La réalisatrice Song Yeon Hwa nous a livré quelques clés pour comprendre le fascinant drama Doubt à l’occasion de son passage au festival Canneseries.
Avec seulement quatre dramas à son actif, Song Yeon Hwa s’impose déjà comme l’une des révélations majeures de ces dernières années en Corée dans le domaine de la réalisation. Quelques jours après son passage en France, elle a d’ailleurs reçu le prix du meilleur réalisateur aux Baeksang Arts Awards 2025, une récompense prestigieuse qui devrait encore booster sa carrière.
L’exploit est d’autant plus impressionnant que le thriller psychologique Doubt est en réalité son deuxième drama en tant que seule réalisatrice, après le mini-drama Hunted en 2022. On se rappelle toutefois qu’elle était l’une des deux réalisatrices de The Red Sleeve, également somptueusement dirigé.
C’est donc avec beaucoup d’intérêt que nous avons échangé avec la réalisatrice prodige, venue présenter Doubt avec le producteur Kang Hak Gu dans le cadre de la sélection Focus Corée. L’occasion de parler réalisation, mais aussi acteurs, puisque la série s’articule autour d’un face à face mémorable entre l’acteur Han Suk Gyu et la jeune actrice Chae Won Bin.
StellarSisters : Comment avez-vous été amenés à travailler sur ce projet ? Quels sont les éléments qui vous ont attirés ?
Song Yeon Hwa : Nous travaillons tous les deux pour la chaîne MBC. Chaque année, ils organisent un concours interne pour découvrir de nouveaux scénaristes. Cette série est l’un des scénarios qui ont remporté le concours interne. C’est ainsi que nous avons découvert le projet. Et puis, à la première lecture de l’histoire, j’ai été impressionné par l’idée que nous ne connaissons peut-être pas tout de notre famille, de nos proches. C’est une idée tellement fascinante.
Kang Hak Gu : Pour compléter ce qu’elle vient de dire – ce qui l’a attirée dans cette histoire –, j’ai été particulièrement intrigué par le caractère unique de la relation entre le père et sa fille. À mon avis, il serait particulièrement déprimant pour un père de découvrir qu’il ne sait peut-être pas tout de sa fille. C’est cet aspect qui m’a le plus intrigué dans cette histoire.
Nous avons été très impressionnées par la réalisation de ce drama. La composition des plans est très réfléchie, et exprime quelque chose au sujet des personnages. Par exemple, le personnage principal a une personnalité très rigide, et cela se traduit dès le premier épisode à travers les lignes droites suivies par la caméra. Il y a aussi une matérialisation de sa relation avec sa fille à travers la manière dont est filmé le long couloir qui les sépare dans la maison. Comment avez-vous travaillé sur cet aspect ?
Song Yeon Hwa : Merci d’avoir reconnu les aspects importants que j’ai vraiment pris en compte lors de la composition de la série. Concernant les lignes droites que vous avez mentionnées, je pensais que le personnage avait un mode de vie très structuré. Il vit selon des règles et a une personnalité rigide. Et la caméra adopte des mouvements rectilignes : cela fait partie du personnage. Quant au couloir, c’était aussi intentionnel. Je ne sais pas si cela paraît normal au public français, mais en Corée, il est assez inhabituel que les chambres du père et de la fille soient séparées par un long couloir. L’idée était ainsi de refléter à l’écran le fait que la fille a quelque chose à cacher à son père. Le père doit donc l’approcher par ce long couloir pour apprendre à la connaître. C’était l’un des aspects souhaités.
Nous avons également été très impressionnées par une scène en particulier dans l’épisode 2. Il s’agit de la scène de flash-back de découverte du corps de l’enfant, qui est très esthétique, poétique même. Il n’y a pas de dialogue, seulement de la musique, et il semble que la caméra guide notre regard, sans tout montrer. Pourriez-vous nous dire comment vous avez construit cette scène ?
Song Yeon Hwa : Je pense que cette scène pourrait être particulièrement impressionnante pour certains spectateurs, car à ce stade de l’histoire, on ignore l’existence du fils. Lors de ce flash-back, nous découvrons que Ha Bin a en fait un petit frère. Quant à la scène de la découverte des parties du corps, je ne voulais pas la dépeindre de manière trop brutale. Mon intention était de créer une scène à la fois tragique et belle. C’est pourquoi des pétales de fleurs apparaissent à l’écran. Et cette scène est particulièrement importante, car c’est à partir de ce moment-là que le père commence à douter de sa fille. C’est donc une scène très symbolique.
Les acteurs principaux sont très différents. Han Suk Gyu est un grand acteur qui est très connu, tandis que Chae Won Bin est une nouvelle actrice très prometteuse qui endosse un rôle difficile, puisque nous ne savons jamais si Ha Bin est une adolescente vulnérable ou une psychopathe. Comment avez-vous travaillé avec eux pour construire cette tension entre les personnages ?
Song Yeon Hwa : Il y avait une alchimie formidable entre les deux acteurs. Han Suk Gyu est un acteur incroyable. Même sur le plateau, il a pris le rôle de leader auprès des autres acteurs. Il avait une différence d’âge importante avec la jeune actrice, Chae Won Bin, mais il souhaitait être traité au même niveau qu’elle. Nous avons beaucoup discuté avec lui de la manière de gérer les lignes émotionnelles très sensibles qui traversent l’histoire, car après tout, nous suivons le point de vue du protagoniste tout au long du récit. Quant au personnage de la jeune fille, il était important de dépeindre à la fois, comme vous l’avez souligné, ce qu’elle ressent réellement et ce qu’elle souhaite révéler à l’extérieur. Par exemple, un côté psychopathe. Grâce à l’excellente alchimie entre les deux acteurs, les détails sensibles de l’intrigue ont été parfaitement retranscrits.
Même s’ils n’arrivent pas à communiquer, le père et la fille ont des points communs dans leur personnalité : ce sont des personnes très intelligentes mais spéciales, qui ne s’entendent pas très bien avec les autres. Qu’en pensez-vous ?
Song Yeon Hwa : Je ne pense pas que les deux personnages eux-mêmes penseraient de cette façon, mais il est évident que leurs modes de vie peuvent se chevaucher. Du coup, je les vois aussi comme similaires, mais je pense qu’ils ne seraient pas contents d’entendre ça ! (rires)
A propos des deux policiers joués par Han Ye Ri and Roh Jae Won, l’un soit trop empathique et l’autre trop rationnelle. Comment avez-vous appréhendé la dynamique entre les deux personnages ?
Song Yeon Hwa : Je pense que le côté empathique et le côté rationnel sont les deux piliers du métier de profiler. Personnellement, je pense que ces deux aspects interagissent à travers le cerveau gauche et le cerveau droit, et qu’ils s’influencent mutuellement. Ils apprennent donc l’un de l’autre. Je pense que c’est aussi ce que l’autrice souhaitait (ndlr : Han Ah Young).
Kang Hak Gu : L’essentiel de l’intrigue était de voir comment votre point de vue change. En apparence, il s’agit de la façon dont le père perçoit sa fille, mais pour en revenir aux policiers, leur point de vue change également lorsque les indices ne concordent pas. Ce changement de perspective se recoupe, et c’était un aspect tout à fait intentionnel de la part de la scénariste.
Doubt est un drama artistique et exigeant, qui ne repose pas sur les formules habituelles. Quel a été votre sentiment devant son succès en Corée ?
Song Yeon Hwa : Nous ne nous attendions pas à un tel accueil pour une œuvre qui sort des sentiers battus. Mais l’accueil du public coréen a été si positif, et nous en sommes très reconnaissants.
Propos recueillis par Caroline Leroy
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