Jung Ryeo Won part en guerre contre les violences sexuelles et lamine leurs auteurs dans ce drama juridique engagé et prenant.
Les crimes sexuels sont au premier plan dans Witch at Court, drama coréen diffusé sur KBS2 entre le 9 octobre et le 28 novembre 2017. Sur une intrigue solidement construite, Witch at Court aborde le thème des violences sexuelles avec l’objectif clair de faire bouger les lignes. Une occasion en or pour Jung Ryeo Won, récompensée du prix de la meilleure actrice aux KBS Drama Awards 2017, de révéler de multiples facettes de son jeu à travers un personnage charismatique et mémorable.
Synopsis : Procureure depuis 7 ans, Ma Yi Deum (Jung Ryeo Won) est connue pour ses méthodes radicales qui lui valent de nombreux ennemis. Un jour, elle est mutée contre son gré dans une unité spécialisée dans les crimes sexuels. Elle est assistée par le procureur Yeo Jin Wook (Yoon Hyun Min), ancien psychiatre idéaliste qui manque d’expérience dans la justice.
Les violeurs dans le viseur
Le sujet sensible de Witch at Court aurait pu constituer un aspect bloquant pour le grand public coréen, mais le succès était au rendez-vous : le drama a franchi la barre des 10 % dès le troisième épisode et a dépassé les 14 % en fin de parcours. Au contraire d’un Suspicious Partner, qui plantait aussi son décor dans le monde des avocats et dans lequel l’histoire d’amour servait de moteur à l’intrigue, Witch at Court place la romance au second plan et s’impose comme un drama juridique pur jus.
En 16 épisodes, la série a le temps de causer de viol, de prostitution de mineurs, de harcèlement sexuel et même de revenge porn. Les victimes sont des femmes jeunes et moins jeunes, célibataires ou mères de famille, et parfois des hommes.
Qu’il s’agisse de l’intrigue principale, qui confronte l’héroïne, Ma Yi Deum, à un homme politique véreux du nom de Cho Gap Soo (Jeong Kwang Leol), ou des différents cas que l’unité sera amenée à résoudre, la qualité du scénario de Witch at Court m’a frappée pour deux raisons.
La première est que Witch at Court aborde la question sensible des crimes sexuels avec l’approche la plus saine qui soit, sans jamais juger les victimes ou questionner la nécessité de condamner les crimes sexuels. Dans cette série, ce sont les violeurs qui sont dans le viseur.
A l’heure où la France se déchire sur ces sujets, à coup de tribunes ridicules sur le droit d’« importuner » les actrices ou de hashtags délateurs, cette série TV coréenne nous ramène à l’essentiel : si crime il y a, il doit entraîner une condamnation. Point barre.
Les affaires en elles-mêmes sont parfois complexes, la charge émotionnelle entourant ces questions faisant le lit de la manipulation, mais la nécessité absolue de condamner les crimes sexuels ne fait pas débat. Il n’est pas question d’excuser le cynisme d’un prédateur sexuel ou même d’un homme vengeur par un supposé manque d’exemplarité de sa victime.
Patriarcat, domination sociale et politique
La seconde raison est que toutes les affaires de crime sexuel explorées dans Witch at Court nous ramènent à une terrible vérité : en Corée comme ailleurs, la société est régie par le patriarcat et les rapports de domination sociale.
Lorsqu’un patron harcèle son employée ou qu’un professeur agresse un étudiant, il profite de l’autorité induite par sa fonction. Lorsqu’un homme politique demande des faveurs sexuelles à une actrice, il abuse de son pouvoir. Lorsqu’un homme lambda poste une vidéo pornographique de son ex, il profite sournoisement d’une arme redoutable que la société patriarcale accorde aux hommes : la possibilité de ruiner la réputation d’une femme, qui sera toujours jugée durement sur sa sexualité.
A ce propos, le revenge porn est considéré, à juste titre, comme une agression sexuelle et passible de prison ferme en Corée du Sud, comme au Japon et dans quelques rares pays.
Joliment ficelée du début à la fin, l’intrigue principale de Witch at Court, qui s’intéresse à son héroïne, vient apporter une pierre conséquente à l’édifice forgé par toutes les affaires traitées par l’unité de Ma Yi-Deum. L’histoire n’entretient aucun suspense sur le coupable : un puissant homme politique qui a agressé des femmes socialement vulnérables (en France, ce profil nous rappelle forcément quelqu’un qui a failli être candidat à la présidentielle).
En d’autres termes, cette histoire parle d’un criminel sexuel qui s’en est sorti. Et qui a réussi à gravir les échelons de la politique, non sans éliminer toute personne susceptible de devenir un obstacle.
A ce constat édifiant sur la société coréenne – et potentiellement les sociétés patriarcales du monde entier – Witch At Court oppose une galerie de personnages réjouissante et dont la dynamique casse les clichés.
Ma Yi Deum, une héroïne peu conventionnelle
Les protagonistes méritent que l’on s’y attarde, en particulier l’héroïne. Comme beaucoup de personnages principaux de dramas coréens, Ma Yi Deum se traîne un traumatisme d’enfance – la disparition inexpliquée de sa mère – qui l’a laissée avec un mystère sur les bras et une profonde blessure dans le cœur.
Lorsqu’elle est mutée dans l’unité spécialisée dans la lutte contre les crimes sexuels, elle ne se doute pas que l’origine de son traumatisme est une affaire de ce genre. Si le drama avait été réalisé dix ans auparavant, elle serait peut-être devenue une héroïne moralement exemplaire et un peu larmoyante, attendant que son premier amour vienne la sauver.
Witch at Court est la preuve que les dramas coréens ont bien changé pendant les années 2010 : la tendance est aux femmes fortes, qui refusent de se complaire dans la condition de victime.
En l’occurrence, notre Ma Yi Deum se distingue par son attitude conquérante, voire agressive. Disons-le franchement, elle se conduit parfois en véritable garce ! Déplaisante avec ses collègues, elle ne fait pas non plus dans la dentelle avec les victimes, qu’elle manipule au même titre que les agresseurs.
La jeune femme s’est d’ailleurs fait une spécialité de divulguer sous forme de rumeur des éléments de ses dossiers, quitte à dévoiler la vie privée des victimes, pour inciter les bourreaux à baisser leur garde.
En d’autres termes, la caractérisation du personnage ne plaira pas à tout le monde, et c’est tant mieux : les héroïnes d’aujourd’hui ont enfin le droit d’être imparfaites, de ne pas coller à l’idéal féminin habituellement mis en avant – le registre de l’imperfection est souvent réservé aux personnages masculins.
Jung Ryeo Won en équipe avec Yoon Hyun Min
D’ailleurs, malgré ce tempérament, que l’on devine être une carapace, Ma Yi Deum devient vite terriblement attachante. Déterminée dans sa vie professionnelle, elle est brouillonne dans sa vie privée, comme si elle était restée figée à l’état d’adolescente. Son appartement est un bazar sans nom, sa notion de l’équilibre alimentaire contestable et son comportement pas toujours très raffiné.
Ultra charismatique et dotée d’une riche palette d’expressions, l’actrice Jung Ryeo Won (King of Dramas) s’approprie ce rôle avec une assurance réjouissante : elle en fait des caisses, mais son interprétation décomplexée a quelque chose de cathartique et ajoute un souffle de comédie bienvenu à un drama par ailleurs sérieux.
On s’amuse franchement de ses échanges avec son partenaire Yoon Hyun Min (Tunnel), qui interprète avec beaucoup de charme son collègue et subordonné, le procureur et ancien psy Yeo Jin Wook. Plein d’empathie, en plus d’être extrêmement rangé dans sa vie privée (le contraste entre les deux appartements est hilarant), ce dernier est tout le contraire de Ma Yi Deum ! C’est lui qui incarne la part dite « féminine », le côté sensible et moralement irréprochable de ce duo.
Le reste de cette unité spécialisée dans les violences sexuelles a la particularité d’être essentiellement féminin. La patronne, Min Ji Sook (Kim Yeon Jin), qui a sans le savoir un lien avec le passé de Ma Yi Deum, n’est pas un modèle d’amabilité non plus (sa voix m’a parfois obligée à baisser le son de ma télé pour ne pas fâcher mes voisins), mais se présente comme un exemple d’intégrité.
La définition des personnages de cette unité ne doit rien au hasard : les femmes ont des caractères très affirmés, avec des défauts et des qualités, tandis que les hommes de l’équipe sont doux et pondérés. Cette caractérisation est salutaire compte tenu de la brochette d’abominables pervers que nous côtoyons tout au long de la série !
Les méchants ne sont pas en reste. L’intrigue principale s’articule autour d’un véritable choc de personnalités entre Ma Yi Deum et Cho Gap Soo, qui entraîne plusieurs personnages dans leur lutte sans merci, qu’il s’agisse des collègues de la jeune femme, voire certains membres de leur famille, ou d’autres victimes collatérales.
Avec son visage posé, l’acteur Jeon Kwang Leol (Jackpot) ne tombe jamais dans le piège de la caricature et fait un Cho Gap Soo inquiétant, sournois, mais non dénué d’une certaine complexité.
Ce bad guy est fort bien entouré, aidé qu’il est par sa superbe avocate Heo (Kim Min Seo) et son bras droit Baek Sang Ho (Heo Sung Tae). L’affaire autour de Baek Sang Ho et son frère Min Ho, interprété par Kim Kwon (qui devrait monter en grade dans le monde des dramas grâce à ce rôle), s’avère étonnamment poignante et pleine de suspense.
Witch at Court est décidément à la hauteur de ses ambitions grâce à une brochette d’acteurs parfaitement à leur place, une réalisation efficace et un scénario qui sait exactement où il va.
Elodie Leroy
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