M, de Lee Myung Se

M, avec Gang Dong Won : plongée dans la psyché d’un écrivain

Après Duelist, le réalisateur Lee Myung Se revient avec un mélodrame fantastique et psychologique avec Gang Dong Won.

Véritable ovni cinématographique, M confronte le genre du mélodrame avec celui du thriller aux relents lynchien, pour explorer les obsessions et la mémoire d’un écrivain raté hanté par le fantôme de son premier amour. Jouant sur les mises en abyme visuelles et narratives, M nous emmène habilement vers de fausses pistes pour finalement conter une histoire simple, sublimée par une mise en scène virtuose et une esthétique à couper le souffle.

Gang Dong-Won dans M

Lee Myung Se et ses controverses

Parce que nous aimons vous dénicher quelques curiosités cinématographiques, voici le très déroutant M de Lee Myung-Se. Le réalisateur déclenche une controverse à chacune de ces sorties.

Sa parodie des polars à la John Woo, Sur la Trace du Serpent (1999), peut certes se targuer d’un Grand prix au Festival du Film Asiatique de Deauville en 2000, mais avait déjà quelques détracteurs féroces. Son film suivant, Duelist (2005), déclenchait des réactions encore plus extrêmes, entre ceux qui acceptaient très mal de voir les affrontements au sabre mis au service d’une romance inversant les rôles homme/femme, et les autres qui applaudissaient la poésie visuelle des affrontements martiaux et amoureux des deux protagonistes romantiques interprétés par Ha Ji Won et Gang Dong Won.

Lee Yeon Hee dans M

Lee Myung Se revient en 2007 avec M, une plongée étrange dans la mémoire d’un écrivain marqué par une douloureuse histoire d’amour. Cette fois, la critique coréenne l’accuse de faire de l’élitisme en produisant un film abscons. Et ce n’est pas complètement faux, même si l’expérience m’a beaucoup plu.

Plongée dans la folie

Le teaser de M nous avait déjà scotchés. Baigné dans une ambiance surnaturelle, déployant des décors stimulant l’imaginaire, ces images annonçaient la couleur sur la narration alambiquée et la tonalité déroutante du métrage.

M, une simple lettre qui résume tout. Elle évoque le nom du principal protagoniste, Minwoo, mais aussi du fantôme qui le hante, Mimi. Elle renvoie également à quelques notions clés du récit telles que la mémoire, le meurtre, le mystère.

Lee Yeon Hee et Gang Dong Won

Mélangeant sans crier gare la réalité (si tant est que ce concept soit pertinent ici) avec les rêves paranoïaques des personnages, les souvenirs fugaces de Minwoo avec le roman qu’il tente désespérément d’écrire, M nous emmène dans le labyrinthe de l’esprit de Minwoo (Gang Dong-Won), un écrivain raté hanté par son premier amour, Mimi (Lee Yeon-Hee).

Enfouie (ou assassinée) dans son inconscient, Mimi ressurgit dès lors que le jeune homme prend la plume pour coucher enfin sur papier l’histoire qui l’obsède depuis son adolescence. Mais l’histoire qui nous est contée dans le film est-elle celle de Minwoo ou assiste-t-on aux hallucinations du fantôme d’une jeune fille qui refuse d’accepter sa propre mort ? A moins qu’il ne s’agisse du délire paranoïaque de l’épouse, Eun-Hye (Kong Hyo-Jin), qui assiste impuissante à la plongée de son mari dans la folie.

Gong Hyo Jin

Véritable étrangeté dans le paysage du cinéma coréen, M confirme le goût de Lee Myung-Se pour les expériences inédites, quitte à surprendre avec ses changements de ton, l’humour surgissant aux moments les plus inattendus, les échanges dialogués baignant parfois d’une atmosphère de thriller.

Devant un tel film, on ne s’étonne guère de la réputation de caractériel que le cinéaste s’est forgé sur les tournages. M n’en est pas moins une œuvre d’une grande cohérence artistique, dans laquelle les effets visuels et sonores sont travaillés dans le détail pour nous immerger dans la psyché des personnages.

Le passé demande des comptes au présent

Usant et abusant des jeux de répétition et de mises en abyme aux relents lynchiens, Lee Myung-Se brouille les pistes et joue avec les ambiances, parfois par pur plaisir de l’expérimentation. Au point que certaines scènes sont de pures démonstrations de virtuosité.

Il faut dire que l’esthétique de l’œuvre est à couper le souffle, qu’il s’agisse de ses partis pris sur les couleurs avec ses noirs intenses et ses rappels constants de mauve, du décor inquiétant de l’appartement envahi par des miroirs, ou même simplement de la ruelle sombre et onirique où se trouve le bar où tout a commencé. Car M est aussi un mélodrame à la coréenne, un vrai, dans lequel le passé demande des comptes au présent.

Gang Dong Won de retour dans l’univers de Lee Myung Se

Le casting glamour fait beaucoup pour le film, à commencer par Gang Dong-Won, qui interprétait déjà le fascinant Sad Eyes dans Duelist et qui se révèle sous un jour nouveau à travers ce rôle d’homme tourmenté et instable – on relèvera quelques clins d’œil amusants au personnage de Jack Nicholson dans Shining.

Kang Dong Won

L’actrice Lee Yeon Hee (Phantom) se révèle également convaincante en ingénue mélancolique. On eut aimé voir le rôle de Kong Hyo Jin (Guns and Talks) plus développé, mais l’actrice réussit comme toujours à imprimer sa marque grâce à sa présence charismatique.

Le final de M, un peu longuet, porte légèrement préjudice à l’impact émotionnel du film, mais on reste tout de même fasciné du début à la fin par cette histoire d’amour manquée entre un homme et un fantôme. A moins qu’il ne s’agisse d’une romance entre un écrivain et son personnage.

Elodie Leroy

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