Strong Heart

Les variety shows coréens : la nouvelle frénésie mondiale

Un article pour comprendre comment les variety shows coréens sont devenus les plus tendance dans le monde entier.

Running Man, 1 Night 2 Days, Barefoot Friends, Infinity Challenge ou encore Law of the Jungle… Ces émissions TV coréennes cartonnent en Asie et font des adeptes en Europe, aux États-Unis, au Moyen Orient ou encore en Océanie. En France, des milliers de spectateurs délaissent les programmes français pour suivre assidûment ces variety shows et échanger quotidiennement à leur sujet sur les réseaux sociaux. Comment expliquer cet engouement mondial pour des programmes en langue étrangère ?

Running Man
Les animateurs du show Running Man

Running Man s’invite en France

Le happening s’est produit le 15 février 2014. Fans du game show coréen Running Man, des jeunes Français se sont donné rendez-vous pour prendre part à une reproduction grandeur nature du programme TV dans les rues de Paris. Arborant des T-shirts de couleur permettant d’identifier les équipes, avec chacun un nametag accroché derrière le dos, les « Runners » partent de la Place Vendôme et sillonnent la ville pour un jeu de piste qui les mène sur le Pont des Arts et Place du Trocadero, pour finalement s’achever Parc Montsouris.

L’événement, qui requiert une réelle organisation, est orchestré par l’association KajiaN, dont l’objectif est de faire découvrir les cultures asiatiques, et par le site de fans Running Man France. Une initiative également soutenue par plusieurs partenaires, parmi lesquels le Centre Culturel Coréen.

Les Français ne sont pas les seuls : ils échangent quelques jours plus tard sur Twitter avec des fans indonésiens du game show, qui ont eux aussi organisé un Running Man à Jakarta… Si le phénomène venait à devenir viral, il pourrait bien prendre des proportions similaires à la succession de flash mobs organisées en 2011 autour de la K-Pop dans différentes villes du monde.

Running Man n’est que l’arbre qui cache la forêt : chez les passionnés de Corée du Sud, les variety shows ont le vent en poupe. Pour d’autres, ils constituent une porte d’entrée idéale pour s’initier, dans la bonne humeur, à la culture pop du Pays du Matin Calme. Analyse d’une frénésie mondiale à l’ère numérique.

Le nouveau visage de la Hallyu

Ce n’est plus une nouveauté : la culture pop sud-coréenne fait fureur dans le monde entier. La tendance débute dans les années 1990 en Chine, dont l’ouverture offre à ce moment-là une porte d’entrée aux dramas coréens (feuilletons télévisés). La presse chinoise parle alors de Hallyu, ou vague coréenne, pour désigner l’attrait exercé par les productions du Pays du Matin Calme.

Dans les années 2000, la Hallyu est boostée par une politique publique misant sur la culture et les nouvelles technologies et se propage rapidement sur tout le continent asiatique, y compris au Japon dès l’année 2003, avant de se globaliser quelques années plus tard en gagnant le reste du monde. Une tendance qui a démontré son potentiel mainstream en 2012 avec le succès-surprise du titre Gangnam Style de Psy.

Si nos médias marginalisent encore le phénomène, il est pourtant bel et bien en train de s’installer durablement et ne concerne plus seulement la musique, les séries TV et le cinéma mais aussi la bande-dessinée, le jeu vidéo, la mode ou encore la gastronomie.

Cependant, s’il est un terrain que l’on aurait pu croire impénétrable même pour les plus passionnés, c’est bien celui des émissions télévisées : là où la musique et la fiction emploient des éléments de langage universels, les programmes télévisés sud-coréens intègrent, comme partout ailleurs, une gamme de références directement connectées aux préoccupations et au quotidien de leur public cible, qui demeure avant tout la population locale.

Imaginerait-on des Japonais ou des Coréens férus de cinéma français (et ils sont nombreux !) suivre assidûment Touche pas à mon poste, Le Grand Journal ou Vendredi Tout Est Permis ? Pourraient-ils seulement s’intéresser à nos téléréalités ? En général, lorsqu’un programme prouve son potentiel à l’étranger, les chaînes préfèrent en acheter le concept pour l’adapter.

Or contre toute attente, les programmes coréens franchissent les frontières de leur pays. En version originale et sous-titrée, s’il vous plaît.

Infinity Challenge
Les animateurs d’Infinity Challenge (MBC)

En Asie, les droits de l’émission Running Man, lancée en 2010 et devenue entre temps la plus emblématique de ce mouvement, ont été achetés par quelque neuf chaînes étrangères, implantées dans des pays incluant la Chine, le Japon, Singapour et l’Indonésie. En Thaïlande, des producteurs vont jusqu’à entreprendre des voyages à Séoul pour étudier les méthodes coréennes en vue d’améliorer leurs propres émissions.

Selon le Korea Times, le public chinois est particulièrement consommateur de variety shows coréens, en particulier Running Man et We Got Married. En plus d’avoir donné lieu, comme bien d’autres, à une version chinoise, le programme à connotation romantique We Got Married possède aussi sa version « globale ». Celle-ci associe des talents en provenance de plusieurs pays asiatiques et a fait l’objet, en 2012, d’un accord entre la chaîne coréenne MBC et Sony Pictures Entertainment Network Asia afin d’être distribuée dans 41 pays (Korean variety shows repeat success abroad, Korea Times, juillet 2013).

Aux États-Unis, où les dramas coréens sont depuis plusieurs années diffusés sur des chaînes du câble et bénéficient de sorties DVD, l’idée de diffuser les variety shows coréens est reprise par la chaîne web DramaFever, qui propose une offre légale et sous-titrée de dramas asiatiques et de télénovelas latino-américaines.

En 2013, DramaFever teste le potentiel des émissions TV avec Running Man. Résultat des courses : elle développe l’année suivante sa section variety shows et propose des émissions originales telles que 1 Night 2 Days et Infinity Challenge, mais aussi des programmes musicaux (Inkigayo) et même des talk shows (Strong Heart). Tout cela en version originale sous-titrée anglais.

Happy Together (KBS)
Le talk show Happy Together, animée par Yoo Jae Suk

De la K-Pop aux variety shows

Vous vous en doutiez un peu : la frénésie des variety shows coréens est née sur la toile et découle directement du reste, à savoir du succès de la K-Pop et des dramas.

En Corée du Sud comme chez nous, chaque sortie d’album, de film ou de série TV s’accompagne d’une promotion médiatique qui mène les stars à la télévision, et que les aficionados suivent assidûment, y compris les étrangers grâce aux sites de vidéo en streaming tels que YouTube et Dailymotion. Sur YouTube, chaque chaîne coréenne propose d’ailleurs ses programmes en replay. Seul problème : pour suivre, encore faut-il maîtriser la langue !

Pas de quoi décourager les amateurs de K-Pop et de dramas, qui sont majoritairement des jeunes ayant grandi avec Internet (ou des moins jeunes habitués à satisfaire leur soif de nouveauté par le Net). Leur comportement est à ce titre similaire à celui des boulimiques de séries américaines, c’est-à-dire gouverné par la logique du partage en ligne via des communautés permettant d’échanger des informations, du contenu et des émotions.

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Au fil des années, des équipes de fansubs se sont ainsi constituées autour des acteurs et des chanteurs afin de permettre aux fans ne parlant pas le coréen de profiter eux aussi des interviews filmées. Formées le plus souvent par des étudiants, ces « teams » sont organisées, réactives et à la pointe des réseaux sociaux. Or à force de pister leurs stars préférées, les consommateurs de ces fansubs ont fini par s’intéresser aux émissions elles-mêmes. Logiquement, des teams se sont constituées autour des programmes TV.

D’abord réalisés en anglais et dans plusieurs langues asiatiques, les sous-titres sont à présent disponibles dans bien d’autres langues, telles que le français, l’espagnol, l’allemand ou encore l’arabe. Une expansion qui s’est faite en grande partie au cours de l’année 2013. Les fansubbers endossent une fois de plus le rôle de prescripteurs : les chaînes qui ont acheté les droits de diffusion ou d’adaptation des programmes n’ont eu qu’à suivre le mouvement.

Un humour compris aux quatre coins du monde

Les programmes les plus populaires sont donc ceux qui sollicitent la présence de stars issues du monde des dramas ou de la K-pop, notamment les talk shows (Strong Heart, Happy Together…) et les émissions musicales (Inkigayo, KBS Music Bank…). Toutefois, certaines émissions sont désormais recherchées alors même qu’elles se déroulent sans invité, en particulier les programmes comiques : leurs animateurs suscitent un réel enthousiasme et peuvent être considérés comme de véritables hallyu stars.

Yoo Jae Suk
Yoo Jae Suk

C’est le cas de l’ancien lutteur Kang Ho Dong, aanimateur télé incontournable en Corée. Il œuvre entre autres dans 1 Night 2 Days, Barefoot Friends et Cool Kiz on the Block. C’est aussi le cas de Yoo Jae Suk, l’animateur préféré des Coréens, que l’on retrouve notamment dans Running Man, Happy Together et Infinity Challenge. Les deux trublions se partageaient la vedette dans le game show X-Man entre 2003 et 2007, et mènent aujourd’hui chacun de leur côté leurs propres émissions.

Si leurs programmes respectifs portent l’empreinte de leur personnalité, ils partagent tout de même quelques ingrédients-clés : un comique de situation compréhensible par tous, des personnalités pittoresques dotées d’une grande capacité d’improvisation mais aussi un goût prononcé pour l’aventure. Ces émissions plaisent aussi pour l’ambiance chaleureuse et l’esprit de camaraderie qu’elles dégagent, qui se situent à mille lieues du cynisme et du matérialisme de la plupart des émissions françaises d’aujourd’hui. La preuve vibrante que l’on peut être drôle sans verser dans la vanne méchante.

Les variety shows tournés en extérieur (Running Man, 1 Night 2 Days, Barefoot Friends), qui pullulent en Corée depuis quelques années, confrontent aussi les animateurs comme leurs éventuels invités à tout un tas de situations imprévues, ce qui permet de renouveler constamment les concepts, qui en deviennent très dynamiques.

Ces outdoor variety shows sont également l’occasion, pour les spectateurs, de ressentir l’ambiance de Séoul (Running Man), d’explorer les campagnes coréennes (Family Outing, 1 Night 2 Days) ou même de suivre les tribulations des animateurs dans le reste du monde (Barefoot Friends, Grandpas Over Flowers et sa version féminine Noonas Over Flowers).

Et si ces programmes demeurent marqués par des spécificités culturelles, notamment dans leur manière de parodier les rapports sociaux, celles-ci apportent un cachet typiquement coréen qui plait énormément aux aficionados. Ces derniers emploient d’ailleurs abondamment certains éléments de vocabulaire coréen (entre autres, le fameux Hwaiting!, que les Coréens disent pour s’encourager, et qui est dérivé du mot anglais Fighting).

Barefoot Friend
Barefoot Friends (SBS)

Ajoutons que les mondes de la musique et de la télé sont plus poreux en Corée qu’en France et qu’il n’est pas rare que des acteurs ou chanteurs s’essaient à la télévision en suppléant à un animateur de métier. À ce titre, le système de formation intensive des idoles (on appelle « idoles » les membres de boys bands et girls bands recrutés par les labels), qui vise à en faire des entertainers multi-talents, leur offre plusieurs possibilités de reconversion à long terme – la télé en fait partie.

Certains jouent ainsi sur plusieurs tableaux, ce qui contribue à installer leur popularité. Ce fut le cas de Kang Dae Sung, vocaliste du groupe musical BigBang (l’un des plus populaires à travers le monde) et membre permanent de la première saison du reality-variety show Family Outing (SBS, 2008-2010) : sa présence, ainsi que celle de la chanteuse Lee Hyori, popstar depuis la fin des années 1990, aux côtés de Yoo Jae Suk ont bien évidemment attiré l’attention des aficionados de K-Pop. Même chose pour Eunhyuk, Leeteuk et Shindong du groupe Super Junior, qui tiennent un show chez Kang Ho Dong entre 2009 et 2012 dans le talk-show Strong Heart (SBS), ou pour la chanteuse Uee du groupe After School dans Barefoot Friends (SBS).

Enfin, il n’y a pas que les idoles qui se diversifient : chanteur prodige et acteur de talent (on pouvait le voir récemment dans l’excellent drama Gu Family Book), Lee Seung Gi a également fait ses preuves en tant que co-animateur aux côtés de Kang Ho Dong dans Strong Heart (SBS) et 1 Night 2 Days (KBS).

Lee Seung Gi et Kang Ho Dong
Lee Seung Gi et Kang Ho Dong dans Strong Heart

Face à cet intérêt en plein boom, les sites éditoriaux spécialisés dans les dramas se sont déjà approprié le sujet. C’est le cas de Dramabeans.com, site anglophone faisant autorité sur le terrain des séries TV sud-coréennes, et dont la tagline « deconstructing Korean dramas and Kpop culture » fait référence à l’activité de débrief (ou « récap », dans le jargon des initiés) opérée par les rédactrices après chaque épisode de séries. Depuis la mi-2011, Dramabeans fait également des récaps d’épisodes de variety shows.

Sur les réseaux sociaux, les émissions coréennes sont abondamment commentées au fur et à mesure de leur diffusion sur les chaînes ; et ce, dans toutes les langues. Une petite recherche sur le terme « Running Man » dans le moteur de recherches de Twitter donne un aperçu de l’enthousiasme mondial suscité par le game show trépidant et attachant de la chaîne SBS, surtout si l’on ajoute les followers des animateurs ainsi que leurs nombreuses fanbases.

La télévision à l’ère numérique

Au départ, la popularité de ces émissions en Occident s’est faite sans stratégie ni publicité aucune de la part des chaînes sud-coréennes, qui ratissent d’ailleurs constamment le web pour faire enlever les contenus équipés de fansubs (puisqu’ils sont techniquement illégaux). Cependant, il était évident que les chaînes n’allaient pas rester sans réagir. Aujourd’hui, elles tentent de tirer parti de la situation. Et après tout, elles ont bien raison.

Ainsi, depuis quelques mois, la chaîne publique KBS met en ligne ses programmes passés et présents avec des sous-titres anglais, par le biais de la chaîne KBS World sur YouTube. Les amateurs qui maîtrisent la langue de Shakespeare peuvent ainsi découvrir ou redécouvrir, entre autres, le très sympathique talk-show Happy Together, où Yoo Jae Suk et sa troupe reçoivent leurs invités dans un sauna, ainsi que le reality-variety show culte 1 Night 2 Days, notamment la saison 1 avec Kang Ho Dong et sa bande de copains.

Autre exemple, la chaîne SBS cherche à étendre l’influence de l’Inkigayo, émission musicale qui requiert, entre autres, les votes des internautes pour effectuer ses classements d’artistes. Le système de vote est cependant nettement plus moderne qu’en France : les votes peuvent déjà se faire gratuitement par le biais des réseaux sociaux (Facebook, Twitter…) ou bien d’une App à télécharger sur son mobile.

En France, où les chaînes courent après le profit immédiat, ce n’est qu’en 2014 que l’on parle de la fin du SMS surtaxé et du passage à la gratuité du vote sur App mobile. La Nouvelle Star (D8) devrait s’y mettre lors de la prochaine édition, réagissant ainsi au lancement prochain de Rising Star sur M6 – l’émission qui devrait, selon la presse française, « révolutionner » le télé-crochet français.

En Corée, on a dépassé ce stade et on globalise les votes de l’émission Inkigayo afin que les fans internationaux soutiennent leurs artistes favoris. Le nec plus ultra, pour les fans de K-Pop les plus hardcore, est d’aller directement à Séoul assister aux émissions musicales où des stars se produisent chaque semaine (Inkigayo, Music Bank, M! Countdown…), quitte à faire la queue pendant plusieurs heures. Certains Français ont déjà tenté l’expérience et le Centre d’Informations Touristiques Coréen a d’ailleurs enrichi les colonnes de son site web d’une page donnant tous les renseignements nécessaires.

Quant à K-Pop Star, la version coréenne de La Nouvelle Star, son équipe s’est déplacée en 2013 pour faire passer des auditions aux États-Unis (à Atlanta, Chicago et Los Angeles) et a même mis en place un système d’auditions via YouTube… À la manière de son équivalente américaine, l’industrie musicale coréenne affirme sa puissance et sa qualité de terre d’accueil des talents étrangers.

1 Night 2 Days (KBS)

Les chaînes sud-coréennes ont non seulement compris la mondialisation, mais elles ont intégré le langage des internautes et le formidable potentiel d’expansion à long terme offert par le numérique. Espérons seulement que les téléréalités trash à l’occidentale ne gagneront pas trop de terrain sur les grilles des programmes (on en compte déjà quelques unes), et que les variety shows enjoués à la Running Man ou à la 1 Night 2 Days, qui se démarquent sensiblement des nôtres par leur énergie et leur esprit bon enfant, sauront garder leur authenticité.

À ce titre, les variety shows coréens ont-ils vraiment besoin de changer quoi que ce soit à leur orientation pour étendre leur popularité à travers le monde ? La venue récente, entre le 22 et le 26 février 2014, de l’équipe de Running Man en Australie suite à une invitation de l’Office du Tourisme Australien n’est pas passée inaperçue à Brisbane et à Melbourne ! Le réalisateur Cho Hyo Jin et sa troupe, emmenée par l’animateur Yoo Jae Suk, avaient déjà voyagé dans différents villes asiatiques (Hong Kong, Bangkok, Hanoï…) et se rendaient pour la première fois en dehors du continent. Le message a été si bien relayé par les fans sur les réseaux sociaux que le planning de la production a dû être chamboulé, pour cause de foule incontrôlable sur les lieux de tournage…

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Rendez-vous dans notre article consacré aux téléréalités coréennes pour une vision plus en profondeur de la culture du variety show qui s’est développée en Corée du Sud ces dix dernières années.

Elodie Leroy

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