La série Netflix du réalisateur de The World of the Married nous plonge dans une ambiance captivante traversée de poussées ultraviolentes.
Il semble que Netflix ait pris goût à choquer ses abonnés avec une série coréenne hors norme pour finir l’été en beauté. Après la comédie noire Mask Girl l’année dernière, c’était ainsi au tour de la série à suspense Les Silences de la forêt (The Frog à l’international) de faire sensation dès sa sortie le 23 août 2024 – elle était d’ailleurs encore classée dans le Top 10 mondial des séries non-anglophones de la plateforme jusqu’à la semaine dernière.
Une fois n’est pas coutume, l’œuvre n’est pas adapté d’un webtoon, ni même d’un livre, mais découle de l’imagination fertile de Son Ho Young, un nouvel auteur qui a gagné un prix d’excellence en écriture dramatique dans le cadre du concours de nouveaux scénaristes de JTBC en 2021 (source Wikipedia). Il avait au préalable écrit l’épisode Drama Stage 2020: Everyone is There. Une chose est sûre : il s’agit d’un talent à suivre.
Articulé en 8 épisodes, Les Silences de la forêt a pour particularité de dérouler deux intrigues sur des périodes distinctes. Dans le présent, on suit les mésaventures de Jeon Yeong Ha, un homme devenu veuf depuis peu, et qui vient de changer en gîte touristique son ancienne maison située en pleine forêt. Alors que les clients tardent à venir, une jeune femme fait son apparition accompagnée d’un petit garçon. Plus le temps passe, et moins Jeong se sent à l’aise en sa compagnie. Un an plus tard, la femme revient et commence à le harceler.
En parallèle, on s’attarde sur les événements tragiques survenus durant l’année 2001 dans la vie de Koo Sang Jun et de sa famille, propriétaires du Lake View Motel situé dans la même forêt, suite au passage d’un client douteux.
Le point commun qui lie les deux histoires apparaît de plus en plus évident à mesure que la série progresse, distillant son atmosphère glaçante traversée de fulgurances violentes, voire carrément gore lorsque le cauchemar prend forme pour chacun des deux protagonistes principaux.
La partie située dans le présent s’appuie sur la performance solide et très humaine de Kim Yun Seok, acteur vétéran dont la longue filmographie compte notamment The Chaser (Na Hong Jin), Escape from Mogadishu (Ryu Seung Wan) et plus récemment Noryang: Deadly Sea (Kim Han Min). Il s’agit du premier drama de Kim Yun Seok depuis Thank You For My Life en 2006, et l’on comprend ce qui a pu attirer une star du grand écran telle que lui dans ce projet exigeant.
La partie située dans le passé est quant à elle menée par Yoon Kye Sang (Le Jour du kidnapping) en gérant dépassé par les événements. L’acteur démontre une nouvelle fois l’étendue de son registre avec une performance émouvante et subtile, aux antipodes de son rôle de méchant barré dans le film The Outlaws (Kang Yoon Sung).
Faisant le lien entre les deux époques, le personnage de la policière Yoon Bo Min est incarné dans le passé par l’attachante Ha Yoon Kyung (J’irai te voir dans une prochaine vie), et dans le présent par l’excellente Lee Jung Eun (Daily Dose of Sunshine).
Le va et vient entre ces différentes temporalités s’avère d’abord déconcertant, mais dans le bon sens, c’est-à-dire en stimulant notre imagination comme doit le faire tout bon thriller. Le scénariste ne nous perd jamais en route, forçant plus d’une fois l’admiration avec une maitrise narrative remarquable malgré le défi que représente la structure éclatée de l’intrigue.
Le talent du réalisateur Mo Wan Il joue évidemment un rôle déterminant dans cette réussite, et en particulier sa capacité à cultiver le suspense tout en ménageant ses effets, comme il l’a déjà prouvé auparavant avec les thrillers psychologiques de haut vol que sont Misty et The World of the Married.
Dans sa majeure partie, Les Silences de la forêt parvient ainsi à maintenir une tension dramatique élevée qui nous amène à nous interroger sur chaque personnage, à commencer par Jeong Yeong Ha qui, encore affecté par la mort de sa femme, semble parfois présenter un état psychologique incertain. Est-ce qu’il n’exagère-t-il pas un peu ? N’est-il pas en réalité troublé par la jeune femme aguicheuse ? Après tout, il pourrait même avoir imaginé tout cela.
Cette tension est encore exacerbée par l’étrange musique tribale qui ponctue les génériques de début et de fin, et par le contraste entre l’atmosphère paisible et estivale de ce gîte environné par une luxuriante forêt et le sentiment que le danger peut survenir de nulle part, à tout moment. Le chant des grillons qui accompagne la plupart des scènes d’extérieur se fait ainsi rassurant ou inquiétant selon le contexte.
Pourtant, la menace qui rôde sur Jeong Yeong Ha et ses proches n’a rien d’un mastodonte de deux mètres de haut ou d’un animal sauvage. Elle tient contre toute attente dans une femme d’apparence frêle et juvénile qui est jouée par l’actrice montante Go Min Si, notamment remarquée dans la série des Sweet Home et le film Smugglers (Ryu Seung Wan). Celle-ci accomplit ainsi une belle transformation dans un rôle de femme psychopathe comme on en voit rarement à l’écran. Tour à tour séductrice, ironique et déchaînée, elle attire le regard à chacune de ses apparitions, et réussit même le tour de force de nous faire croire qu’une femme de sa corpulence peut terroriser physiquement un homme adulte.
On note au passage la propension du réalisateur Mo Wan Il à mettre en scène des personnages féminins charismatiques, presque démesurés, comme l’étaient ceux de Kim Hee Ae ou Kim Nam Joo dans les séries précitées – la psychopathie en moins, bien entendu.
Il est dommage que le dernier tiers des Silences de la forêt s’avère moins efficace, jouant de manière trop répétitive sur les effets de sursaut. On reste néanmoins accroché à la série jusqu’à son dénouement, qui ne déçoit pas. Ce qui nous permet d’apprécier aussi les performances de Park Ji Hwan (The Roundup : Punishment) en loser bienveillant, de Ryu Hyeon Kyung (Tramway) en épouse désespérée, de Roh Yoon Seo (Crash Course in Romance) en femme active déterminée, de Hong Ki Joon (Big Bet) en tueur machiavélique et de Park Chanyeol d’EXO (Missing 9) en jeune homme perturbé.
Caroline Leroy
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