Le réalisateur Im Sang Soo revient sur le film Le Vieux Jardin, le contexte historique de l’intrigue ou encore le tournage des scènes d’émeute. Découvrez notre entretien réalisé lors de la sortie du film en France.
Nous avons eu la chance de rencontrer Im Sang Soo lors de passage à Deauville à l’occasion du Festival du Film Asiatique 2007 pour nous parler du Vieux Jardin, son dernier film avec Ji Jin Hee et Yum Jung Ah dans les rôles principaux. Du thriller politique The President’s Last Bang au film naturaliste Une Femme Coréenne, en passant par le sulfureux The Housemaid, sa filmographie laisse présager d’une personnalité à part, une impression qui se confirme lorsque nous le rencontrons : souriant, l’air détendu, Im Sang Soo n’y va pourtant pas par quatre chemins pour exprimer ses idées lorsque nous l’interrogeons sur le contenu de son dernier film.
Elodie et Caroline Leroy : Le contexte historique du Vieux Jardin prolonge les événements développés dans The President’s Last Bang mais s’attarde davantage sur les destins individuels. Aviez-vous à cœur de montrer l’impact de ces bouleversements politiques sur les individus ?
Im Sang Soo : Exactement. Après l’assassinat du président Park Chung Hee, tout le monde souhaitait voir la démocratie s’installer dans le pays et tentait de fuir ce régime politique oppresseur. Le massacre de Kwangju a eu un énorme impact sur les Coréens et possède une signification particulière, pour deux raisons. La première, c’est que tous les étudiants et les activistes qui étaient plein de rêves et d’idéaux à cette époque se sont rendus compte qu’ils ne pouvaient pas changer le monde face aux armes à feu du gouvernement. C’est à cette période que des mouvements ouvriers se sont développés en Corée et que de nombreux étudiants ont abandonné la fac pour aller à l’usine, tout comme dans le film la jeune fille qui se suicide en s’immolant.
La deuxième chose que les Coréens ont apprise à travers ces événements est que les États-Unis ne voulaient pas voir la démocratie s’instaurer en Corée et n’étaient pas du tout du côté des libéraux. Il existe d’ailleurs un documentaire télévisé sur le sujet. Les États-Unis ont indirectement participé à ce massacre.
Le personnage féminin principal manifeste tout au long de l’histoire une distance vis-à-vis de l’engagement politique de ses amis. Est-ce que vous vous sentez proche de ce genre de personnage ?
Lorsque le film est sorti en Corée, j’ai découvert avec grand plaisir qu’il y avait beaucoup de critiques positives. L’une d’entre elles, surtout, m’a particulièrement plu. Elle venait d’une journaliste d’une vingtaine d’années, dont l’article s’intitulait : « la Femme rencontre enfin l’Histoire ».
Dans le film, c’est bel et bien l’homme qui est l’activiste et qui se déclare concerné par les enjeux politiques. Mais en fin de compte, c’est finalement la femme qui subit les conséquences de tous les bouleversements de l’Histoire, et non lui. Elle n’a a priori aucune conviction politique et c’est pourtant elle qui doit survivre dans cette société. C’est elle qui élève l’enfant, par exemple. Or jusqu’ici, dans la littérature et le cinéma, la femme était toujours montrée à travers sa relation avec un homme, dont elle était l’épouse ou l’amoureuse. Cette critique disait que, pour la première fois, elle était montrée en tant qu’être à part entière.
Je ne voulais pas forcément signifier que c’est spécifiquement ce genre de femme qui m’intéresse ni qu’il faut devenir comme elle. Je voulais juste montrer que ce mode de vie était beaucoup plus précieux que celui qui mène à manifester, que les personnes apparaissant en arrière-plan sont parfois les plus importantes. Cela me semble particulièrement important à notre époque où les gens ont oublié tous leurs idéaux.
Par rapport au roman d’origine, avez-vous eu l’impression d’apporter un point de vue nouveau sur l’histoire des personnages ?
Le Vieux Jardin est un gros pavé dont j’ai dû bien entendu compresser la trame, même si j’ai tenté d’y rester le plus fidèle possible. S’il y a une différence, je dirais qu’elle tient à l’importance bien plus grande que j’ai tenté d’apporter au rôle de la femme, par rapport au roman.
L’autre différence concerne le jeune étudiant qui entretient une liaison avec elle : il est bien présent dans le livre mais je l’ai appelé Yangja et je le décris comme un étudiant qui va devenir un avocat très célèbre dans le domaine des Droits de l’Homme. C’était pour faire la liaison avec mon film Une Femme Coréenne, dont le rôle masculin principal était un avocat qui s’appelait Yangja.
Par rapport à vos films précédents, Le Vieux Jardin adopte une tonalité plus émotionnelle tout en mettant l’accent sur l’extrême brutalité des scènes de manifestation. Cette opposition était-elle volontaire ?
En effet, c’est la première fois qu’il y a une histoire mélodramatique dans un de mes films. Mes quatre longs métrages précédents ne possèdent aucune scène de ce genre et je voulais effectivement que les spectateurs se posent des questions quant à ce changement de ton. En même temps, je voulais créer un contraste entre la douce histoire d’amour et la brutalité propre à cette époque. Ce qui est amusant, justement, c’est que je me suis finalement énormément ennuyé en tournant les scènes romantiques, alors qu’il fallait que je fasse ressortir une certaine émotion. C’était donc assez difficile. Au contraire, toutes les scènes de manifestation ou celles montrant le personnage masculin poursuivi par la police se sont révélées assez jubilatoires à réaliser.
Pouvez-vous nous parler du tournage des scènes d’émeute, très réalistes dans leur approche, et plus particulièrement de la scène terrible de répression policière ?
Dans le scénario, ces scènes de manifestation tenaient en trois lignes, mais le tournage a duré trois jours. On a rameuté tous les figurants, les camions et les forces policières imaginables et on a ramené du gaz lacrymogène. A un moment donné, mon producteur est devenu tellement fou qu’il est descendu avec tous ceux qui avaient financé le film. Il m’a demandé : « Mais qu’est-ce que tu es en train de faire ? ». Cette scène était cependant très importante pour moi. Il y a déjà eu quelques scènes similaires dans d’autres films, mais dans celui-ci, elle devait représenter à elle seule toutes les années 1980.
Comment ces scènes ont-elles été reçues par le public ?
Pour être franc, il y a deux choses qui parviennent à retenir pleinement l’attention des spectateurs : les scènes de sexe et les scènes de violence. Même quand il n’y a pas de dialogue, ils sont happés par ces deux éléments. Dans Le Vieux Jardin, une partie de l’histoire se déroule dans les montagnes calmes et reculées. Lorsque l’on bascule soudainement dans ces quatre minutes de violence, l’impact est énorme sur les spectateurs.
Beaucoup d’entre eux se sont demandés comment j’avais fait pour les tourner et comment mon chef opérateur avait pu obtenir ce résultat. Ils savaient que ce n’était pas un documentaire mais ils se demandaient comment j’avais pu recréer ça. Je voulais vraiment mettre l’accent sur ces scènes car je voulais montrer qu’en dehors de cette petite montagne paisible, à l’extérieur, ces choses-là se passaient sans arrêt.
Le dessin semble avoir une importance particulière dans le film et donne d’ailleurs lieu à de très belles scènes. L’art du portrait exprime justement le regard subjectif d’une personne sur une autre. De quelle manière faut-il mettre les tableaux en relation avec les personnages ?
Dans le roman, Yoon Hee est déjà peintre. Avant que le personnage principal ne parte, elle est déjà en train de dessiner. Dans mon film, j’ai voulu accorder une place beaucoup plus importante à ses dessins et je tenais particulièrement à ce qu’elle réalise les portraits à partir de photos. Dans la dernière scène, le tableau sert de cadeau du père à sa fille, et lorsque le générique de fin apparaît, on voit un portrait de famille qui se dessine.
Quand j’ai voulu adapter le roman Le Vieux Jardin, j’ai immédiatement pensé au peintre Cho Duk Hyun car c’est un artiste qui dessine de manière très réaliste. Il arrive même que ses dessins paraissent encore plus réels que les photos. Je le connais depuis plus de dix ans et heureusement, il aime bien mes films et en plus il avait lu le roman.
A l’époque, il faisait une série de portraits qui s’appelait Mémoires du 20e siècle et qui s’apparentait beaucoup à ce que je voulais obtenir dans ce film. Il a donc réalisé tous les tableaux pour le film, tout ce que vous voyez sur les murs. D’ailleurs, la main que vous voyez dessiner est celle de Cho Duk Hyun. J’ai pris tous ses dessins dans l’ordre chronologique, en intégrant même des œuvres qu’il a réalisées il y a vingt ans, afin de mettre en parallèle le développement du personnage féminin, Yoon Hee, avec son développement artistique.
D’autre part, si vous regardez bien le générique du début, vous verrez la mention réservée à l’auteur du roman original et tout de suite après celle destinée au peintre, car je voulais accorder autant d’importance aux deux. A présent, Cho Duk Hyun est un peintre coréen très connu mondialement, notamment à New York.
Il paraît que vous devez tourner prochainement un film en langue française…
Effectivement. Pour l’instant, le titre est « Une certaine femme à Paris », mais il est susceptible de changer. Le synopsis est déjà très long et pour le moment nous sommes en pourparlers avec différents producteurs français. Justement, après le festival, je dois me rendre à Paris pour en discuter.
Je ne sais pas si vous avez vu mon film Girls’ Night Out, mais parmi les personnages, il y a une jeune fille qui en a marre du conservatisme coréen et qui part à Paris. J’ai dans l’idée que cela pourrait être une suite. Cette fille serait installée à Paris et y aurait déjà vécu un certain temps. Dans l’histoire, elle essaierait de survivre avec son corps et sa tête parmi les hommes, ou à travers des hommes de différentes origines. Il s’agirait en quelque sorte d’une comédie érotique qui aurait en même temps un fort contenu politique et provocateur puisqu’elle aborderait la question raciale. Vous pensez que ce sera drôle ?
En tout cas l’histoire a l’air originale !
Le seul problème, c’est que je ne parle pas le français !
Propos recueillis à Deauville par Elodie et Caroline Leroy
Interview réalisée au Festival du Film Asiatique de Deauville 2007 pour le site Dvdrama, dont nous étions journalistes de 2003 à 2007.