Kim Jee Woon : « L’utilisation de la lumière doit trahir les émotions des personnages » (A Bittersweet Life)

Le réalisateur coréen Kim Jee Woon a répondu à nos questions à propos de son polar noir culte mettant en vedette l’incontournable Lee Byung Hun.

Deauville, il connaît. Il était déjà venu en 2001 présenter The Foul King, comédie à succès dans laquelle Song Kang Ho, en salarié martyrisé par son patron, se prenait subitement de passion pour le catch. Entre temps et en quelques films, Kim Jee Woon a fait du chemin et sa notoriété le place désormais parmi les réalisateurs les plus en vue de Corée. Il y a le court-métrage qu’il a réalisé pour le projet Trois histoires de l’au-delà, le très beau Deux sœurs, qui lui a valu de nombreux prix (dont le Grand Prix du Festival de Gérardmer 2003), et surtout A Bittersweet Life, polar remarqué qui sortira sur nos écrans le 10 mai prochain. D’une certaine façon, c’est un peu en star que le réalisateur coréen a refait le voyage en France cette année.

Discret, souriant, courtois – le genre qui pense à vous demander la permission avant d’allumer une cigarette –, Kim Jee Woon n’a pas pris la grosse tête. En recevant sur scène le prix Action Asia pour A Bittersweet Life, il a même la délicatesse de remercier nommément les attachés de presse français qui l’ont accueilli durant son séjour… Brève rencontre.

Kim Jee Woon et Lee Byung Hun sur le tournage de A BITTERSWEET LIFE

Caroline & Elodie Leroy : Vous avez exploré beaucoup de genres différents dans vos précédents films. Pourquoi le choix du polar noir pour A Bittersweet Life ?
Kim Jee Woon : Il est vrai que j’ai exploré pas mal de genres cinématographiques. Mon premier film est une sorte de comédie qui comporte des scènes un peu cruelles. J’ai aussi fait une comédie noire qui tendait vers le film d’horreur. Pour tout vous dire, j’adore les films de genre. Mais il existe encore beaucoup de genres que je n’ai pas encore essayés, comme le western, la comédie musicale, la science-fiction ou le film romantique. Je pense donc que je vais continuer à en faire à l’avenir. Ce qui m’intéresse à chaque fois, lorsque je m’essaye à un genre nouveau, c’est qu’en définitive je me demande toujours ce que cela va donner au contact de ma personnalité. Tenter de nouvelles choses est toujours amusant. Cela a un sens pour moi.

A ce propos, on a l’impression que vos films se situent dans des genres précis mais que vous en tirez quelque chose de très personnel. Deux Sœurs, par exemple, est un film d’horreur qui se mue en drame familial. Dans The Foul King, c’est un drame social assez fort qui affleure derrière la comédie. Qu’est-ce qu’il vous tenait à cœur de montrer à travers le genre du polar dans A Bittersweet Life ?
Ma réflexion en faisant ce film, c’est que dans la vie, tout le monde commet des erreurs dont certaines sont irréversibles. On en cherche toujours les causes ailleurs alors qu’elles viennent souvent de nous-mêmes. Le personnage de ce film, Sun Woo, se pose tout un tas de questions : il se demande pourquoi il est devenu ce qu’il est et pourquoi les autres s’en prennent à lui. Mais juste avant de mourir, il comprend finalement que c’est en lui-même qu’un petit vent s’est levé et qu’il a été ébranlé. Il se rend compte que tout ce qui s’est passé venait de lui. J’avais envie de montrer tout cela à travers un film de genre. En un sens, je pense que l’on pourrait se poser la question de savoir si ce personnage a aimé cette femme. J’y ai réfléchi et je pense qu’il s’agit d’un homme qui n’a jamais donné son cœur à quelqu’un. Il se surprend à être troublé par cette femme et il finit par s’aimer dans ce rôle là. C’est la preuve d’un narcissisme assez grave ! (rires)

Lee Byung Hun et Kim Roi Ha dans A BITTERSWEET LIFE

Quelle est votre implication dans l’esthétique très forte du film ? On a l’impression que tous les effets visuels participent à la narration, que ce soient les éclairages très contrastés ou les couleurs vives.
Je décide de tout cela moi-même. Mais vous dîtes quelque chose que j’avais envie d’entendre. Il y a en effet une recherche esthétique dans ce film, qui ne se justifie pas simplement pour l’envie de faire un « beau film ». L’utilisation de la lumière est à mes yeux très importante car c’est elle qui doit trahir les émotions des personnages. Elle fait partie intégrante de la narration.

On a le même sentiment avec la musique et les sons, qui participent aussi énormément au rythme d’ensemble, avec ses ruptures. Dans certains moments particulièrement dramatiques, la musique semble décalée, utilisant parfois un rythme ternaire. Je pense notamment à la scène où il se fait enterrer vivant et où la musique semble suggérer un certain détachement.
En ce qui concerne la musique, je déteste qu’elle soit redondante avec les images. Je recherche au contraire une dissonance entre ce que l’on voit et ce que l’on entend. Cette confrontation d’éléments opposés permet de représenter les émotions d’une manière assez originale. En tant que spectateur, je n’aime pas les films dont on ne retient que les images et pas la musique. Je préfère que les images rappellent la musique et que la musique rappelle les images, afin de garder le film en soi le plus longtemps possible après la projection.

Lee Byung Hun et Shin Min Ah dans A BITTERSWEET LIFE

Comment avez-vous travaillé avec l’acteur principal, Lee Byung Hun, qui est extraordinaire dans ce film ? Lui avez-vous donné des directives très précises ou l’avez-vous laissé contribuer à la création du personnage de Sun Woo ?
Je lui ai dit de jouer comme Alain Delon. (rires) On parlait beaucoup d’Alain Delon pendant le tournage, car le personnage qu’il incarne dans les films de Jean-Pierre Melville est bien sûr très intelligent et fait preuve d’un sang-froid impressionnant, mais il y a aussi quelque chose de délicat en lui, une vulnérabilité troublante. J’ai toujours été persuadé qu’Alain Delon interprétait à merveille ces rôles-là et j’ai donc beaucoup parlé de lui à mon acteur principal.

Quels sont vos prochains projets ?
Comme je vous l’ai dit, j’aime tenter de nouveaux genres et je travaille actuellement sur un projet commun avec deux autres réalisateurs. Je suis en train de faire un court-métrage de science-fiction avec une histoire de robot qui accède à une prise de conscience dans un temple bouddhique. (rires)

Propos recueillis par Caroline & Elodie Leroy

Article publié sur DVDRama.com le 17 avril 2006

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