Dorian Gray : Xia Junsu dans une comédie musicale fascinante

Découvrez notre avis sur Dorian Gray, la comédie musicale avec Xia Junsu que nous avons découverte à Séoul en 2016 et qui nous a scotchées.

Décidément, notre dernier voyage en Corée du Sud a été riche en émotions ! Notre séjour nous a permis de tenter une expérience nouvelle : aller voir une comédie musicale à Séoul, un domaine dans lequel les Coréens se sont déjà taillé une réputation d’excellence. Pour faire notre baptême, nous n’avons pas choisi n’importe quel musical : nous avons vu Dorian Gray avec Xia Junsu ! Autant faire les choses en grand.

Nous n’avons pas été déçues : produit par C-JeS Culture et mis en scène par Gina Lee, le musical Dorian Gray restitue les thèmes de l’œuvre originale dans sa version non censurée, quitte à faire preuve d’une certaine audace, et s’impose comme un spectacle de haut standing, tant sur le plan de la mise en scène, créative et puissante, que sur celui des prestations épatantes de chanteurs/acteurs. Dans Dorian Gray, Xia Junsu se révèle aussi sous un jour nouveau, à la fois sombre et rayonnant dans un rôle sulfureux qui lui va comme un gant !

Xia Junsu (Dorian Gray)

Entre Kpop et musical, XIA Junsu joue sur les deux tableaux

Xia Junsu, de son vrai nom Kim Junsu, semble mener une double vie depuis son départ de SM Entertainment : toujours star de Kpop à travers ses albums solos et ceux de JYJ, le vocaliste s’est fait un nom dans le monde de la comédie musicale en enchaînant depuis 2010 des spectacles prestigieux. Depuis ses débuts salués par la critique dans Mozart!, il a incarné la mort dans Elisabeth, le plus célèbre des vampires dans Dracula et le mystérieux enquêteur L dans Death Note – fan du manga, j’ai un petit regret de ne pas avoir vu ce show.

Ce qui est intéressant, c’est que ses rôles dans ses comédies musicales influencent son image en tant que star de K-pop. Cette inspiration est frappante dans le clip culte de Tarantallegra, où il incarne un personnage inspiré de son rôle dans Elisabeth, et troque son image de vocaliste de boys band à l’air innocent, pour celle d’un artiste queer et provoquant. Récemment, l’excellent clip de Rock the World se définit comme une sorte de trip sadomaso teinté de magie noire, ce qui n’empêche pas la star de continuer à nous livrer par ailleurs de jolies balades sentimentales.

Junsu dans Dorian Gray

Cette année, Xia Junsu nous gâte en se produisant dans l’adaptation d’un chef d’œuvre littéraire : Le Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde. Ce qui tombe vraiment très bien, puisque que j’adore ce roman dont le personnage principal, sa malédiction et ses relations troubles avec les autres hommes n’ont pas fini de fasciner.

Auparavant, j’avais vu deux films adaptés de ce roman, l’un réalisé en 1945 avec Hurd Hatfield dans le rôle titre (The Picture of Dorian Gray d’Albert Lewin) et l’autre en 2009 avec Ben Barnes (Dorian Gray d’Oliver Parker). La seconde se distinguait par ses scènes érotiques osées et une dimension horrifique assumée. Junsu est donc le troisième interprète de Dorian Gray dont je croise le chemin. Et quel interprète ! Je vais tenter de décrire le spectacle peu conventionnel auquel j’ai assisté.

L’époque victorienne vue de Corée

Pour ceux qui n’auraient pas lu Le Portrait de Dorian Gray… courez vite rattraper ce retard ! Comme je suis sympa, je vous rappelle quand même le synopsis.

La comédie musicale Dorian Gray, version coréenne

Lorsque le jeune Dorian, encore naïf et influençable, rencontre le dandy Lord Henry Wotton, il est interpellé par ses propos valorisant la jeunesse, la beauté et la satisfaction des plaisirs. Devant son portrait peint par son ami Basil Hallward, il prend conscience de sa beauté exceptionnelle et devient jaloux de l’œuvre, qui restera intacte tandis que lui verra sa beauté se flétrir. Il émet alors le vœu insensé que son portrait vieillisse à sa place. Pendant les 18 années qui suivent, Dorian Gray sombre dans la débauche et sème la désolation autour de lui. Sur son passage, il croise le chemin de Sybil Vane, une jeune actrice dont il tombe amoureux, mais qu’il finit par abandonner, la poussant au suicide. Sa beauté et son pouvoir de séduction restent inchangés, tandis que son portrait subit les ravages du temps et de ses vices.

Découvrir une interprétation en langue coréenne de cette œuvre très britannique a quelque chose d’un peu insolite. Pourtant, une fois devant le spectacle, tout passe comme une lettre à la poste. Il n’est même pas choquant de voir des Coréens dans des costumes victoriens. Même sans parler couramment le coréen (comprendre quelques mots aide bien évidemment à suivre !), il est facile de retrouver ses marques grâce à la limpidité du découpage et l’expressivité des comédiens.

Dorian Gray, musical coréen

J’ai donc retrouvé l’histoire sans trop de difficulté, malgré quelques modifications scénaristiques. Le changement majeur réside dans le personnage du frère de Sybil Vane, James Vane, qui devient une sœur, Charlotte Vane. La résolution finale, à la fois fantastique et tragique, diffère quant à elle légèrement de celle du roman, mais repose bien sur une confrontation avec le portrait. Un épilogue a également été ajouté, permettant à tous les comédiens de revenir sur scène.

Une mise en scène créative et psychologiquement puissante

Parfois comparé à La Peau de Chagrin (Balzac) pour le caractère faustien du personnage, Le Portrait de Dorian Gray est aussi riche que subversif dans son contenu, qui reste extrêmement moderne. Le musical colle au plus près des thèmes de l’œuvre : le narcissisme, le pouvoir de la beauté, la notion dérangeante du double, mais aussi l’hédonisme, le culte de l’esthétisme, l’art dans ce qu’il a de futile et d’essentiel à la fois.

Dorian Gray

Cette fidélité doit beaucoup à la mise en scène, impressionnante et créative. Soutenue par un découpage équilibré, qui alterne avec fluidité scènes de jeu et prestations musicales, elle parvient à mêler le réel et le mental en utilisant des éléments de décor, des jeux de lumière et des changements d’ambiance pour suggérer ce qui se trame dans la tête du personnage principal. J’ai été subjuguée par la manière dont les décors se modifiaient, moyennant un système de rail sophistiqué et étonnamment silencieux, ajoutant à la magie de l’ensemble.

La narration joue avec le temps et révèle un certain génie en regroupant parfois, dans une même scène, des événements se déroulant sur plusieurs années, ou en s’attardant au contraire sur un conflit intérieur du personnage à travers une scène conceptuelle. Certains passages utilisent ainsi des procédés originaux, comme ce moment étrange où Dorian évolue au milieu de danseurs qui le poursuivent avec des encadrements de tableaux métalliques, suggérant le conflit entre le personnage et son double pictural.

Le musical Dorian Gray, avec Junsu

Le portrait digital de Dorian Gray

Je me demandais comment le portrait à proprement parler, que Dorian a caché dans une petite pièce en haut d’un escalier, allait intervenir physiquement, et surtout, comment ses altérations seraient matérialisées. Il aurait été dommage de le regarder de loin, planté dans un coin de la scène !

La réalisatrice a trouvé une solution originale : la superposition. Ainsi, lorsque Dorian monte les escaliers en colimaçon, le portrait s’invite lentement dans le champ de vision du spectateur, en énorme, descendant par le haut. Cette mise en scène verticale du portrait, suspendu au-dessus de l’espace scénique, lui confère un caractère menaçant et éternel. Junsu peut alors redescendre l’escalier pour jouer la scène censée se dérouler dans la petite pièce. L’effet est psychologiquement intéressant : on a l’impression d’entrer dans la tête du personnage.

Je vous avoue que j’étais tellement concentrée pendant le show que j’ai mis un moment avant de comprendre une évidence : le portrait était en fait… un écran ! L’image peut ainsi évoluer, se ternir avec du sang ou des moisissures. C’est la technologie au service de l’art !

Le musical Dorian Gray, avec Junsu

Triangle amoureux : l’homosexualité des personnages explicite

Comme vous le savez, si vous avez lu le roman, la belle Sybil Vane n’est qu’une étape de la vie de Dorian Gray. Malgré ses piètres qualités d’actrice, dont Dorian ne se rendra compte qu’en entendant les railleries de son entourage, elle apparaît comme un ange innocent fauché par la malédiction. J’ai le souvenir d’une scène où ils apparaissent tout de blanc vêtus, lumineux, tandis que des anonymes tout en noir circulent et se pressent autour d’eux, annonçant le destin funeste de la jeune fille.

Parmi les rencontres de Dorian, les relations qui comptent le plus sont celles qu’il entretient avec les autres hommes de l’histoire, l’hédoniste Lord Henry Wotton et le peintre passionné Basil Hallward, avec lesquels il forme une sorte de triangle amoureux.

Pour rappel, lors des premières publications du roman Le Portrait de Dorian Gray, Oscar Wilde a dû faire face à une horde de critiques l’accusant de perversion, ce qui l’a obligé à modifier son œuvre. Jusqu’à récemment, non seulement les scènes de débauche, mais aussi la dimension homosexuelle avaient été édulcorées. La déclaration vibrante d’amour de Basil Hallward, notamment, avait été transformée en déclaration d’admiration un peu insipide. Il a fallu attendre 2011, soit 121 ans après sa première publication, pour qu’une version non censurée du roman apparaisse enfin dans les rayons des librairies.

Le musical Dorian Gray, avec Junsu

De manière intéressante, le film d’Oliver Parker avec Ben Barnes, qui date de 2009, intégrait déjà une scène d’amour entre Dorian et Basil, ainsi que le comportement de débauche de Dorian avec les femmes. Preuve que la version d’origine circulait déjà depuis un bon bout de temps. En revanche, selon les certains échos, le récent spectacle musical français de Thomas Le Douarec, adapté du même roman, s’est montré peu audacieux sur le plan de l’homosexualité.

Dans un pays comme la Corée du Sud, encore conservateur sur cette question, on pouvait se demander si une comédie musicale à gros budget (Dorian Gray a été très médiatisé, présence de Junsu oblige) oserait s’aventurer sur ce terrain. Il suffit de se souvenir du choc national engendré en 2005 par le film The King and the Clown pour comprendre que cela n’avait rien d’évident ! Pourtant, le musical Dorian Gray se lance très franchement sur cette piste, sans timidité aucune. Mieux, Dorian Gray passe à l’acte avec Basil Hallward au cours d’une scène très sensuelle. Une fois de plus, Xia Junsu n’a pas froid aux yeux.

Xia Junsu en dandy décadent

Qu’en est-il des prestations d’acteurs/chanteurs ? Dans Dorian Gray, Xia Junsu nous réserve une entrée en scène assez mémorable : l’arrière plan de la scène s’ouvre en profondeur, dévoilant Dorian marchant lentement en direction des spectateurs, dans une ambiance à la fois sombre et onirique. Le personnage, dont on sait qu’il est l’idéal de beauté de Basil Hallward, est alors entouré de mystère, cependant que Lord Henry Wotton chante Who is Dorian?

Avant de rencontrer son corrupteur, Dorian est de ces jeunes gens qui n’ont d’opinion et de point de vue sur rien, dont l’esprit est comme une terre en friche qui ne demande qu’à être cultivée. En déclamant son texte avec un ton un peu enfantin, Junsu restitue bien l’innocence béate du personnage. Sa voix aiguë (Junsu est ténor) paraît un peu étrange par rapport aux voix graves de ses partenaires, Park Eun Tae (Lord Henry Wotton) et Choi Jae Woong (Basil Hallward).

Le musical Dorian Gray, avec Junsu

L’histoire de Dorian Gray est celle d’une transformation, et c’est dans ce registre que Junsu se révèle particulièrement à son aise. Il excelle dans le passage de l’innocence au cynisme. La transformation est perceptible dans son attitude corporelle, ses expressions de plus en plus sombres, le ton de sa voix.

Il faut le voir dans cette scène musicale où Dorian apparaît entouré de femmes de petite vertu, cependant qu’en arrière plan, dans une cage, des hommes légèrement vêtus adoptent des postures évocatrices (et acrobatiques). D’ailleurs, cette superposition entre la dimension hétérosexuelle et homosexuelle m’a étrangement évoqué un passage du clip de Tarantallegra : vers 2mns30, Junsu debout devant la caméra, deux danseurs surgissant derrière lui tandis que les mains d’un troisième le touchent ; la seconde d’après, ce sont des femmes qui se frottent à lui.

Un ensemble d’acteurs/chanteurs de haut niveau

Parmi les acteurs secondaires de Dorian Gray, j’ai été conquise par Choi Jae Woong, qui possède une voix exceptionnelle et un charisme doux en Basil Hallward, Quant à Park Eun Tae, il en impose avec son regard perçant en Lord Henry Wotton. Xia Junsu, Park Eun Tae et Choi Jae Woong nous réservent d’ailleurs un superbe trio sur le titre Life of Joy, l’un des plus mémorables.

J’ai également beaucoup aimé Na Hana, qui interprète Charlotte Vane, la sœur vengeresse de Sybil Vane. Le changement du frère en sœur permet non seulement d’accorder un peu plus de place aux femmes, mais aussi de moderniser un peu Sybil Vane, interprétée avec grâce par Hong Seo Young : un personnage féminin est toujours plus consistant lorsqu’il entretien des relations affectives avec d’autres femmes. Hong Seo Young et Na Hana nous offrent d’ailleurs une superbe prestation chantée dans une scène de séparation émouvante.

Le portrait de Dorian Gray avec Junsu

Signée par la compositrice Kim Moon Jeong, une pointure du genre de la comédie musicale, la bande son de Dorian Gray traduit à merveille la passion et le désir des personnages. Les chansons mêlent les registres classique et moderne avec bon goût et mettent magnifiquement en valeur les voix des chanteurs/acteurs, en équilibrant les solos et les prestations collectives. J’ai été vraiment surprise par la qualité des chansons, mais aussi par le niveau vocal de tous les membres du casting, hommes ou femmes, acteurs secondaires comme principaux. Une OST est disponible depuis le 11 octobre en CD.

Je suis sortie de cette soirée avec des images et de la musique dans la tête, avec la sensation d’avoir vu un spectacle unique en son genre, créatif sans être abscons, et qui rend justice à l’œuvre d’origine. C’était par ailleurs la première fois que je le voyais Junsu se produire sur scène. On redécouvre toujours un artiste quand on se rend dans une salle de concert ou à un spectacle. J’ai énormément apprécié de le redécouvrir au sein d’un casting haut de gamme, en dehors de l’élément dans lequel j’ai été habituée à le voir, relevant à la fois un challenge d’acteur, de chanteur et de danseur avec brio.

Aller voir une comédie musicale au Seongnam Arts Center – Opera House

J’ajouterai quelques précisions pour toutes celles et ceux qui, de passage à Séoul (à une date où, comme par hasard, l’une de leurs stars se produit sur scène), souhaitent assister à une comédie musicale au Seongnam Arts Center. Allez-y sans hésiter ! Il vous suffira de réserver vos places à l’avance sur Internet. Nous avons pour notre part acheté nos billets début août sur Interpark pour la soirée du 8 septembre. Différentes gammes de prix sont proposées, allant de 40 euros à 130 euros. Je vous conseille, si vous avez un peu de budget, de prendre les places de catégorie 1 ou 2 (nous étions en catégorie 2), c’est-à-dire au niveau de l’orchestre. Cela dit, la salle n’est pas immense et vous avez la possibilité de louer des jumelles pour quelques euros dans un local à l’extérieur du bâtiment.

Situé dans la province de Gyeonggi, le Seongnam Art Center Opera House est accessible en métro, en rejoignant la Bundang Line (en bas à droite sur le plan du métro de Séoul). Arrivé à la station Imae, prendre la sortie 1 et marcher tout droit pendant environ 5 minutes. Le site se trouve sur la droite et il est très visible, vous ne pouvez pas le rater ! Si vous êtes logé au centre de Séoul, par exemple dans le district Jung-Gu, prévoyez 1h30 de trajet environ.

Une fois à l’intérieur du centre culturel, moyennant quelques dizaines de marches d’escalier à monter (il faut toujours avoir de bonnes jambes en Corée !), tout est encore une fois très simple : il vous suffit de retirer vos billets en vous positionnant dans la file d’attente correspondant à l’endroit où vous les avez achetés (la file Interpark pour nous). Pas d’inquiétude, tout est balisé et bien organisé !

Elodie Leroy

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