A défaut de renouveler le concept, Squid Game 3 captive avec une intrigue palpitante et délivre son content de scènes qui collent le frisson. La franchise Squid Game entre dans la légende.
C’est une page de l’histoire des séries en streaming qui se referme : le 27 juin 2025, Squid Game 3 est arrivé sur Netflix comme un rouleau compresseur, balayant toute concurrence. Cette ultime saison s’offre déjà le meilleur démarrage jamais vu sur la plateforme avec plus de 60 millions de vues sur ses trois premiers jours. Elle est aussi la première série de l’Histoire à prendre la tête du classement sur les 93 territoires de Netflix en 24 heures. Elle n’égale pas encore la saison 1 de Squid Game, qui du haut de ses 265 millions de vues cumulées et 2,2 milliards d’heures visionnées continue, quatre ans après sa sortie, de narguer les productions américaines les plus luxueuses en occupant la tête du classement mondial. Elle devrait cependant dépasser la saison 2, qui arrive en troisième position avec 192 millions de vues cumulées.
Qu’en est-il sur le plan artistique ? Après une saison 2 sympathique mais souffrant de quelques baisses de régime, cet ultime chapitre relève le niveau à la faveur d’un scénario rythmé, de nouvelles trouvailles ludiques et de personnages consistants interprétés par un casting solide. Les chiffres cités plus haut témoignent aussi d’un fait important : au-delà de la fascination pour les jeux mortels, Hwang Dong Hyuk a sur créer, avec la franchise Squid Game, une cote affective durable auprès d’un public issu des quatre coins du monde.
Vertiges et corde à sauter
La saison 3 de Squid Game débute au moment précis où s’arrêtait la précédente, juste après l’échec cuisant du plan d’évasion imaginé par Seong Gi Hun (Lee Jung Jae), causant la mort de plusieurs joueurs, dont l’un de ses meilleurs amis, assassiné froidement par le Front Man (Lee Byung Hun). Alors que Gi Hun est mis à l’écart et se mure dans son silence, le climat se tend entre les autres compétiteurs qui doivent voter pour continuer ou arrêter le jeu. Pendant ce temps, Hwang Jun Ho (Wi Ha Joon) poursuit ses recherches pour retrouver l’île où se tient secrètement le jeu mortel.
Squid Game 3 est gouverné par un objectif salutaire : l’efficacité narrative. Le scénario, habilement ficelé, s’articule principalement autour des épreuves du jeu. L’intrigue s’autorise quelques respirations avec le périple en bateau du groupe de Jun Ho et les efforts de No Eul (Park Gyu Young) pour sauver le père de la petite fille malade qu’elle avait rencontrée dans la saison 2 (père joué par Lee Jin Wook). Cependant, nous retrouvons très vite la sensation de huis clos qui rendait la saison 1 si oppressante. Les codes visuels et le style musical sont également intacts, la série ayant su conserver une grande cohérence artistique tout du long.
En un rien de temps, voici les joueurs répartis en deux groupes, bleus et rouges, les uns dotés de mystérieuses clés et les autres armés de poignards. La logique implacable du jeu est en marche et le spectateur se trouve embarqué très vite dans une course poursuite dans un labyrinthe, un jeu qui tourne rapidement à la boucherie. De quoi faire disjoncter plusieurs personnages déjà en proie à des dilemmes insoutenables, et qui se voient obligés de choisir entre tuer ou être tués.
Notre jeu préféré de cette saison 3 est cependant celui de la corde à sauter géante. Entre la traversée périlleuse de Gi Hun, qui donne littéralement des sueurs froides, et les numéros de funambules sous ecstasy de certains joueurs, Squid Game 3 frappe fort avec cette épreuve vertigineuse pleine de rebondissements sur fond de comptine pour enfant. Ce jeu réunit les qualités qui avaient fait le succès de la série d’origine : un sens de l’absurde nourri par la confrontation entre le monde de l’enfance et la violence, une dramaturgie maîtrisée du déroulement du jeu et une bonne dose de sensations fortes à la faveur de savants jeux de caméra.
Entre rédemption et cupidité dévorante
Ce dernier chapitre reste également fidèle à l’esprit de Squid Game en contrebalançant la cruauté des jeux par un volet mélodramatique omniprésent. La nature humaine et ses recoins les plus sombres agissent toujours comme moteur de l’histoire, mais les bons sentiments sont au rendez-vous pour donner un sens à cette histoire ironique, où chaque personnage peut être fauché d’un moment à l’autre.
La critique sociale sur le capitalisme sauvage, en revanche, n’apporte rien de neuf, tout ayant été dit dans la saison 1. Ou presque : certains personnages déjà présents dans la saison 2 incarnent des fléaux de notre société moderne, comme ceux de l’homme d’affaires (Song Young Chang) et de la gourou (Chae Gook Hee), qui ont en commun d’utiliser leur statut pour exploiter les autres. Les VIP, qui semblent être exclusivement américains et chinois, évoquent quant à eux les velléités impérialistes des grandes puissances étrangères.
C’est étonnamment le Front Man qui souffle l’un des thèmes de cette saison 3 en s’adressant à Gi Hun : « Tu fais toujours confiance aux gens ? ». Il sera beaucoup question de confiance au cours de ces six épisodes, où se nouent des alliances durables entre joueurs intègres (Jun Hee, Geum Ja et Hyun Ju, par exemple) et des collaborations de fortune entre des personnages plus borderline (Myung Gi et Nam Gyu).
Plus discrets que dans la saison 2, Gi Hun et le Front Man se positionnent principalement en observateurs des conflits dans cette saison 3. A ce stade de la série, Hwang Dong Hyuk peut se reposer sur l’intensité du regard de Lee Jung Jae (Deliver Us From Evil) et la présence charismatique de Lee Byung Hun (Concrete Utopia) pour leur apporter de la consistance, mais l’on regrette que le duel psychologique amorcé dans la saison 2 ne se prolonge pas davantage. Ce choix scénaristique laisse un goût d’inachevé dans le développement de cette relation complexe, marqué par la rancœur du côté de Gi Hun et par un mélange de jalousie et d’admiration du côté du Front Man.
Parmi les personnages secondaires, certains parcours provoquent un léger scepticisme, comme la relation mère/fils entre les joueurs 149 et 007, joués par Kang Ae Sim (Oh My Ghost Clients) et Yang Dong Geun (Les Pouvoirs de l’ombre). D’autres personnages laissent de marbre, comme Hyun Ju (Park Sung Hoon, La Reine des Larmes), dont la caractérisation semble avoir été conçue pour satisfaire le public américain, ou Jun Hee (Jo Yu Ri, Work Later, Drink Now 2), passive du début à la fin.
D’autres protagonistes tirent au contraire leur épingle du jeu, comme Myung Gi (joueur 333), qui se retrouve tiraillé entre son envie de se racheter auprès de Jun Hee et sa cupidité dévorante. Il fallait un acteur capable de traduire une vraie complexité émotionnelle pour interpréter ce personnage et Im Si Wan (Boyhood) relève ce challenge avec brio, maintenant un suspense constant sur les plans de ce personnage dont les choix font toujours réagir. On aime aussi la performance attachante de Park Gyu Young (Nine Puzzles), qui apporte avec un jeu très intériorisé une sensibilité subtile à son personnage de tueuse nord-coréenne en quête de rédemption.
L’une des forces de Squid Game 3 est de trouver le juste équilibre entre les scènes purement mélodramatiques si chères aux dramas coréens, les moments d’angoisse et les poussées d’humour noir. Trois personnages apportent à ce titre le grain de folie nécessaire à tout game survival qui se respecte. On pense tout d’abord à Nam Gyu (joueur 124), l’acolyte de Thanos dans la saison 2 : le très doué Roh Jae Won (Doubt) est en roue libre pour nous délivrer des moments totalement déjantés. David Lee (Law School) est également très bon dans le rôle de sa victime qui sombre dans un cauchemar sans fin. On retient aussi Kang Ha Neul (A son goût), excellent en minable dont la fuite hystérique fait écho à son incapacité à assumer les conséquences de ses actes.
Pari réussi pour Hwang Dong Hyuk
En conclusion, Squid Game 3 n’égale pas la saison 1, qui reste la référence et dont l’impact continue de se ressentir quatre ans après. Avec ses décors surréalistes, ses uniformes roses pour les soldats et ses survêts turquoise pour les joueurs, l’esthétique de Squid Game laisse aussi une empreinte vivace dans la culture pop mondiale. Une empreinte esthétique et affective : lorsque s’achève le dernier épisode, nous ressentons ce petit pincement au cœur caractéristique du moment où il faut dire aurevoir à un univers et des personnages auxquels nous nous étions finalement attachés.
Hwang Dong Hyuk réussit donc avec succès son pari, celui de conclure Squid Game en remplissant le cahier des charges imposé par Netflix, quitte à verser un peu dans la surenchère en matière d’hémoglobine, tout en respectant l’esprit de la série d’origine et par là même les attentes des fans. L’exercice était pourtant périlleux quand on sait que ces suites sont de pures commandes de Netflix, là où la saison 1 était un projet personnel développé depuis dix ans.
Une chose est sûre, la frénésie du public mondial, qui s’est littéralement jeté sur ces six nouveaux épisodes dès le premier jour, démontre que le phénomène Squid Game ne faiblit pas. Rien que pour cette raison, le travail de Hwang Dong Hyuk force le respect.
Appropriation américaine
L’information est partout dans la presse : l’actrice australo-américaine Cate Blanchett fait un caméo dans l’épilogue de Squid Game 3 au cours d’une séquence qui amorce sans ambiguïté un spin off américain. Bien que ce projet soit entre de bonnes mains, puisqu’il sera réalisé par David Fincher, il éveille en nous une certaine méfiance, et ce, pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, Hwang Dong Hyuk a déjà développé l’essentiel de son propos dans la saison 1, qui se suffisait à elle-même. Si ces suites s’avèrent finalement réussies, est-il nécessaire de tirer davantage sur la corde ? Le risque est de voir Squid Game tomber dans les mêmes travers que les films de superhéros hollywoodiens, celui de faire tourner le concept à vide.
Ensuite, il est difficile de ne pas voir, dans ce spin off, une tentative d’appropriation par les Américains du succès construit par les Coréens. Dans un contexte commercial où Hollywood écrase toute concurrence avec des productions aux budgets marketing dantesques (excessifs, selon nous), les Américains ne peuvent-ils pas laisser briller un autre pays, le temps d’une franchise ?
Enfin, l’impact de Squid Game a tout à voir avec ses origines coréennes. Des origines qui se traduisent non seulement par des éléments culturels (le Jeu du Calmar, par exemple), mais aussi par le langage artistique de Hwang Dong Hyuk et sa manière très coréenne de raconter les histoires et de dépeindre les sentiments. Plus généralement, les séries coréennes doivent en partie leur succès à l’art de parler à nos émotions et de décrire les réalités de la vie sans plaquer dessus aucune idéologie. Les Américains sauront-ils restituer cette fraîcheur des sentiments et cet attachement à l’humain ? Nous nous permettons d’en douter. Pour ces raisons, ce projet de spin-off américain ne laisse rien présager de bon. L’avenir nous dira si cette réaction à chaud est justifiée.
Elodie Leroy
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