Kim Tae Ri est habitée par la passion du chant et du théâtre dans Jeongnyeon: The Star Is Born, un récit initiatique qui rend hommage au gukgeuk et au pansori, et émerveille par sa profondeur et ses prestations d’actrices de haute volée.
Il est rare qu’une histoire traduise avec autant de force la passion et les tourments d’un artiste. Jeongnyeon: The Star Is Born réussit cette prouesse en contant l’ascension d’une actrice de « gukgeuk », théâtre traditionnel féminin très populaire en Corée dans les années 50. On vous explique pourquoi Jeongnyeon: The Star Is Born est un drama bouleversant à voir absolument.
Au lendemain de la Guerre de Corée, dans la ville portuaire de Mokpo, Yoon Jeongnyeon (Kim Tae Ri) vit avec sa mère et sa sœur et travaille comme poissonnière. Passionnée par le chant, elle est repérée fortuitement par Moon Ok Kyung (Jung Eun Chae), une célèbre interprète de gukgeuk, qui entreprend de la former à son art. Jeongnyeon décide de la suivre à Séoul malgré l’opposition de sa mère. Arrivée dans la capitale, elle rejoint la prestigieuse académie de Maeran dirigée par Kang So Bok (Ra Mi Ran), où elle fait face à l’hostilité de Heo Yeong Seo (Shin Ye Eun), la stagiaire la plus talentueuse.
Théâtre, danse et pansori
Ecrit par Choi Hyo Bi (A Time Called You) et réalisé par Jung Ji In (The Red Sleeve), Jeongnyeon: The Star Is Born s’inspire d’un webtoon de Seo Ireh et Namon publié sur Naver entre 2019 et 2022. Le drama a connu un succès croissant lors de sa diffusion en Corée en 2024, passant de 4 à 16 % d’audience au fil de ses 12 épisodes.
Cette popularité est à la fois logique et étonnante. Logique car elle reflète les qualités narratives et artistiques du drama, qui est une merveille du début à la fin. Etonnante car l’histoire s’intéresse à un art aujourd’hui tombé en désuétude, le gukgeuk, dont la jeune génération de Coréens n’est guère familière.
Ce genre artistique, qui combine théâtre, danse et pansori (récit chanté accompagné de tambour coréen), a atteint son apogée dans les années 50, juste après l’occupation japonaise. À l’instar du Takarazuka Kagekidan au Japon, le gukgeuk était exclusivement pratiqué par des femmes, offrant une alternative au changgeuk, qui était réservé aux hommes. Cette particularité contraste aussi avec l’Opéra de Pékin en Chine, qui a longtemps été interdit aux femmes (comme ce fut montré dans le film Adieu Ma Concubine, de Chen Kaige). Comme aujourd’hui avec la K-pop, les fans de gukgeuk s’organisaient en fanclubs militants et célébraient le charme des « princes », héros masculins dont les interprètes féminines s’habillaient souvent en homme dans la vraie vie.
Dans la courte séquence qui ouvre chaque épisode de Jeongnyeon: The Star Is Born, les cinq actrices principales – Kim Tae Ri, Shin Ye Eun, Jung Eun Chae, Kim Yoon Hye et Ra Mi Ran – arrivent une à une sur une scène pour nous saluer. Le grain de l’image est retravaillé à la manière de la télévision des années 50 ; la voix off est déclamée par Cho Yeongsuk, star de gukgeuk de la première génération. Cette introduction nous met au parfum : les scènes de théâtre seront nombreuses dans Jeongnyeon: The Star Is Born et donneront lieu à des moments de grâce et de bravoure.
Epousant la trajectoire semée d’embûches de son personnage-titre, une paysanne partie de rien, Jeongnyeon: The Star Is Born suit une narration chronologique, ne recourant que de manière parcimonieuse et toujours signifiante aux flash-backs. Servi par une direction artistique remarquable, le drama dépeint en toile de fond une Corée du Sud d’après guerre en pleine transformation, alors qu’émergeaient dans le pays la musique pop et le cinéma – Jeongnyeon s’essaiera d’ailleurs à la pop – qui viennent mettre en danger le gukgeuk.
Pour faire le lien avec le septième art, les scènes de la maison familiale de Jeongnyeon ont d’ailleurs été tournées sur l’île de Cheongsando, qui était déjà l’un des lieux de tournage du film La Chanteuse de Pansori d’Im Kwon Taek.
La prise de risque d’un acteur
La force du drama, qui plonge son héroïne en immersion dans le monde du gukgeuk, est de mettre en osmose sa quête artistique et sa maturation émotionnelle. Au début de l’histoire, Jeongnyeon est une artiste en devenir, un « diamant brut » selon Ok Kyung. Avec son accent populaire et son attitude mal dégrossie (la composition de Kim Tae Ri est saisissante), elle a la chance d’avoir une voix exceptionnelle adaptée au pansori. Elle possède aussi une personnalité spontanée et une humilité naturelle qui lui permettent d’absorber comme une éponge tous les enseignements de ses maîtres.
À travers son évolution artistique, le récit met en lumière diverses facettes du métier d’acteur, comme la difficulté de trouver sa propre interprétation d’un personnage, ainsi que la nécessité de puiser en soi des émotions profondes pour l’incarner. Avec le risque de se laisser submerger par ses propres traumatismes, comme dans cette scène bouleversante de l’épisode 6 où Jeongnyeon perd le contrôle au cours d’un spectacle.
Jeongnyeon: The Star Is Born associe la quête individuelle de Jeongnyeon au travail collectif de la troupe de théâtre : le gukgeuk est un art qui se pratique avec les autres et nécessite une étroite collaboration entre les membres, en distinguant rivalités puériles et saine compétition.
Un moment de bravoure de l’épisode 7 montre différentes interprétations de Gomigeol et Précieux, deux personnages d’une pièce de gukgeuk. La recherche artistique autour de Gomigeol, que l’on découvre sous quatre visages différents, témoigne de la richesse et de la profondeur du travail d’un acteur dévoué à son art. Ce moment est aussi l’occasion, pour les actrices du drama, de se livrer à un exercice complexe consistant à imaginer comment leur personnage aurait interprété Gomigeol.
Le drama s’attarde également sur la manière dont l’équilibre d’une troupe peut être compromis ou au contraire nourri par les épreuves individuelles des membres. Saisissant les sentiments intimes des protagonistes, la réalisatrice Jung Ji In compose chaque cadre avec minutie, notamment lors des prestations théâtrales, qui font parfois écho à leur vie en dramatisant leurs relations. Cette mise en abyme, qui nous invite constamment à regarder la dynamique du groupe sous un autre angle, révèle au passage le talent d’une réalisatrice qui sait très précisément ce qu’elle veut dire à travers chaque scène, à chaque plan.
Vivre sa propre vie
Pour réaliser ses rêves, Jeongnyeon doit s’opposer à sa mère, Gongseon (Moon So ri), ancienne star de pansori qui projette ses propres échecs et ses souffrances sur sa fille. Elle trouve son reflet dans la haute société en la personne de la mère de Yeong Seo, Han Ki Joo (Jang Hye Jin), ancienne star d’opéra qui étouffe sa fille avec son désir narcissique de restituer sa gloire passée.
A ces figures maternelles oppressantes – mais qui ne sont pas unidimensionnelles pour autant – s’oppose la stabilité de Kang So Bok (Ra Mi Ran), directrice de l’académie d’apparence austère, mais qui est en réalité très bienveillante. Elle apprend d’ailleurs elle aussi à exprimer davantage ses émotions ouvertement au contact des jeunes filles, notamment de Jeongnyeon. C’est aussi à travers la directrice que le drama livre l’un de ses principaux messages, lorsqu’elle invite les jeunes femmes à vivre leur propre vie au lieu de se conformer aux attentes de leur mère.
Kim Tae Ri au sommet de son art
Dans un univers entièrement féminin, où les hommes occupent une place périphérique, les histoires d’amitié passionnelles entre les membres de la troupe agissent comme moteur du récit. La connotation homosexuelle de ces amitiés, bien qu’adoucie pour la télévision par rapport au webtoon, est évidente et les sentiments sont interprétés avec une grande délicatesse par les actrices.
A ce titre, l’excellence du casting est un atout majeur pour Jeongnyeon: The Star Is Born et offre de véritables satisfactions aux spectateurs du drama, qui est suspendu à leur moindre expression ou inflexion de voix, comme le public des spectacles de gukgeuk.
Kim Tae Ri livre une performance éblouissante et incroyablement attachante dans le rôle de Jeongnyeon, venant prouver, si l’on en doutait, qu’elle est la plus grande actrice de sa génération. Outre son énergie débordante et la richesse de son langage corporel, Kim Tae Ri fait montre d’une capacité remarquable à faire le lien entre l’action qui se déroule à l’écran (ou sur scène) et les émotions intimes de son personnage.
La mise en abyme évoquée précédemment joue à plein avec Jeongnyeon, dont les bouleversements intérieurs transpirent dans les prestations jouées ou chantées. Kim Tae Ri, qui réalise un travail vocal impressionnant dans ce drama, a étudié le pansori pendant trois ans pour ce rôle, et les efforts sont visibles à l’écran : elle nous envoûte avec sa voix et semble vivre pleinement chaque note de pansori qu’elle envoie.
Kim Tae Ri trouve une adversaire magnifique avec Shin Ye Eun (The Secret Romantic Guesthouse) dans le rôle de Yeong Seo, la rivale prétentieuse qui laisse peu à peu tomber sa carapace pour vivre enfin ses émotions. Hypersensible dans les scènes de conflit, Shin Ye Eun excelle également dans les scènes où elle campe un protagoniste charismatique de gukgeuk. Citons son show époustouflant pour l’audition d’Asadal, où l’on est scotché par sa présence intimidante et la force de son regard.
On remarque également la prestation touchante de Woo Da Vi (Maestra : Strings of Truth), qui fait des étincelles dans les scènes de répétition où Jooran laisse transparaître ses véritables émotions. On aime aussi l’interprétation digne et sensible de Ra Mi Ran (Une mauvaise mère ?) en directrice de Maeran, qui cimente le groupe avec un mélange d’autorité, de stabilité et de bienveillance. Ce rôle de pilier, elle le joue également au sein du casting du drama : ses échanges avec les jeunes femmes sonnent toujours vrai et poussent les actrices vers le haut.
De manière générale, Jeongnyeon: The Star Is Born sort du lot par son ensemble d’actrices très investies et qui donnent toutes de la voix au cours du drama, de Moon So Ri (Queenmaker), tantôt révoltante et tantôt émouvante en mère qui refuse d’affronter son propre passé, à Jung Eun Chae (Pachinko 2), élégante dans son costume de « prince », en passant par Kim Yoon Hye (Goodbye Earth), qui traduit à merveille l’angoisse des actrices d’être remplacées par des plus jeunes. On retient aussi Seunghee de Oh My Girl (Oasis) dans le rôle de Chorok, dont les talents se révèlent petit à petit (comme son personnage) et qui nous livre une jolie prestation chantée dans l’épisode 12.
Le travail, l’alchimie et l’engagement de toutes ces actrices, dont aucune ne cherche à tirer la couverture vers elle, illustrent en eux-mêmes l’hommage vibrant rendu au gukgeuk.
Elodie Leroy
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