie.

Le second arc du drama nous emmènera à Tokyo, au siège de la banque, où Naoki Hanzawa se verra confier le redressement d’un groupe hôtelier avant de se retrouver pris dans les luttes de pouvoir entre ses propres dirigeants.

Lors de sa diffusion, Hanzawa Naoki s’est rapidement mué en véritable phénomène de société auprès des spectateurs japonais, en particulier des salariés d’entreprises qui se sont immédiatement identifiés au personnage-titre. Pas de quoi s’étonner : en s’intéressant au milieu bancaire, l’histoire ausculte un univers qui leur est familier, celui des grandes corporations japonaises d’aujourd’hui.

L’intrigue de Hanzawa Naoki part d’un ressort dramatique classique : un homme acculé doit se battre contre plus puissant que lui pour sauver sa peau. C’est l’éternel combat de David contre Goliath. A ceci près que Goliath est incarné par des bureaucrates tout puissants usant de méthodes crapuleuses.

Le premier épisode débute dans les années 1990 : Naoki Hanzawa passe son entretien d’embauche et intègre la banque peu de temps après. Il est promis à une brillante carrière. La séquence suivante se déroule vingt ans plus tard, de nos jours, dans un bureau plongé dans l’obscurité : tenu pour responsable de la perte de 500 millions de yens, Hanzawa est mis en procès par ses managers, dont l’un tente de l’obliger à se prosterner devant Asano (Kanji Ishimaru), son supérieur direct.

Contre toute attente, il ne se laisse pas rabaisser comme l’auraient fait la plupart de ses collègues, et promet de retrouver le pactole. La suite retrace les événements précédant l’incident. La descente aux enfers s’avère cruelle : enchaînant les situations d’humiliation, Naoki Hanzawa voit le piège se refermer sur lui avant d’avoir eu le temps de comprendre ce qui se passait. Il risque d’être éjecté de la banque et de se retrouver à la rue avec une famille à charge.

Décidé à lutter jusqu’au bout, Naoki Hanzawa se lance dans une enquête acharnée pour découvrir la vérité. Pour ce faire, il doit prendre de vitesse ses managers, dont il soupçonne que plusieurs soient impliqués, et n’hésite pas à employer des procédés à la limite de la légalité.

A travers l’affaire tortueuse qui se déploie au fil des épisodes, le drama lève le voile sur le fonctionnement et l’esprit corporate profondément conservateur des grands groupes japonais d’aujourd’hui, dont le système de gestion paternaliste (les employés sont logés par la société) s’accompagne d’un tabou, celui de la désobéissance envers la hiérarchie. « Nous sommes dans la banque, le patron recueille les lauriers de son subordonné et le subordonné assume les erreurs de son patron ! », souligne un personnage dans l’épisode 1.

On comprend à quel point l’attitude de Naoki Hanzawa est jugée transgressive : en refusant d’accepter son sort et en clamant que le patron doit assumer ses propres erreurs, il remet en cause toute une culture d’entreprise.

Son refus de se laisser intimider brise le contrat de soumission qui le lie à ses supérieurs, celui qui pousse les employés à s’agenouiller devant leurs patrons et ces mêmes patrons à courber l’échine devant les dirigeants, cependant que ces derniers ricanent dans leurs somptueux bureaux en élaborant leurs plans.

Ce mode de relations ultra hiérarchisé s’étend jusqu’aux épouses, qui se fréquentent quotidiennement lors de réunions tupperware aussi exécrables que surréalistes, au cours desquelles elles calquent leurs relations sur celles de leurs époux.

Vu dans le récent drama judiciaire Legal High, Masato Sakai endosse le costume-cravate du héros avec détermination. La caractérisation du personnage est à ce titre judicieuse : Naoki Hanzawa n’est pas un loup de Wall Street mais un cadre intermédiaire normal, aux ambitions raisonnables, et qui vit le quotidien-type d’un salarié japonais. Du moins jusqu’à ce qu’il soit acculé par cette affaire des 500 millions.

Sa déclaration de guerre n’en est que plus jubilatoire : « Si je suis lésé, je réplique deux fois plus fort ! » (qui devient ensuite « dix fois plus fort » puis « cent fois plus fort »). Très expressif, Masato Sakai use généreusement de son regard perçant et insuffle une certaine férocité à Hanzawa, notamment lors des nombreux face-à-face qui ponctuent la série, tout en laissant apparaitre des failles qui en font un personnage humain et attachant.

Son amitié avec Naosuke Kondo (Kenichi Takito) et Shinobu Tomari (Mitsuhiro Oikawa) apporte un contrepoids chaleureux au cynisme ambiant, tout comme sa relation charmante avec son épouse Hana Hanzawa, interprétée par Aya Ueto (Azumi).

A l’inverse, un homme personnifie à lui seul le mépris du salarié de base, de celui qui trime pendant des années et dont la vie de famille peut basculer un beau matin, le jour où il se retrouve muté dans un trou perdu ou à l’étranger.

Cet homme, c’est Akira Owada, le Directeur des Ressources Humaines glaçant incarné par l’excellent Teruyuki Kagawa (Tokyo Sonata). On devine que Hanzawa sera amené à s’opposer à lui personnellement et que le duel offrira son lot de moments explosifs.

Le monde du travail dans la ligne de mire

La quête de justice de Naoki Hanzawa, qui reste toujours fidèle à ses principes moraux, aurait pu énerver par sa dimension moralisatrice envers les grands patrons et les banquiers. C’est tout le contraire qui se produit : on est immédiatement en empathie avec le personnage, dont l’intégrité participe pleinement à la dimension cathartique de la série.

Comme si Naoki Hanzawa parlait aussi pour nous, salariés lambdas qui avons tous été, un jour ou l’autre, confrontés à l’injustice du monde du travail. Car si le système de gestion décrit dans le drama est typiquement japonais, les procédés de déstabilisation d’un salarié, eux, existent partout dans le monde.

Le tour de force de Hanzawa Naoki est à ce titre d’insuffler un suspense à une histoire dont le cadre n’est, après tout, que la vie de bureau. Patron hurlant sur un subordonné ou menaçant une jeune recrue, dossiers qui voltigent d’un bout à l’autre de la pièce, le drama restitue avec justesse la violence des rapports humains en entreprise.

Efficace sans être tape-à-l’œil, la mise en scène cultive une réelle tension dramatique et met l’emphase sur les retournements de situation. Vous ne verrez pas de scènes d’action ébouriffantes dans ce drama. Ce que vous (re)découvrirez, en revanche, c’est le cauchemar que peut devenir une réunion ou un conseil d’administration qui tourne à l’humiliation d’un collaborateur.

On reste marqué par plusieurs scènes, comme ce moment oppressant, dans l’épisode 1, où Naoki Hanzawa passe en conseil disciplinaire face à deux managers hostiles délégués par les Ressources Humaines et qui tentent de lui extirper des aveux, cependant que l’un d’entre eux tape de la main sur la table pour le déstabiliser.

L’épisode 3 comporte un moment du même acabit : accablé de reproches par ses supérieurs et devant ses subordonnés, Hanzawa parvient pourtant à démasquer l’homme qui lui a dérobé un document-clé, un moment libérateur qui fait suite à une énorme montée de tension.

La souffrance au travail est par ailleurs évoquée dans le second arc à travers le personnage touchant de Kondo, l’un des deux fidèles amis de Hanzawa. En plein craquage nerveux lorsque notre héros reprend contact avec lui, Kondo est tour à tour ignoré et moqué par ses collègues. Il va peu à peu reprendre le dessus et son évolution poignante constitue l’un des temps forts du drama. Là encore, la souffrance engendrée par le harcèlement moral et le courage nécessaire pour relever la tête sont universels.

Parmi les figures mémorables du drama, citons aussi Kurosaki (Kataoka Ainosuke), le contrôleur fiscal vicieux qui arrive tel un rapace avec son commando de bureaucrates pour fouiller les dossiers. Abordé avec beaucoup d’humour, ce personnage déjanté apporte la petite touche de folie typique des dramas japonais – et qui nous manque terriblement si elle est absente.

On retiendra aussi Fukuyama (Jundai Yamada), le rival pistonné qui ne peut circuler sans sa tablette numérique (l’attitude créée par l’acteur est à la fois très drôle et bien vue !) et que le héros va promptement remettre à sa place. Hanzawa Naoki fourmille de chocs de personnalités mémorables et si l’on soupçonne que l’insubordination du personnage aurait du mal à passer dans la vraie vie, les moments où il prend le dessus sont extrêmement jubilatoires.

Hanzawa Naoki, le justicier bancaire

Si Hanzawa Naoki trouve une telle résonance à l’heure actuelle, c’est aussi grâce à son propos sur les banques et leur rôle dans la crise économique. Loin du simplisme consistant à jeter l’opprobre sur tout le milieu, le drama cible précisément les puissants qui dévoient le métier de banquier et usent de leur pouvoir pour s’enrichir.

Ces pontes de la banque ne sont pas sans évoquer les grands seigneurs des films de samouraï, ceux qui s’accrochent à leurs privilèges et détournent les codes du Bushido pour opprimer les plus faibles, un parallèle appuyé par les séances de kendo auxquelles Hanzawa se livre chaque soir après sa journée de travail.

L’histoire met l’accent sur la dépendance des petites et moyennes entreprises vis-à-vis des banques et questionne le métier de banquier à travers différentes affaires. Loin d’être choisies au hasard, ces dernières lèvent le voile sur des questions épineuses, telles que la difficulté pour une jeune femme de trouver des financements pour fonder sa société, ou encore les magouilles qui se jouent entre les banques et les entreprises dans les affaires de redressement, comme celle qui est développée dans le second arc du drama et qui concerne un groupe hôtelier. Chaque fois, l’affaire est envisagée sous l’angle humain tout en demeurant réaliste.

Le monde ouvrier est quant à lui omniprésent dans le drama, et ce, dès le premier arc, où Hanzawa reçoit l’aide d’un petit entrepreneur dont l’usine a fermé suite à la faillite de Nishi Osaka Steel. D’ailleurs, le héros lui-même est le fils d’un fabricant de clous en résine qui s’est suicidé après avoir été lâché par sa banque – des origines sociales qui en font le bouc émissaire idéal.

Cette histoire riche de sens nous est régulièrement rappelée au travers de flashbacks mélodramatiques, au cours desquels Hanzawa, enfant, voit son père s’humilier devant un mystérieux banquier. Tout au long du drama, il conservera avec lui, tel un porte-bonheur, un clou issu de l’entreprise de son père, dont une phrase reste gravée dans sa mémoire : « C’est ce petit clou, léger mais solide, qui supporte le Japon ».

Au fil de l’histoire, Naoki Hanzawa se mue en une sorte de redresseur de torts, un justicier bancaire qui perce à jour les manipulations frauduleuses de dirigeants qui ne pensent qu’à servir leurs intérêts personnels, alors que toute l’économie du pays dépend de la santé des institutions financières. Ce propos éclate de manière vibrante au cours d’une tirade mémorable dans le dernier épisode, et rien que pour ce moment, il faut impérativement voir Hanzawa Naoki.

En conclusion, que vous soyez révolté par le comportement des banques, ou tout simplement sensible aux questions sur le mal-être au travail, vous allez adorer Hanzawa Naoki ! Surtout si vous êtes curieux du fonctionnement des grandes corporations japonaises d’aujourd’hui, dont le drama dénonce le système de gestion conservateur et ultra hiérarchisé.

De manière intéressante, la Corée du Sud nous envoyait un an plus tard le drama Misaeng (tvN), qui dresse lui aussi un tableau impitoyable du monde du travail dans les grandes entreprises coréennes, ces multinationales que les jeunes diplômés rêvent d’intégrer pour s’accomplir. On aimerait bien voir une œuvre du même acabit en France : il y aurait tant à dire sur la gestion des ressources humaines au sein de nos entreprises !

Au-delà de son propos sur le monde de l’entreprise, Hanzawa Naoki saisit également, à travers sa charge contre le comportement des banques, un sentiment de désenchantement profondément dans l’air du temps et qui s’étend au-delà des frontières nipponnes. C’est ce qui en fait l’un des dramas japonais les plus indispensables de ces dernières années.

Elodie Leroy

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