Le partenariat entre Paramount+ et TVING a pris fin à peine trois ans après sa signature. On vous explique le contexte et les raisons de ce revirement dans notre décryptage.
Queen Woo, Pyramid Game ou encore Bargain : le prix à payer… L’alliance entre Paramount et CJ ENM, via sa plateforme TVING, a donné lieu à plusieurs pépites au cours de ces deux dernières années. Malheureusement, le partenariat stratégique américano-coréen entre les deux géants du divertissement n’aura même pas tenu trois ans. En cause, la situation financière du groupe américain, qui traverse une crise sans précédent comme beaucoup d’acteurs américains du secteur, mais aussi quelques désaccords avec son partenaire sud-coréen.
Paramount dans la tourmente
La nouvelle est officiellement tombée en juin dernier : « TVING et Paramount+ ont décidé de ne pas renouveler leur partenariat », déclarait un représentant de Paramount. Signé en décembre 2021, le deal entre les deux plateformes s’inscrivait dans un accord plus large entre CJ ENM et Paramount Global (alors connu sous le nom de ViacomCBS). Pour la plateforme coréenne, l’objectif était d’accroître la visibilité de ses contenus au marché mondial en profitant de l’aura d’un gros studio américain. Pour la plateforme américaine, il s’agissait d’étendre son influence aux marchés asiatiques, comme nous vous l’expliquions à l’époque dans notre article. Depuis, la situation a basculé.
Lors de la présentation de ses résultats trimestriels en juin 2024, le groupe média Paramont Global a annoncé le licenciement de 15 % de ses effectifs américains, soit environ 2 000 salariés, d’ici la fin de l’année. Dans le même temps, le groupe s’apprête à fusionner avec Skydance Media. Ce studio américain, auquel nous devons notamment Top Gun: Maverick, a racheté la holding National Amusements, qui détient 77 % des droits de vote de Paramount Global.
Les problèmes financiers de Paramount Global ne datent pas d’hier. Tout d’abord, le groupe est touché par la révolution profonde qui s’opère sur l’ensemble du secteur audiovisuel avec l’engouement pour les plateformes de streaming, qui fait chuter les chaînes de télévision traditionnelles – aux Etats-Unis, on parle de « cord-cutting » pour désigner l’action de se désabonner des chaines TV pour s’abonner à des plateformes. Ensuite, le groupe traverse une crise liée à la chute des recettes publicitaires et qui touche tout le secteur de l’entertainment à l’échelle mondiale. Enfin, Paramount+ a certes permis d’amenuiser les pertes du groupe, puisque la plateforme a atteint 71 millions d’abonnés à fin mars 2024. Néanmoins, ses comptes ont été plombés par la diffusion en continu, qui est à l’origine d’une perte évaluée à 3,5 milliards de dollars.
L’objectif de Skydance est à présent de réaliser 500 millions de dollars d’économies, ce qui implique de trancher dans le vif sur les fonctions support, le marketing et la communication, mais aussi de renoncer à la production de contenus sur les marchés locaux. Dans le cadre de cette politique, l’abandon des activités coréennes de Paramount+ est inévitable.
Des relations potentiellement tendues
Les relations entre Paramount Global et CJ ENM étaient-elles idylliques ? Pas sûr. En effet, le deal entre les deux sociétés n’a jamais couvert les sorties dans les salles de cinéma. Ainsi, pendant toute la durée de cet accord dit « global », Paramount a continué à faire distribuer ses films par Lotte, le concurrent direct de CJ ENM. L’affaire est source de tension, puisque Paramount avait un accord avec CJ ENM jusqu’en 2015, avant de s’associer à Lotte.
Selon les analystes média asiatiques, deux autres facteurs seraient à prendre en compte. D’une part, les contenus américains proposés par TVING n’auraient jamais réellement trouvé leur public en Corée du Sud. D’autre part, TVING aurait revu ses priorités en matière d’investissement pour favoriser l’achat de licences pour la diffusion d’événements sportifs en direct.
Des dramas ultra qualitatifs
Si l’alliance entre Paramount+ et TVING n’aura pas tenu trois ans, elle sera indubitablement regrettée par les aficionados de k-dramas, puisqu’elle aura donné lieu à des productions très créatives sur le plan scénaristique et d’une grande qualité artistique.
La première était l’émouvant Yonder, le drama de science-fiction de Lee Joon Ik sorti sur TVING à l’automne 2022, avec Shin Ha Gyun et Han Ji Min. Citons également, en 2023, la comédie noire Bargain: Le Prix à Payer, avec Jin Sun Gyu et Jeon Jong Seo, et le thriller noir A Bloody Lucky Day, avec Lee Sung Min et Yoo Yeon Seok. L’année 2024 aura été marquée par le drama lycéen à suspense Pyramid Game, avec Bona, et récemment le très bon Queen Woo, dans lequel Jeon Jong Seo interprète une reine luttant pour sa survie. Tous ces dramas sortent des sentiers battus et auraient pu, sur le long terme, faire une sérieuse concurrence à Netflix et à Disney+.
La fin de ce partenariat prouve que le modèle économique consistant à produire des contenus locaux dans les pays pour les distribuer mondialement demeure fragile. Après tout, même les originaux coréens de Disney+ ont failli disparaître l’année dernière. Disney avait décidé de dissoudre l’équipe créative, mais le succès inattendu de Moving (Les Pouvoirs de l’ombre) l’a conduit à revoir sa position.
Pour l’instant, c’est du côté des dramas de Netflix que le modèle paraît le plus solide. La plateforme a la particularité d’être un pure player, ce qui signifie que son activité de diffusion en streaming n’est pas compromise par la crise traversée par le cinéma et la télévision traditionnelle. Il faudra un peu de temps – et malheureusement beaucoup de pertes d’emplois – pour que le secteur surmonte les mutations du marché pour se réinventer.
Elodie Leroy
Sources : Forbes, La Presse, Quartz, Les Echos, Variety via Koreanfilm.org (liens dans le texte)
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