Critique : Poetry, de Lee Chang Dong

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Le cinéaste Lee Chang Dong revient avec un drame introspectif dans lequel la poésie se heurte à la cruauté de la vie.

Poetry pose la question de la survie de la poésie dans le monde actuel à travers le parcours d’une sexagénaire sensible à la beauté du monde mais confrontée à sa dureté. Au contraire de Secret Sunshine qui extériorisait des émotions extrêmes, Poetry se dessine comme une œuvre tout en intériorité, dans laquelle on relèvera quelques discrètes ellipses lui conférant un charme mystérieux. Interprétée avec un mélange de douceur et d’énergie par Yun Jung Hee, Mija émeut par sa simplicité et sa sensibilité. Un drame à la fois doux et cruel, chargé d’une émotion délicate.

Trois ans après Secret Sunshine, qui avait valu à son actrice principale un prix d’interprétation à Cannes, Lee Chang-Dong nous revient avec Poetry, l’histoire de Mija (Yun Junghee), une sexagénaire excentrique qui cherche la poésie dans l’univers qui l’entoure.

Sa vie bascule lorsqu’elle apprend que son petit fils adolescent (David Lee), qu’elle élève seule et qui ne lui témoigne qu’une froide indifférence, est mêlé à une sombre affaire de viol collectif dont la victime, une collégienne, s’est suicidée.

A travers les pérégrinations et le parcours introspectif de Mija, Lee Chang-Dong connecte la naissance de la poésie au regard sur le monde mais aussi à la souffrance et au désarroi, pour finalement poser la question de sa survie dans une société où la simple évocation de cet art est devenue synonyme d’ennui.

Poetry relie la maladie d’Alzheimer de Mija à son rapport aux êtres qui l’entourent, oppose la simplicité et la sensibilité de cette femme à l’indifférence des autres face au suicide de la jeune Agnès. Au cœur du film, la vie, la mort, la mémoire et la poésie forment un cercle en perpétuel mouvement pour engendrer une émotion pure et délicate.

Au contraire de Secret Sunshine qui extériorisait des émotions extrêmes et ne laissait guère planer le doute sur l’évolution de son personnage principal, Poetry se dessine comme une œuvre tout en retenue et en intériorité, dans laquelle on relèvera quelques discrètes ellipses incitant le spectateur à combler les espaces vides et conférant au film un charme mystérieux.

Si l’on perçoit le trouble de Mija, on se demande parfois ce qui se cache derrière ses yeux observateurs, comme dans cette scène où, poussée par les pères égoïstes des amis de son petit-fils, elle rend visite à la mère de l’Agnès pour finalement l’entretenir sur les abricots ramassés dans un champ. A-t-elle délibérément changé de sujet ou est-ce un oubli dû à sa maladie ?

Tout juste ralenti par quelques baisses de rythme, le film semble évoluer au rythme du cœur de Mija, elle-même interprétée avec un mélange de douceur et d’énergie par Yun Junghee qui soutient entièrement le film sur ses frêles épaules.

Le regard de Mija se confond avec le notre pour nous faire vibrer : la poésie éclot dans les détails les plus imprévus, trésor de la nature ou de la banalité du quotidien. Et le pari de Lee Chang-Dong, cinéaste en constant renouvellement, de réussir en beauté.

Poetry était sélectionné en compétition au Festival de Cannes 2010.

Elodie Leroy

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