Critique : Duelist, un film d’action envoûtant avec Ha Ji Won et Gang Dong Won

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Ce film de sabre signé Lee Myung-Se éblouit par ses scènes de combat d’un esthétisme à couper le souffle. Découvrez notre critique, suivie de notre interview du réalisateur et de l’actrice Ha Ji Won.

Les fans de Gang Dong-Won ne vont pas s’en remettre. Réalisé par Lee Myung Se en 2005, Duelist plante son décor sous l’ère Joseon pour conter l’histoire d’amour impossible entre une enquêtrice et un criminel, dans un monde décadent miné par la corruption. Situé quelque part entre le drame romantique et le polar en costumes, Duelist est un film ovni dans lequel l’émotion, le mystère et la sensualité s’entrechoquent dans un tourbillon d’images et de musique. La réalisation immersive de Lee Myung Se, les ruptures de ton et l’alchimie entre les acteurs font de Duelist une expérience unique en son genre. Et puis il y a Gang Dong-Won, qui n’a jamais été aussi sublime que dans ce film.

Duelist (Corée du Sud)
Duelist (Corée du Sud) : affiche française

Une histoire d’amour impossible

En Corée, au 17e siècle, l’enquêtrice Namsoon (Ha Ji Won) fait partie des Damo, des femmes détectives travaillant au service de l’aristocratie. Aidée d’un lieutenant de police (Ahn Sung Gi), Namsoon se lance à la poursuite de Sad Eyes, un tueur aussi beau qu’insaisissable. Bientôt, elle fait de son enquête une affaire personnelle.

Lorsque Duelist arrive en France sur les écrans, nous ne connaissons de Lee Myung Se que le polar décalé Sur la Trace du Serpent (ou Nowhere to Hide), qu’il a réalisé en 1999 et lui a valu d’être considéré comme l’un des chefs de file de la nouvelle vague du cinéma coréen. Dans son pays, le cinéaste fascine la critique pour sa personnalité à part et sa manière bien à lui de dépeindre le réel en insufflant des éléments issus de son imagination personnelle. Sur le terrain, Lee Myung Se est réputé caractériel, mais les talents se bousculent pour travailler avec lui.

Au lieu de surfer sur son succès, il amorce avec Duelist un changement de registre en s’attaquant au genre du sageuk, c’est-à-dire du film historique.

La séquence d’ouverture de Duelist en déroutera plus d’un : dans une ambiance nocturne inquiétante, un paysan tombe dans le piège d’une mystérieuse jeune femme au regard diabolique. L’affaire scabreuse qui relie les deux protagonistes restera obscure, puisqu’il s’agit en réalité d’une histoire inventée de toute pièce par le frimeur, que ses compagnons de boisson écoutent avidement. Tout comme le paysan, Lee Myung Se joue avec la crédulité du spectateur, avant de l’embarquer au beau milieu d’un marché en pleine effervescence et où les faux-semblants sont légion, entre les clowns exécutant leurs acrobaties, les assassins déguisés en clowns et les policiers déguisés en marchands.

Justement, un homme, le sabre à la main, cache son visage derrière un masque de gobelin et délivre une jolie prestation acrobatique, pour le plus grand plaisir des badauds. Parallèlement, un homme et une jeune femme, qui s’avèrent être des enquêteurs employés par l’aristocratie locale, jouent les agents infiltrés parmi les commerçants ; et ce, avec un professionnalisme et une discrétion pour le moins contestables.

Très vite, tout ce beau monde se retrouve baigné dans la plus grande confusion : au beau milieu de la foule, un meurtre vient d’être commis. Mieux, l’assassin est en fuite avec une statuette en or dérobée à sa malheureuse victime. Tandis que les fruits et légumes voltigent de tous côtés et que la police tente de maîtriser les badauds en panique, un homme et une femme se rencontrent. Le temps semble alors comme suspendu : c’est le coup de foudre. Bientôt, Namsoon (Ha Ji Won) se lance à la poursuite de Sad Eyes (Kang Dong Won), l’assassin acrobate qui l’envoûtait quelques minutes auparavant.

Adapté de Damo Nam-Soon, manwha de Bang Hak-Gi très populaire en Corée du Sud, Duelist se présente au premier abord comme un thriller décalé en costumes. Un peu comme Sur la Trace du Serpent, en somme, à quelques siècles de distance.

Le goût de Lee Myung Se pour l’intrusion d’éléments de comédie un peu absurde, notamment lorsque les personnages vivent les situations les plus critiques, s’affirme une fois encore. En témoignent les ralentis surréalistes qui ponctuent la séquence d’ouverture et qui ne sont pas sans rappeler une scène mémorable de Sur la Trace du Serpent, où des policiers en plein affolement cherchent frénétiquement leur arme égarée dans l’appartement d’un criminel.

Comme dans le précédent film du cinéaste, la comédie n’est qu’un leurre : l’histoire dépeint en réalité un monde d’une grande noirceur gouverné par la corruption. Mais au centre de Duelist, il y a surtout une histoire d’amour impossible, celle de Namsoon et du criminel qu’elle tente de capturer et qui répond au surnom de Sad Eyes.

Rencontre nocturne avec Sad Eyes

Si l’intrigue de Duelist manque parfois de clarté et nécessite de connaître un minimum les conventions sociales de l’ère Joseon, l’intérêt du film se situe surtout dans la manière dont Lee Myung Se utilise le langage cinématographique pour nous plonger dans les tourments amoureux de Namsoon, dont l’obsession pour Sad Eyes se fait de plus en plus douloureuse. Ainsi, c’est véritablement dans les scènes de combat, qui remplissent véritablement le rôle de scènes érotiques du film, que la réalisation de Lee Myung Se fait des merveilles.

On citera tout particulièrement la rencontre nocturne dans la ruelle, sans conteste la plus belle scène du film, qui vient poursuivre une première rencontre survenue au marché quelques jours auparavant.

Sad Eyes (Gang Dong Won)

Comme un fantôme caché dans l’obscurité, Sad Eyes provoque d’abord la jeune femme verbalement (« Est-ce que vous me suivez parce que je vous plais ? ») avant de passer brutalement à l’attaque avec son sabre. C’est le début d’une joute martiale sulfureuse au cours de laquelle le moindre mouvement corporel, le moindre échange de regards, le moindre choc des armes exprime la passion qui s’empare des deux protagonistes.

Sur une musique inspirée du tango, Namsoon et Sad Eyes s’affrontent, se frôlent et se scrutent, les yeux de chacun profondément plongés dans ceux de l’adversaire, cependant que le combat dessine peu à peu une danse, les changements de rythme et les bruits de respiration conférant à la chorégraphie une sensualité presque agressive.

Par sa manière de sublimer les mouvements corporels et d’exploiter éléments de décor et froissements de tissus pour imprimer une connotation sexuelle à l’affrontement martial, le travail de Lee Myung Se sur Duelist renvoie directement à celui de figures phares du cinéma de Hong Kong des années 90, telles que Tsui Hark (on pense à L’Auberge du Dragon) et Ronny Yu (pour les échanges passionnés entre Leslie Cheung et Brigitte Lin dans The Bride with White Hair).

La réalisation, dont la maîtrise relève du génie, est servie par une direction de la photographie fabuleuse assurée par Ki S. Hwang (Friend, de Kwak Kyung Taek) et par l’emploi de la technique d’étalonnage 4K, qui permet une transition progressive de la clarté à l’obscurité.

Ainsi, en plus de faire danser ses acteurs, Lee Myung Se parvient à créer une émotion picturale en jouant aussi bien sur les couleurs chatoyantes que sur les noirs profonds – dans la scène de la ruelle, une partie du décor est plongée dans une obscurité intense. Ce noir souligne le caractère sulfureux de la joute martiale et contraste joliment avec la lumière prodiguée par la lune, devant laquelle Sad Eyes prend une dernière posture dansante avant de disparaître, tel un personnage de manwha, au grand désespoir de Namsoon.

Ha Ji Won face à Gang Dong Won

A l’époque de Duelist, Ha Ji Won était déjà très en vue et bénéficiait d’une bonne estime grâce au film d’horreur Phone et au drama What Happened in Bali? mais n’avait pas encore atteint le statut de superstar qu’elle a acquis avec Secret Garden. A présent, l’actrice est une figure incontournable du cinéma et des dramas coréens – en plus de faire partie des rares actrices dont les partenaires semblent rajeunir à mesure qu’elle prend de l’âge (à 34 ans, Ha Ji Won partageait récemment l’affiche avec Lee Seung Gi, 25 ans).

Dans Duelist, Ha Ji Won délivre une interprétation osée : avec sa démarche de déménageur et ses grimaces – directement inspirées, selon ses propos, des expressions faciales de Park Joong Hoon dans Sur la Trace du Serpent -, elle balaie d’un revers de main les mimiques valorisées chez les actrices de sa génération, qui sont tenues d’être élégantes et/ou sexy à chaque plan. On s’amuse du caractère jusqu’auboutiste de son interprétation, surtout que son partenaire Gang Dong Won mise au contraire sur sa beauté à chaque plan.

Duelist (Corée, 2005)
Gang Dong-Won et Ha Ji-Won dans la plus belle scène de Duelist

Dans Duelist, les rôles semblent ainsi inversés, Ha Ji Won assurant le rôle masculin et Gang Dong Won le rôle féminin. A travers le regard porté par la caméra, c’est bel et bien lui qui est sublimé et érotisé – pour une fois, ça fait du bien. C’est bien simple, Gang Dong Won est absolument sublime dans Dueliste. Enveloppé dans des costumes sombres et fluides qui lui vont à ravir (on ne répètera jamais assez à quel point les costumes traditionnels masculins de l’ère Joseon sont magnifiques), il n’a jamais été aussi captivant, aussi élégamment filmé.

La prestation de l’acteur ne se limite pas à flatter la rétine de la spectatrice. Avec son visage juvénile, il insuffle un mystère, une mélancolie et une classe folle à cet assassin troublant jusqu’à sa dernière seconde d’apparition. Sous les ordres d’un homme de pouvoir véreux, il agit comme un ange de la mort dans un monde politique dominé par la traîtrise et la corruption, dans un univers décadent aux accents crépusculaires.

Véritable claque esthétique, Duelist prend de la valeur à chaque visionnage et s’impose comme une expérience singulière, saisissante et envoûtante. Lee Myung Se continue d’enrichir son univers haut en couleurs et d’affirmer son style très personnel. Un style qui se confirme dans son long-métrage suivant, M, dans lequel il retrouve également Gang Dong Won.

Elodie Leroy

Lire aussi | Critique : J’ai rencontré le diable, le thriller contoversé de Kim Ji Woon

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