Le rêve se poursuit pour le film coréen Parasite, qui remporte 4 prix aux Oscars 2020, dont celui du meilleur film. Analyse d’une victoire méritée et d’un phénomène coréen plus global.
Il a gagné ! Bong Joon Ho a réussi l’exploit que l’on osait espérer : remporter 4 récompenses aux Oscars. L’émotion était à son comble au Dolby Theater dans la soirée du 9 février, où s’est déroulée la cérémonie des Oscars 2020. Parasite entre dans l’Histoire en devenant le tout premier long métrage en langue étrangère à obtenir la récompense suprême du meilleur film.
Que faut-il comprendre de cette victoire ? Le triomphe de Parasite est bien entendu une victoire personnelle pour Bong Joon Ho et une victoire collective pour l’équipe du film, mais elle vient également confirmer, après le phénomène BTS, un bouleversement majeur dans l’équilibre des forces sur la scène culturelle mondiale.
Pluie de récompenses pour Bong Joon Ho
Cette fois, Cannes avait vu juste. Souvent critiqué pour ses palmarès en décalage avec la sensibilité du public, le célèbre festival français a su reconnaître la virtuosité et l’originalité de Parasite en lui décernant la Palme d’Or 2019.
Depuis, le film de Bong Joon Ho obtient récompense sur récompense aux États-Unis. Aux prestigieux Golden Globes 2020, Parasite a obtenu le prix du meilleur film étranger, du meilleur réalisateur et du meilleur scénario original. Le film a également été récompensé par différentes guildes et associations prestigieuses, de la Los Angeles Film Critics Association, qui l’a sacré meilleur film, à la Screen Actors Guild, qui a récompensé l’ensemble d’acteurs.
A présent, ce sont les Oscars 2020 qui viennent de décerner à Parasite les Oscars du meilleur film, du meilleur réalisateur, du meilleur scénario original et du meilleur film étranger. On ose à peine y croire.
Cette pluie de récompenses, qui se conclut en beauté sur la scène d’une cérémonie glamour et ultra médiatisée, change la donne : Parasite n’est désormais plus seulement une pépite adulée par les cinéphiles avertis, mais un phénomène qui appartient au grand public.
Un vent nouveau venu de Corée
La victoire de Parasite et de Bong Joon Ho nous amène au moins à deux constats importants.
Le premier est que l’originalité et la qualité paient. Il faut dire que Bong Joon Ho et son équipe nous ont offert une tragicomédie brillante, à la fois drôle et perturbante, une œuvre inclassable et incroyablement stimulante.
La sortie de Parasite intervient à une époque où le cinéma américain traverse une crise créative sans précédent. Engoncé dans ses blockbusters de superhéros indigents qui cannibalisent les budgets des studios, l’industrie est tout juste sauvée des limbes de l’ennui par ses réalisateurs vétérans (Martin Scorsese, Sam Mendes…), mais peine à fournir de la nouveauté. Même un Quentin Tarantino peut se montrer moins inspiré, comme le démontre le sympathique mais décousu Once Upon A Time… In Hollywood.
Au passage, l’engouement excessif pour Joker, qui raconte la naissance du célèbre psychopathe de la saga Batman, traduit également une envie, de la part du public, de passer à autre chose, d’explorer des univers moins aseptisés. Les Oscars ont d’ailleurs récompensé la performance hors normes de Joaquin Phoenix.
Parasite est le film que l’on n’osait plus espérer voir sur grand écran, une histoire qui nous emmène avec une réelle intelligence d’écriture dans des sentiers imprévisibles. Les thèmes de Parasite sont à la fois très coréens et universels. Quant à la vision du choc des classes sociales, elle est débarrassée du manichéisme idéologique qui caractérise la pensée occidentale actuelle.
Bong Joon Ho est récompensé pour la qualité exceptionnelle de son film, mais aussi pour sa capacité à proposer du neuf, du jamais vu dans un paysage cinématographique morose.
Après BTS, le nouveau phénomène coréen
Le deuxième constat dépasse le cadre du film. Parasite est le deuxième symptôme d’une évolution plus globale : l’installation de la Corée dans la catégorie des pays les plus influents de la scène culturelle mondiale.
Sur le plan de la reconnaissance américaine, Bong Joon Ho doit quelque chose à BTS, qui a incontestablement ouvert la voie. Au cours de ces deux dernières années, BTS s’est introduit dans les cérémonies musicales américaines les plus prestigieuses, remportant trois années de suite le prix du Top Social Artist aux Billboard Music Awards. Un pas significatif a été franchi l’année dernière aux mêmes Billboards, lorsque BTS a été sacré meilleur groupe/duo 2019, face aux artistes américains les plus en vogue. Là encore, la popularité du groupe s’explique entre autres par sa capacité à se renouveler et à surprendre avec des paris artistiques osés.
Le 26 janvier dernier, BTS devenait le premier groupe coréen à se produire sur scène aux Grammy Awards 2020. Les sept artistes ont aussi bénéficié, depuis 2017, d’une médiatisation inédite pour des artistes coréens aux Etats-Unis. Invités dans plusieurs talk shows à grande audience, les BTS ont ainsi répondu aux interviews de Jimmy Fallon, James Corden et bien d’autres (merci à l’anglais parfait de RM !). A ce propos, les médias américains ont une capacité que n’ont pas les médias français, celle de faire de faire l’événement, d’être leaders d’opinion.
Désormais, la K-pop n’est plus une simple curiosité venue de l’étranger. BTS a rendu la K-pop mainstream. En remportant le prix du meilleur groupe/duo aux Billboards, BTS a également brisé un tabou : des artistes coréens chantant en langue coréenne peuvent « prendre » les récompenses dédiées aux artistes américains sans que cela choque le public.
Le même tabou vient d’être brisé par Bong Joon Ho en recevant l’Oscar du meilleur film avec un long métrage en langue coréenne, devant une concurrence américaine prestigieuse (1917, The Irishman, Joker…). Le réalisateur a par ailleurs marché sur les traces de BTS dans les médias grand public américains en se rendant sur le plateau du Tonight Show! pour répondre à Jimmy Fallon. Il n’a d’ailleurs pas manqué de faire un clin d’œil au septet de Big Hit Entertainment.
Sur le tapis rouge des Golden Globes 2020, Bong Joon Ho a rendu hommage au groupe de K-pop : « Bien que je sois ici aux Golden Globes, BTS a 3000 fois plus de pouvoir et d’influence que moi. Je pense que la Corée produit beaucoup de grands artistes parce que nous sommes des personnes émotionnellement dynamiques. »
Les acteurs de Parasite font le show
L’appropriation du phénomène Parasite par le grand public se traduit par un autre fait marquant : le SAG Awards du meilleur ensemble d’acteurs. Ce prix mérite une attention particulière.
Tout d’abord, quel plaisir de voir Song Kang Ho, Lee Sun Kyun, Lee Jung Eun, Choi Woo Sik ou encore Park So Dam faire partie de cette aventure ! Leurs performances pittoresques jouent un rôle fondamental dans le succès de Parasite. Leur venue au tapis rouge des Oscars n’est d’ailleurs pas passée inaperçue : avec leur spontanéité et leur joie manifeste d’être présents, ils ont littéralement volé la vedette aux stars hollywoodiennes.
Les SAG Awards viennent valider un changement important : désormais, l’honneur n’appartient plus seulement au réalisateur, cet artiste encensé par les cinéphiles avertis, mais aussi à ceux qui le représentent à l’écran. La reconnaissance de Parasite prend ainsi une dimension plus populaire. En effet, les acteurs d’un film sont notre lien direct avec ce dernier, ceux qui provoquent l’identification immédiate du spectateur, qui produisent les émotions.
Cette reconnaissance intervient simultanément avec le déversement massif, sur Netflix, des séries TV coréennes. En s’introduisant dans les foyers, les séries représentent l’étape ultime pour créer un sentiment de familiarité avec une culture. Les dramas font ainsi entrer le visionnage des productions coréennes dans les mœurs. Pragmatique jusqu’au bout, Netflix a bien compris la capacité des dramas coréens à embarquer le spectateur, quelles que soient ses origines.
En d’autres termes, nous sommes en train d’assister, avec le phénomène BTS, l’oscarisation de Parasite et l’invasion des séries coréennes sur Netflix, à un bouleversement majeur dans l’équilibre des forces entre les pays sur la scène culturelle mondiale.
Il est devenu obsolète de parler de « hallyu »: la Corée est passée à la vitesse supérieure. Le succès de la culture pop coréenne ne relève plus d’une « vague coréenne », mais d’une installation durable qui risque d’être difficile à concurrencer, notamment pour les pays européens.
Parasite en noir et blanc
Aux États-Unis, le film Parasite a connu un parcours exceptionnel dans les salles obscures. Sorti à l’origine dans 3 cinémas, il ne cesse d’attirer les spectateurs et déploie actuellement ses affiches dans 1060 salles.
En France, Parasite a attiré plus de 1,7 million de spectateurs. Le distributeur The Jokers nous gâte de nouveau ce mois-ci en ressortant le film cette semaine dans 157 salles, puis en sortant la semaine prochaine la version en noir et blanc.
Bong Joon Ho nous promet une expérience nouvelle : « Pouvoir présenter Parasite sur grand écran dans sa version Black & White, me rend extrêmement heureux. Je trouve fascinant de voir comment l’expérience de visionnage sera modifiée pour le public qui découvrira le film dans cette version. Je suis persuadé que chacun aura une opinion différente sur cette nouvelle version. »
Pour rappel, The Jokers nous propose déjà une superbe série d’éditions DVD/Blu-ray de Parasite. La sortie de la version en noir et blanc aura lieu le 19 février 2020 dans les salles françaises.
Elodie Leroy