Entre retour en enfance et compétition sanglante, le drama Squid Game joue avec nos nerfs et fait le buzz sur Netflix. Coup de cœur.
Vous ne verrez plus jamais vos jeux d’enfants de la même façon ! Disponible depuis le 17 septembre 2021 sur Netflix, Squid Game met en scène un jeu de la mort impitoyable entre des personnes désargentées. En quelques jours, la série s’est classée parmi les programmes les plus regardés sur la plateforme, atteignant notamment la première place aux États-Unis et en France. Un engouement mondial justifié par la qualité de cette série à la fois ludique, glaçante et émouvante, qui gagne en intensité au fil des épisodes pour délivrer une allégorie percutante du capitalisme. Outre la réalisation inspirée de Hwang Dong Hyuk, qui signe également le scénario, la série doit beaucoup à son casting exceptionnel emmené par Lee Jung Jae.
Un, deux, trois, soleil !
Un groupe de 456 personnes endettées jusqu’au cou acceptent une invitation à participer à un étrange défi : jouer leur vie en se prêtant à des jeux d’enfant potentiellement mortels. Les gagnants se partageront la coquette somme de 45,6 milliards de wons (environ 33 millions d’euros).
Un an et demi après le drama japonais Alice in Borderland, dont la saison 2 est en préparation, Netflix continue d’explorer le concept du game survival en prenant cette fois pour terrain de jeu la Corée du Sud. Le genre a déjà été exploré maintes fois, en particulier au Japon, de Battle Royale (Kinji Fukasaku) à Kaiji (Tôya Satô), en passant par le drama Liar Game. Le challenge, pour le réalisateur Hwang Dong Hyuk (The Fortress), était de se détacher de ses inspirations pour imposer sa patte.
Le défi est largement relevé, et ce, dès les scènes d’introduction, qui brossent le portrait du protagoniste principal avec ce ton réaliste et satirique qui fait tout le charme des thrillers coréens à portée sociale. A quarante-sept ans, Seong Gi-Hun (Lee Jeong Jae) ne fait rien de sa vie et habite toujours chez sa mère, qui trime toute la journée pour l’entretenir. Criblé de dettes, il rencontre un inconnu qui lui propose de participer à un jeu pour gagner une énorme somme d’argent.
Sur un rendez-vous nocturne, il monte dans un mystérieux fourgon et se réveille quelques heures plus tard au milieu de centaines d’inconnus ayant accepté l’invitation. Vêtus de survêtements bleus avec des numéros, les participants sont soumis à un quotidien millimétré par des hommes masqués en costume rose. Le premier défi ? Jouer à « Un, Deux, Trois, Soleil ! » contre un robot équipé d’un détecteur de mouvement. Gare aux perdants, qui seront abattus sur place par des snipers.
L’enfer de l’endettement
Servi par une direction artistique singulière donnant la part belle aux formes naïves et aux couleurs vives, Squid Game nous plonge dans un monde surréaliste, qui détourne les codes de l’enfance pour enfermer les personnages dans une prison labyrinthique. Le contraste entre cet univers coloré et la noirceur de l’histoire participe du pouvoir de fascination de la série.
Connu au cinéma pour le drame Silenced et le blockbuster guerrier The Fortress, le réalisateur Hwang Dong Hyuk réussit haut la main son virage vers le petit écran. Maîtrisant l’art du découpage propre à l’exercice de la série, il développe une intrigue à la fois choquante et captivante, qui nous tient en haleine grâce à des montées de tension savamment orchestrées et des cliffhangers habiles.
Travaillant aussi bien le style visuel que l’ambiance sonore de la série, Hwang Dong Hyuk délivre des moments saisissants dans les scènes de jeu. Squid Game atteint parfois des sommets de violence. Il faut voir les exécutions sommaires qui s’enchaînent dès l’épisode 1, mais aussi la bagarre collective de l’épisode 4, qui fait basculer les personnages dans une tornade de violence barbare.
Les profils des joueurs sont ceux de laissés pour compte : une femme enceinte endettée, une transfuge nord-coréenne, un immigré pakistanais, un homme âgé sans domicile… Les participants ont tous un point commun, celui d’avoir tout perdu ou d’avoir sombré, pour des raisons diverses (divorce, perte d’emploi, addiction aux jeux…), dans la spirale de l’endettement ou du manque d’argent.
Il y a fort à parier que cette dimension participe au succès phénoménal de Squid Game. Par rapport aux précédentes oeuvres du genre, qui restent résolument ancrées dans le registre de la fantaisie, le drama explore davantage la dimension sociale de l’histoire en révélant au fil de l’eau les drames personnels qui ont mené aux situations des personnages. Or la sortie arrive précisément au moment où la crise sanitaire du COVID-19 se mue en une crise économique majeure, qui devrait avoir des effets dévastateurs dans les dix années à venir.
Compte tenu de ce contexte, il n’est pas difficile de comprendre pourquoi ce jeu cruel pour la survie, qui reproduit le système de compétition sociale engendré par le capitalisme, passionne des millions de spectateurs à travers le monde.
L’humanité en plus
Qu’ils soient bons ou mauvais, les personnages de Squid Game arrivent tous avec une histoire douloureuse, mais aussi avec de petits ou de gros défauts de caractère susceptibles de causer leur perte, entre ceux qui accordent trop facilement leur confiance aux autres, ceux qui s’entourent des mauvaises personnes et ceux qui pèchent par excès d’égoïsme. L’accent est mis sur leur individualité, à l’inverse des agents du jeu qui effacent leur identité sous un masque (l’organisation du personnel évoque les régimes communistes).
Le réalisateur réussit le tour de force de marier le caractère fantaisiste du jeu avec un traitement réaliste des personnages, dont les réactions s’avèrent crédibles jusqu’au bout. Nous sommes loin des méchants caricaturaux d’Alice in Borderland, dont l’univers se voulait plus proche de celui d’un manga.
Cette touche d’authenticité distingue une fois encore Squid Game des classiques du genre. D’ailleurs, si le jeu auxquels se livrent les personnages est impitoyable, la série en elle-même ne sombre jamais dans le cynisme. Il n’est pas un joueur dont la mort ne suscite pas au moins une touche d’émotion.
Lee Jung Jae excellent en loser attachant
Squid Game s’offre les services d’un ensemble d’acteurs talentueux, dont le jeu croustillant contribue à rendre la série addictive.
Top star au cinéma comme à la télévision, Lee Jung Jae (Chief of Staff) est excellent dans le rôle de Gi Hun. Immense loser au début du drama, il est amené à se ressaisir et à révéler ses qualités au fil des épreuves. La mise en avant de Gi Hun comme personnage principal n’a rien d’un hasard : il est celui qui valorise l’entraide et tente de créer des liens humains entre les personnes malgré l’ambiance de suspicion qui s’installe.
L’énigmatique Sang Woo, l’ami d’enfance de Gi Hun, est quant à lui interprété par Park Hae Soo (La Traque), très bon dans ce personnage ambigu qui nous fait constamment nous interroger sur ses intentions. Quant à la mannequin Jung Ho Yeon, elle révèle une présence magnétique dans le rôle de Saet Byeok. Ses débuts d’actrice prometteurs ne devraient pas passer inaperçus.
On retient également la performance de Heo Sung Tae (Au-delà du Mal), acteur au jeu toujours aussi savoureux et qui campe ici le leader de gang, mais aussi celles de Kim Joo Ryung (When My Love Blooms) en folledingue qui harcèle tout le monde (et nous fait beaucoup rire), Oh Young Soo (Queen Seon Duk) en vieil homme malicieux et Anupam Tripathi (Hospital Playlist) en travailleur étranger altruiste. On apprécie également Wi Ha Joon (Romance is a Bonus Book) en flic infiltré, un personnage dont les aventures donnent des sueurs froides tout au long du drama.
Squid Game est aussi l’occasion de quelques caméos, parmi lesquelles celle de Gong Yoo (Goblin, Dernier Train pour Busan) – l’homme distingué qui donne des gifles dans le métro, c’est lui. Pour l’anecdote, Gong Yoo était l’acteur principal de Silenced (2011) du même réalisateur, un drame poignant traitant d’abus sexuels sur mineurs. L’acteur s’était alors personnellement impliqué faire aboutir ce film.
La fin de Squid Game ouvre la possibilité d’une suite, mais aucune annonce officielle n’a été faite pour le moment. Le succès inattendu de la série, qui dépasse désormais celui de Sweet Home, ne devrait pas laisser les décideurs de Netflix indifférents.
Elodie Leroy
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