Critique The Guest : enquêtes et possessions en série

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Ce drama de possession démoniaque renouvelle le genre et fait monter le trouillomètre avec des scènes d’exorcisme spectaculaires. The Guest est disponible sur Netflix.

Kim Dong Wook, Kim Jae Wook et Jung Eun Chae exorcisent des victimes de possession démoniaque dans The Guest (손: The Guest), le thriller horrifique qui a hanté l’automne 2018 sur la chaîne OCN. Servi par une belle réalisation et une écriture maîtrisée, The Guest tient haut la main ses promesses en matière de frisson, tout en enrichissant son concept d’une dimension psychologique et sociale passionnante, dans laquelle l’émotion a toute sa place. The Guest était le thriller à ne pas manquer cette année à la télévision coréenne.

Synopsis : Né dans une famille de chamans, Yoon Hwa Pyung (Kim Dong Wook) s’associe à Kang Kil Young (Jung Eun Chae), une policière, et Choi Yoon (Kim Jae Wook), un prêtre catholique spécialisé dans l’exorcisme, pour traquer le puissant esprit maléfique qui a décimé leurs familles vingt ans auparavant. Ils seront confrontés à une succession d’affaires de possession qui semblent étrangement connectées à ce démon.

Entre catholicisme et chamanisme

Pour ceux qui ne seraient pas familiers du genre, l’œuvre tutélaire du thriller de possession démoniaque est un long métrage réalisé en 1973 par William Friedkin et qui s’intitule L’Exorciste. A l’époque, le film provoque un tel choc que des spectateurs s’évanouissent dans les salles de cinéma. Outre ses suites, L’Exorciste a inspiré avec plus ou moins de bonheur nombre de films d’horreur américains, du sympathique Le Dernier Exorcisme (Daniel Stamm) à l’inégal Le Rite (Mikael Håfström), en passant par le décevant L’Exorcisme d’Emily Rose (Scott Derrickson).

En Corée du Sud, The Priests (Jang Jae Hyun) reprenait en 2015 les codes du genre avec efficacité, mais c’est surtout l’excellent The Strangers (Na Hong Jin) qui marque les esprits l’année suivante avec sa singulière histoire de possession ancrée dans le monde rural coréen.

Réalisé par Kim Hong Sun, dont les talents ont fait l’unanimité dans Voice, le drama The Guest nous embarque dans une chasse aux démons en 16 épisodes diffusés sur OCN entre le 12 septembre et le 1er novembre 2018.

La série annonce dès l’épisode 1 ses intentions d’envoyer du lourd en matière de scènes d’exorcisme et ne faiblit pas par la suite. Les fans du genre y trouveront leur compte. Mêlant pratiques catholiques et chamanisme, The Guest se montre généreux en rituels virant au cauchemar, en jets de sang sur les murs, en actes d’automutilation, mais aussi en petits moments bien glaçants, le tout en maintenant tout du long une ambiance extrêmement tendue.

Comment innover dans un genre aussi éculé que le thriller de possession démoniaque ? Pour y parvenir, le réalisateur et les scénaristes Seo Jae Won et Kwon So Ra convoquent un autre genre : le polar.

Comme dans une série policière, les personnages de The Guest enquêtent sur une succession d’affaires de meurtres, à ceci près que celles-ci trouvent leur origine dans le surnaturel. Ils doivent aussi composer avec une hiérarchie corrompue jusqu’à l’os, dans la police comme au Vatican, et un monde politique qui écrase les plus faibles.

Comme les héros de Voice, les trois protagonistes pourchassent le criminel qui a ravagé leur famille. Au lieu d’être un psychopathe, celui-ci prend la forme d’un puissant démon répondant au nom de Park Il Do, et qui a toute une armée d’esprits maléfiques à sa solde.

Qui est possédé par Park Il Do ? L’enquête de longue haleine menée par Yoon Hwa Pyung, Choi Yoon et Kang Kil Young repose sur une écriture habile, qui ménage son suspense jusqu’au bout sur l’identité du démon. Ce petit jeu de « qui est le coupable ? » participe à ancrer The Guest dans le genre du polar, mais permet aussi de développer les trois personnages principaux, qui se trouveront l’un après l’autre poussés dans leurs retranchements et devront affronter leurs propres démons.

Le trio d’acteurs qui nous accompagne tout au long du drama contribue à en définir le ton. Kim Dong Wook (Along With The Gods 1 et 2) est attachant dans son rôle de medium un peu marginal, auquel il apporte une chaleur et une nonchalance qui contrastent avec la rigueur du personnage de Kim Jae Wook (Voice). Ce dernier nous gâte avec un jeu d’acteur intense et se révèle d’une incroyable prestance dans la soutane de Choi Yoon, alias le prêtre Mateo, un personnage froid au premier abord, mais qui évolue tout au long de la série pour devenir touchant.

Quant à Jung Eun Chae (The Fatal Encounter, The Great Battle), elle impose son style avec un type de personnage habituellement réservé aux hommes : avec sa démarche de garçon et son attitude bougonne, voire brute de décoffrage, Kang Kil Young refuse de montrer ses sentiments mais nous est vite sympathique à force de tout faire pour ne pas l’être.

Possessions démoniaques et blessures de l’âme

L’univers rural qui marque le point de départ de The Guest s’inspire en partie de celui de The Strangers en enracinant cette sombre affaire dans le folklore local. Néanmoins, au contraire du film de Na Hong Jin, The Guest casse un code majeur du genre auquel il appartient en changeant le profil des victimes.

Les films d’exorcisme cités plus haut ont un point commun : le prêtre doit toujours dominer une jeune femme, voire une adolescente, devenue incontrôlable, répugnante, séduisante à certains moments, et qui profère des propos obscènes avec un rire maléfique tonitruant. Cette dimension sexiste disparaît dans The Guest, dont les victimes sont aussi bien des hommes que des femmes. Ce parti pris ouvre de nouvelles possibilités à un genre qui commençait à devenir daté.

Chaque affaire a ainsi sa propre couleur et donne lieu à une enquête au cours de laquelle les personnages devront identifier la personne possédée. Il leur faudra également deviner la faille psychologique qui a permis aux esprits de prendre possession de la personne – autrement dit le mobile, selon les codes du polar –, le paradoxe étant que le coupable est la victime principale, puisque des démons se sont emparés de son esprit.

Un paraplégique qui ne parvient plus à communiquer avec son entourage, un homme persécuté sur son lieu de travail, une femme bouleversée par le suicide d’un proche, une enfant persuadée que sa mère ne l’aime pas… Le drama varie les profils et explore par la même occasion des thèmes de société, les victimes appartenant aux classes sociales moyennes et défavorisées. Les pires démons sont-ils les êtres surnaturels ou ceux qui habitent le monde des humains ? A la fois social et psychologique comme tout bon thriller coréen qui se respecte, The Guest est finalement plus proche de Voice que la saison 2 de Voice !

Si les deux premières affaires demeurent classiques, le drama passe à la vitesse supérieure à partir de la troisième, dont l’interprète principale, Kim Si Eun (Mr. Sunshine), se révèle convaincante. L’histoire de cette jeune femme, qui donne la chair de poule, traduit aussi un grand désespoir, un sentiment d’injustice, et confère aux cas de possession une dimension émotionnelle inédite. Après tout, la porte d’entrée des esprits est toujours, selon le parti pris développé dans le drama, une blessure de l’âme.

L’une des plus belles réussites du drama est l’affaire de la petite fille qui occupe les épisodes 8 et 9. La jeune actrice, Heo Yool (Mother), est absolument époustouflante dans le rôle de Seo Yoon – il est précisé qu’elle a été encadrée psychologiquement pour le tournage. L’affaire est connectée à la souffrance de la petite fille causée par la séparation de ses parents et s’achève de manière émouvante.

Thème récurrent dans les thrillers coréens, la famille est au cœur de plusieurs affaires de possession dans la série, en plus d’être le moteur de la quête individuelle de chacun des trois personnages principaux.

Ces deux affaires sont aussi les premières où l’exorcisme est montré comme un acte dérangeant : voir trois personnes, dont deux hommes, plaquer au sol une jeune femme ou une petite fille ne laisse pas indifférent – dans les fictions américaines, cet acte est banalisé. Dès lors que les victimes crient leur souffrance, à partir de quand l’exorcisme devient-il une forme d’abus ? The Guest amène subtilement cette question et ne se compromet jamais à montrer ces scènes sous un angle racoleur.

Le sens de la mise en scène

La réalisation cultive une atmosphère sombre et une tension psychologique omniprésente, soutenue en cela par une bande son entêtante (la piste ‘Something is Coming…), des maquillages subtils et un travail visuel chiadé. L’étalonnage, très sophistiqué, privilégie les tons froids tranchés par des couleurs chaudes, qui virent au rouge vif dans les scènes marquées par une présence démoniaque.

Citons ce moment inquiétant et introspectif, dans l’épisode 9, où Choi Yoon descend dans la cave d’un immeuble à la rencontre de la petite fille possédée. La scène, qui s’apparente à une descente aux Enfers, est marquée par un jeu d’ombres et de lumières raffiné et un emploi ostentatoire de la couleur rouge pour évoquer le Mal. Le mariage du rouge, du noir et du bleu, qui renvoie à des classiques de l’horreur comme Suspiria (Dario Argento), est le marqueur de l’intervention du surnaturel, comme dans cette scène de l’épisode 1 où le prêtre Choi assassine sa famille.

Le style du réalisateur Kim Hong Sun fait aussi des étincelles quand la violence s’invite à l’écran. Précisons que celle-ci n’est aucunement employée de manière gratuite, mais toujours pour servir le scénario, et qu’elle ne joue jamais deux fois sur les mêmes ressorts de mise en scène. Le drama doit certes s’accorder à la censure locale, qui impose de flouter les blessures béantes, mais le réalisateur s’en accommode en filmant les projections d’hémoglobine sur les murs ou les visages, comme dans la scène d’ouverture de l’épisode 1, où une femme d’âge mur poignarde une bande de jeunes sur la plage.

On retiendra aussi ce moment tétanisant où Yoon Hwa Pyung regarde machinalement un homme dans la rue, avant que le crâne de celui-ci ne soit fracassé par une énorme pierre jetée par une personne située hors champ. Cette vision m’a évoqué une scène de Kairo (Kiyoshi Kurosawa) où nous assistions, en arrière plan, à la montée d’une femme sur une échelle, puis à sa chute du haut du bâtiment, comme si de rien n’était. Ce type de mise en scène frontale de la violence saisit par une impression de réalisme.

Machination de haute volée

Non seulement l’écriture et la réalisation sont de grande qualité, non seulement la chanson du drama, Somewhere (interprété alternativement par O3ohn et Hajin), risque de nous hanter longtemps, mais le drama est aussi très bien interprété.

Outre les trois acteurs principaux, dont l’alchimie participe beaucoup à l’attrait du drama, les seconds rôles ne sont pas en reste. Entre Lee Won Jong (Goodbye, Mr Black, Vampire Prosecutor) qui apporte une dose d’humour en chamane jovial et râleur, Ahn Nae Sang (Misty, Awl) qui intrigue en prêtre charismatique, Park Ho San (My Mister, The Ghost Detective) qui amuse en policier gentiment paternaliste et Kim Hye Eun (Mr Sunshine, Are You Human?) qui fait froid dans le dos en politicienne incontrôlable, nous sommes servis !

On retiendra également le cameo de Park Hyo Joo (un clin d’œil à The Chaser de Na Hong Jin ?) dans le rôle de la mère de Kil Young. Enfin, on reste marqué par les regards de possédé totalement inhumains du prêtre Choi : l’acteur Yoon Jong Seok (Something in the Rain) s’en donne à cœur joie pour nous glacer le sang !

Et le démon Park Il Do, dans tout cela ? Je ne révèlerai rien sur son identité, si ce n’est qu’il faut regarder le drama jusqu’au bout pour prendre la mesure de cette affaire de possessions en série, que l’on pourrait qualifier, sous l’éclairage du polar, de machination de haute volée. Vous voilà prévenus.

MAJ 01/12/2020 : The Guest est désormais disponible intégralement sur Netflix.

Elodie Leroy

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