Interview du réalisateur Bong Joon Ho (Mother)

Bong Joon Ho : « Je ne suis pas très optimiste vis-à-vis du système et du pays » (Mother)

Nous avions rencontré Bong Joon Ho lors de son passage au Festival de Cannes 2009 pour la sortie de l’émouvant Mother. Découvrez cette interview extraites de nos archives journalistiques.

Après l’incroyable succès de The Host, Bong Joon Ho avait deux choix possibles : tenter de réitérer l’exploit en livrant un film dans la même veine ou bien prendre un virage à 180 degrés. Comme toujours en marge des conventions, le réalisateur de Memories of Murder a choisi la seconde option et revient deux ans plus tard vers le genre qu’il affectionne, à savoir le thriller social. Revoilà donc Bong Joon Ho avec Mother, un drame intimiste d’une grande noirceur dans lequel une mère est prête à tout pour sauver son fils accusé de meurtre…

Elodie Leroy : The Host a connu énorme succès en Corée du Sud, devenant même le plus gros succès de l’Histoire du cinéma. Comment avez-vous géré l’après-The Host ?
Bong Joon Ho : Je ne sais pas pourquoi The Host a eu un tel succès et je ne crois que ce soit seulement grâce à moi. C’est devenu une sorte de phénomène de société et je voulais oublier cela très vite. J’aurais voulu qu’un autre film vienne dépasser le score au box-office mais The Host est malheureusement toujours le plus gros succès historique en Corée. En tout cas, je voulais continuer à faire des films à ma manière. En fait, Mother était un projet de longue date. Quand je tournais The Host, je pensais déjà à Mother.

« La relation entre une mère et son fils est la plus forte qui soit. »

Pourquoi avoir choisi ce sujet, celui d’une relation mère-fils ?
Memories of Murder
et The Host s’intéressaient à la société ou à une période particulière de l’Histoire de la Corée. Avec Mother, j’avais la volonté de me concentrer sur l’essentiel, sur un ou deux individus. La relation entre une mère et son fils est la plus forte qui soit. L’autre raison qui m’a amené à faire ce film est la curiosité que m’inspirait Kim Hye Ja. C’est une actrice mythique en Corée. Je voulais en quelque sorte renouveler son image. Parmi les personnages deThe Host, il y avait deux figures paternelles de deux générations différentes, mais aucune figure maternelle. Dans Mother je voulais prendre le contrepied de mon précédent film. Cette fois-ci, il n’y a plus de père et tout se concentre sur la mère.

Qu’il s’agisse de Barking Dogs Never Bite, Memories of Murder, The Host ou Mother, vos films mettent en scène des personnages en situation d’extrême pauvreté.
Par rapport au décennies passées, la Corée s’est considérablement développée. Il existe aujourd’hui des institutions officielles dont l’objectif est d’aider les gens. Malgré tout, je ne suis pas très optimiste vis-à-vis du système et du pays. Dans mes films, les personnes pauvres, les marginaux ou ceux qui rencontrent des difficultés sociales ont énormément de mal à trouver de l’aide auprès de l’administration. C’était d’ailleurs le thème central de The Host. Cependant, dans Mother, mon but n’était pas de dénoncer la pauvreté, mais d’introduire dès le départ le personnage de Kim Hye Ja comme une marginale.

« La collaboration avec Kim Hye Ja a été fructueuse, car c’est une personne très sensible. »

Comment avez-vous dirigé l’actrice Kim Hye Ja ?
Quand j’étais petit, dès que j’allumais la télévision, Kim Hye Ja était toujours là. Elle était déjà connue en tant qu’actrice. Travailler avec elle était donc un peu surréaliste au début, mais cette sensation n’a duré que quelques jours. Nous nous sommes très bien entendus et nous avons réalisé un travail minutieux. La collaboration avec Kim Hye Ja a été fructueuse, car c’est une personne très sensible. Elle réagissait beaucoup à mes idées. Par exemple, quand je lui disais A, elle me répondait A-A-A. Elle comprenait tout de suite ce que je voulais dire et enrichissait mes idées avec les siennes. C’est une manière de travailler très propice à la création. Bien sûr, les actrices restent des actrices et il arrive qu’elles soient un peu difficiles ! (rires)


Vraiment ? Kim Hye Ja a-t-elle fait des caprices pendant le tournage ? (rires)
Pour l’anecdote, elle voulait vraiment aimer l’acteur [Won Bin, ndlr] qui joue son fils comme s’il était son propre fils. Ils s’entendaient très bien. Et puis un jour, elle l’a regardé et elle lui a dit : « Mais comment se fait-il que toi, l’acteur, tu sois encore plus beau que moi. Je suis jalouse, c’est injuste. ». Elle a commencé à s’énerver et c’était très drôle. C’est là que je me suis dit que même une actrice mythique reste une actrice avant tout.

« Won Bin a su garder une certaine simplicité. »

Avec ce film, Won Bin casse son image glamour. C’est un vrai contre-emploi pour lui. Pourquoi l’avez-vous choisi pour le rôle du fils ?
Effectivement. En Corée comme au Japon, Won Bin a l’image d’un jeune premier très glamour. Il a énormément de fans en Asie et c’est la première fois qu’il endosse un personnage d’idiot. Pour les Coréens, il y a même quelque chose de choquant dans le fait de voir cet acteur jouer un tel rôle. En Occident, il est inconnu donc la question ne se pose pas. Je vous avoue qu’au début, j’avais moi-même un préjugé envers lui. J’avais l’image d’un acteur avec un beau physique mais rien de plus. Cela dit, quelqu’un m’avait dit qu’il était issu de la campagne, que c’était quelqu’un de simple et qu’il dégageait un certain charme à cause de ses origines. Je l’ai rencontré et j’ai tout de suite compris qu’il serait parfait pour jouer mon personnage. Il a su garder une certaine simplicité.


Pouvez-vous nous livrer vos impressions sur le Festival de Cannes ?
En général, au Festival de Cannes, je passe mon temps à faire des interviews toute la journée. J’ai beaucoup de mal à voir des films. Mais l’an dernier, quand je suis venu pour présenter Tokyo!, j’ai pu assister à la présentation de Tokyo Sonata de Kiyoshi Kurosawa. Je suis un grand fan de ses films et l’acteur qui jouait dans mon segment de Tokyo! jouait également dans Tokyo Sonata (NDLR : il s’agit de Teruyuki Kagawa). J’ai un souvenir à partager. Il faut savoir qu’il est rare, pour des Asiatiques, de se serrer dans les bras l’un de l’autre. Pourtant, après la présentation du film, Kiyoshi et moi l’avons fait. Peut-être que nous étions un peu ivre de l’ambiance de Cannes. En général, les Coréens aiment les paillettes, toute cette publicité autour du cinéma. En même temps, les gens sont avant tout au festival pour voir les films. Ils sont guidés par la passion du cinéma. Quand je vois que même le producteur met son smoking pour l’occasion, je me dis qu’il doit vraiment aimer ça ! J’ai envie de lui dire « C’est bon, calme-toi ! ».

Quel sera votre prochain film ?
Ce sera un film de science-fiction. Il s’agit de l’adaptation de la bande-dessinée française Le Transperceneige. Les dessinateurs étaient d’ailleurs présents pendant la projection de Mother.

Propos recueillis par Elodie Leroy au Festival de Cannes 2009

La vidéo correspondant à cet article a été publiée sur Filmsactu.com le 29 janvier 2010

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