Ryu Seung Ryong et Yang Se Jong sont remarquables d’authenticité dans cette série ambitieuse et inclassable, mélange détonnant de comédie noire, d’action, d’aventure et de thriller qui émerveille par ses qualités artistiques et narratives.
Critique du drama Low Life
Avec le film d’action The Outlaws et la série criminelle Big Bet, le réalisateur Kang Yoon Sung prouvait déjà son affection pour les personnages de hors-la-loi hauts en couleurs, et son talent pour les dépeindre. Il continue dans cette voie en adaptant Pine, ou Le Gang en français, un webtoon célèbre de Yoon Tae Ho publié sur Kakao Page en 2014, et dont l’histoire suit un groupe d’individus peu recommandables lancés dans une course au trésor. Kang Yoon Sung assure non seulement la réalisation de Low Life, mais aussi son écriture en collaboration avec Ahn Seung Hwan.
Nous sommes à Séoul, en 1977. Oh Gwan Seok (Ryu Seung Ryong) et son neveu Oh Hee Dong (Yang Se Jong) vivent au jour le jour en commettant des larcins en tous genres. A l’occasion d’un nouveau séjour en prison, ils font la rencontre d’un certain M. Song (Kim Jong Soo) qui leur propose un coup d’un genre un peu particulier. Il s’agit de récupérer des poteries de grande valeur qui se trouvent au fond d’un navire chinois échoué sous la mer au large du Sinan.
Motivés par le montant estimé du butin, Gwan Seok et Hee Dong décident de partir à Mokpo pour tenter l’aventure. Pour ce faire, ils s’accordent au préalable avec Yang Jeong Sook (Im Soo Jung), une femme influente qui se propose de leur acheter les poteries pour les écouler avec l’aide de son époux, le PDG Cheon Hwang Sik (Jang Gwang). Cette dernière leur annonce également qu’ils seront accompagnés par son homme de main, Im Jeon Chul (Kim Sung Oh).
Arrivés à Mokpo, nos deux compères recrutent un capitaine de bateau, Hwang Tae San (Hong Ki Jun), ainsi que quelques hommes d’équipage improvisés. L’affaire se complique cependant lorsqu’ils découvrent que la rumeur de l’existence d’un trésor a commencé à se répandre dans tout le pays, attirant des escrocs en tout genre. D’autant qu’en parallèle, Hee Dong a commencé à s’intéresser de près à une jeune serveuse de café du nom de Seon Ja (Kim Min), ce qui pourrait bouleverser les plans de son oncle.
S’il y a une chose qui frappe immédiatement avec Low Life, c’est que tout y est foisonnant. L’image, le récit, les acteurs, chaque aspect de la série déborde de vie, témoignant d’un travail considérable et d’une passion palpable. Cette qualité de production, digne d’un long métrage de cinéma, en fait une série particulièrement originale, même parmi les contenus de plateforme.
Sur le plan formel, tout d’abord, Kang Yoon Sung affirme de nouveau son goût pour la démesure, comme il l’avait fait avec Big Bet. La direction artistique de Low Life est d’une beauté à couper le souffle. On reste notamment stupéfait devant la formidable reconstitution historique du quartier d’Insa-dong à Séoul, qui nous projette instantanément dans l’effervescence des années 70 en mobilisant un nombre incalculable de figurants. Le décor de la ville portuaire de Mokpo séduit de son côté par son charme rétro avec ses belles devantures de taverne, ses cabines téléphoniques pittoresques, ses ruelles en pente raide et ses cours intérieures frustes mais accueillantes.
De la même manière, les intérieurs minutieusement décorés donnent constamment le sentiment que les personnages y vivent réellement, qu’il s’agisse des pièces feutrées de la boutique Marilyn où Yang Jeong Sook a ses habitudes, du café chaleureux où Hee Dong vient séduire Seon Ja, de la maison modeste où réside Gwan Seok ou de l’entrepôt crasseux de l’ile de Jeung-do dans lequel nos rustres fomentent leurs plans.
L’ensemble est sublimé par des lumières somptueuses et des couleurs chatoyantes, qui flattent également les visages et les vêtements des acteurs.
Sur le plan narratif, ensuite, Kang Yoon Sung relève un défi particulièrement difficile, puisque ce sont près de dix-huit personnages qui se partagent l’écran tout au long des onze épisodes de Low Life. De quoi faire perdre le cap à n’importe qui, mais il n’en est rien ici. Le scénario complexe de la série se déploie ainsi avec une parfaite fluidité afin de nous laisser le temps nécessaire pour saisir les enjeux qui animent chacun.
Oh Gwan Seok incarne le point d’ancrage de Low Life, celui qui distribue les rôles et choisit ce faisant d’entrainer son entourage dans l’abime. On saisit bien vite que sa relation fusionnelle avec son neveu Hee Dong est compromise par sa tendance à l’utiliser comme larbin à la moindre occasion. Solide comme un roc, l’œil sans cesse aux aguets, Ryu Seung Ryong, captive avec son interprétation crédible et nuancée de cet homme autoritaire et calculateur, qui révèle peu à peu sa médiocrité tout en restant attaché à sa famille. La star de Moving participe aussi de manière effective à faire le lien entre les différents personnages de l’histoire.
Oh Hee Dong représente de son côté l’élément mobile qui, au gré des rencontres, y compris amoureuses, s’émancipe peu à peu de son oncle pour affirmer ses principes. Charismatique et sexy dans ses tenues années 70, Yang Se Jong rompt avec l’image innocente qu’il dégageait dans Doona! pour jouer un voyou brut de décoffrage et impulsif. Avec son regard profond et la richesse émotionnelle de son interprétation, il exprime brillamment la métamorphose de Hee Dong, qui laisse peu à peu entrevoir une sensibilité enfouie et une grande indépendance d’esprit. Yang Se Jong apporte ainsi à la série sa dimension humaine, laissant une forte impression.
Le troisième protagoniste, Yang Jeong Sook, tente par sa position privilégiée de rafler toute la mise. Im Soo Jung, vue notamment dans le drama Melancholia, accomplit également une superbe transformation d’actrice en jouant avec un plaisir manifeste une méchante mémorable, laissant derrière elle l’image un peu sage qu’on lui connaissait. Sa performance extravagante et toujours surprenante apporte beaucoup de fun à l’intrigue.
Avec un sens aiguisé du spectacle et un humour à toute épreuve, le réalisateur Kang Yoon Sung soigne les entrées en scène de tous ses personnages sans exception. Les interprétations truculentes des acteurs secondaires contribuent grandement au plaisir que l’on a à découvrir cet ensemble hétéroclite mêlant des voyous, des arnaqueurs, mais aussi de simples paysans et pêcheurs, des boxeurs et même des catcheurs. Les confrontations de ces énergumènes sont d’autant plus savoureuses que tous amènent avec eux leurs dialectes respectifs, dont au moins deux en provenance de Corée du Nord.
A ce titre, Jung Yun Ho de TVXQ (La Course au succès) livre une prestation particulièrement réjouissante dans le rôle d’un voyou bagarreur s’exprimant avec un fort accent du Jeolla. De même, Hong Ki Jun (déjà excellent dans Big Bet) est extraordinaire en capitaine de bateau faussement cool. On adore aussi Kim Sung Oh (Lies Hidden in my Garden) en intrigant professionnel, Kim Eui Sung (The Trauma Code : Appel à l’héroïsme) en redoutable embobineur, Jang Gwang (Tramway) en patron dissimulateur, ou encore Lee Dong Hwi (Chief Detective 1958) en flic revêche.
La débutante Kim Min tire aussi son épingle du jeu en jeune fille rêveuse et pleine d’aplomb. Sa romance discrète mais émouvante avec Yang Se Jong– romance qui débute au passage sur un échange de regards à travers un aquarium comme dans le film Romeo+Juliet (Baz Luhrman) – constitue d’ailleurs un bol d’air frais dans la série.
En effet, à de rares exceptions près, tous les personnages de Low Life sont mauvais. Les pilleurs deviennent même des exploiteurs à mesure qu’ils sollicitent sans scrupule les villageois et pêcheurs des alentours pour les aider à s’approprier le butin, quand ils ne pensent pas carrément à éliminer les rivaux gênants.
Au gré des mensonges, des complots et des trahisons, Low Life donne ainsi de multiples visages à l’avidité humaine tout en offrant un divertissement plein de rebondissements. Les scènes de plongée en mer sont à ce titre aussi impressionnantes qu’imprévisibles. La série séduit simultanément par le réalisme constant avec lequel sont traités les aspects pratiques de l’opération sous-marine dans laquelle s’embarquent les personnages, ce qui permet d’en mesurer à la fois la difficulté et la dangerosité.
La bande originale de Yoon Il Sang confère un dynamisme constant à l’ensemble, avec ses touches de western (« Sun-ja », « Harbor Side »), de disco (« Town Thugs ») et de rock (« Low Life »), tout en distillant des notes discrètes de mélancolie qui frappent au cœur. Tout comme il l’avait fait pour Big Bet, Yoon signe également la musique du générique d’ouverture lyrique et galvanisant de Low Life, qui nous embarque loin, très loin sur la mer du Sinan sous un magnifique soleil couchant, sans pourtant que l’on franchisse la frontière.
Car au bout du compte, le monde que nous découvrons, à travers la rencontre de ces personnages venus des quatre coins du pays et à l’écoute de tous ces dialectes qui s’entrechoquent, c’est la Corée elle-même, dont on a l’impression de sentir vibrer le cœur comme jamais auparavant dans une fiction télévisée.
Au-delà de la qualité de l’œuvre, cette particularité contribue sans doute à expliquer l’affection débordante que lui ont porté les téléspectateurs coréens dès le premier jour. Du 18 juillet au 24 août 2025, Low Life s’est en effet maintenu en tête du classement des séries sur Disney Plus en Corée du Sud, résistant même à la sortie du blockbuster américain ultra-marketé Alien: Earth. Pendant quatre semaines, la série a également investi le classement des dramas faisant le plus de buzz, se classant même numéro 1 pendant deux semaines, tandis qu’Im Soo Jung, Ryu Seung Ryong et Yang Se Jong trustaient au même moment les trois premières places du classement des artistes.
Ce fort retentissement donne déjà lieu à des spéculations sur la mise en œuvre d’une éventuelle saison 2. Le réalisateur Kang Yoon Sung et les acteurs n’ont pas encore apporté de confirmation à ce sujet, sans pour autant nier cette possibilité. Il n’y a plus qu’à espérer que cette séduisante idée se concrétisera.
Caroline Leroy
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