Ji Jin Hee et Yum Jung Ah dans une histoire d’amour sur fond de bouleversements politiques et de mouvement social.
ARCHIVE – 1980, Corée du Sud. Après l’assassinat du Président Park Chung Hee, le pays tente d’assimiler les bases de la Démocratie. L’avenir semble incertain et les rues sont le théâtre de manifestations durement réprimées par l’armée. Militant socialiste, Hyun Woo (Ji Jin-Hee) doit fuir dans la montagne. Il est hébergé par une jeune femme du nom de Yoon Hee (Yum Jung-Ah), artiste peintre et enseignante dans une école. Rapidement, Hyun Woo et Yoon Hee se rapprochent.
Après six mois d’amour passionné dans cet oasis, le jeune homme doit affronter un cruel dilemme : continuer à vivre avec Yoon Hee et oublier ses activités, ou bien retourner à la vie politique et abandonner la jeune femme. Il choisit la seconde option. Capturé par les forces de l’ordre, il passe 17 ans en prison. A sa sortie, il décide de revenir dans la région où il a connu Yoon Hee…
Un bout d’Histoire de Corée
Le Vieux Jardin s’inspire du roman éponyme écrit par Hwang Sok Yong au cours de ses cinq années de détention en Corée et de son exil en Occident, une œuvre couronnée de succès lors de sa sortie coréenne en 2000. Si le cinéaste Im Sang-Soo avoue volontiers ne pas partager l’expérience des manifestations étudiantes décrites dans l’histoire, il n’en est pas moins l’homme de la situation pour saisir l’essence et l’universalité du parcours des personnages.
Au moment où débute Le Vieux Jardin, la Corée du Sud se remet tout juste du meurtre du Président Park Chung Hee survenu en 1979, un événement qui constituait justement le sujet de The President’s Last Bang, du même réalisateur. Alors que ce dernier voyait son intrigue centrée sur les enjeux politiques liés à la disparition de Park Chung Hee, Le Vieux Jardin s’attarde sur les suites de l’assassinat pendant les vingt années qui suivent et notamment sur les événements tragiques qui se sont déroulés à Gwangju en mai 1980.
La fin des illusions
Le Vieux Jardin s’intéresse à deux destins individuels à travers la romance entre une enseignante avec un activiste. Ce nouveau long métrage se démarque notablement du précédent, c’est en adoptant une approche centrée sur les personnages pour évoquer ce contexte sensible, là où The President’s Last Bang décortique les conséquences de l’assassinat du Président sous l’angle politique.
On ne pourra s’empêcher de relever le point commun qui rapproche le personnage principal masculin, Hyun Woo (Ji Jin Hee), avec l’auteur du livre, à savoir l’expérience de l’emprisonnement pour des raisons politiques. Toutefois, c’est à travers le point de vue de Yoon Hee (Yum Jung Ah) qu’Im Sang Soo semble vouloir exprimer le regard qu’il porte sur la Corée des années 80. Le Vieux Jardin dresse un tableau peu flatteur, mais néanmoins nuancé de cette période de l’histoire.
Restant à distance de toute forme de mouvement collectif, Yoon Hee assiste à la naissance des idéaux de ses amis, puis à leurs désillusions et enfin à leur détresse face à la répression. A travers son regard et son indépendance d’esprit, le cinéaste Im Sang Soo exprime compréhension et compassion vis-à-vis des opprimés, mais se refuse à ériger quiconque en exemple.
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Filmées à la manière d’un reportage, les séquences de répression des manifestations étudiantes par les militaires s’avèrent particulièrement impressionnantes, de par leur réalisme et leur brutalité. Im Sang Soo ne nous épargne pas quelques spectacles traumatisants, comme celui de ces militants désespérés qui s’immolent par le feu.
La violence de ces scènes s’oppose à la délicatesse des échanges tout en retenue entre Hyun Woo et Yoon Hee lors des séquences intimistes, une relation marquée par un égalitarisme presque idyllique, venant là encore trancher avec les rapports de domination qui régissent la société.
Comme souvent chez Im Sang Soo, la femme révèle une personnalité plus affirmée que l’homme, dont l’orgueil et le manque de discernement finissent par coûter cher au couple. Les deux amants ont néanmoins en commun une incapacité à exprimer leurs émotions, au point que Yoon Hee ne transmet que de manière posthume à son amant ses sentiments les plus profonds, à travers son journal mais aussi par le biais des toiles qu’elle laisse derrière elle.
D’un point de vue visuel comme narratif, le dessin occupe à ce titre une place essentielle dans le film : parfois utilisé comme transition entre les flash back et les moments présents, il permet aussi à Hyun Woo de découvrir qui était réellement Yoon Hee. Si Hyun Woo semble être passé à côté de sa vie, Le Vieux Jardin réserve une place à la rédemption et à l’espoir au travers d’un final touchant, bien que prévisible.
Plus flamboyante, plus choc mais aussi plus émotionnelle que les œuvres précédentes du cinéaste, Le Vieux Jardin témoigne une fois de plus de la personnalité atypique de son auteur.
Elodie Leroy
Portrait : la carrière du réalisateur Im Sang Soo en 7 films
Après avoir débuté auprès du célèbre réalisateur Im Kwon Taek en tant qu’assistant puis scénariste, le réalisateur coréen Im Sang Soo marque les esprits dès son premier film en 1998, Girls’ Night Out, qui aborde de front la question de la sexualité féminine.
Ce succès public et critique lui permet de réaliser quelques années plus tard son second long métrage, Tears, une œuvre nettement plus sombre qui dresse un tableau peu flatteur de la Corée du Sud d’aujourd’hui à travers l’histoire d’adolescents de la rue qui vendent leur corps. Fortement controversé, le film provoque des réactions extrêmes de la part de certains spectateurs tandis qu’il remporte un fier succès au festival de Busan.
Avec son troisième film, Une Femme Coréenne, Im Sang Soo confirme son goût pour les sujets subversifs en s’attardant cette fois sur la liaison d’une femme délaissée par son mari avec son jeune voisin de dix-sept ans. Tragique sans jamais paraître mélodramatique, Une Femme Coréenne bouleverse par les sentiments extrêmes et les sensations très pures qui s’en dégagent, révélant par la même occasion au monde entier la comédienne Moon So Ri, remarquable dans le rôle principal. Présenté à Venise et à Busan, le film obtient aussi le Lotus D’Or au 6e Festival du Film Asiatique de Deauville.
La tendance prononcée du réalisateur à ausculter de la société coréenne s’étend au passé politique du pays avec The President’s Last Bang, avec Baek Yoon Sik et Han Seok Gyu. Le film relate les événements précédant et suivant l’assassinat du Président Park Chung Hee en 1979. Déployant des trésors de mise en scène, notamment lors d’un plan séquence stupéfiant qui se déroule juste avant le meurtre, Im Sang Soo tente de démontrer qu’un système politique tel que la Démocratie ne saurait être transposable du jour au lendemain à un pays qui sort tout juste d’une dictature.
Les intentions du réalisateur ne l’empêchent pas d’être le sujet d’attaques de la part des descendants du président qui accusent le film de montrer Park Chung Hee comme un homme décadent. La Censure tranche et le film est amputé de ses premières minutes, des images d’archives qui se verront cependant réintégrées lors de la ressortie du film en 2006.
Avec Le Vieux Jardin, Im Sang Soo s’attaque à l’adaptation du roman à succès du même nom de Hwang Seok Yong. L’histoire se déroule au lendemain de l’assassinat de Park Chung Hee et relate les destinées d’une femme peintre et de son amant, un activiste en lutte contre le gouvernement.
En 2010, il réalise le remake de The Housemaid, un célèbre film du grand Kim Ki Young, en prenant quelques libertés avec le scénario d’origine. Le cinéaste signe une œuvre dérangeante qui sera présentée au Festival de Cannes 2010. Le même festival accueille deux ans plus tard L’Ivresse de l’Argent, avec Kim Kang Woo et Baek Yoon Sik, un film qui dresse un tableau acide de la haute société coréenne et des rapports de pouvoir au sein d’une même famille.
De passage à Deauville à l’occasion du festival du film asiatique, Im Sang Soo nous a accordé un petit moment pour nous parler du Vieux Jardin, présenté en section Panorama. Sa filmographie laisse présager d’une personnalité à part, une impression qui se confirme lorsque nous le rencontrons : souriant, l’air détendu, Im Sang Soo n’y va pourtant pas par quatre chemins pour exprimer ses idées lorsque nous l’interrogeons sur le contenu de son dernier film.
Interview du réalisateur Im Sang Soo
Nous avons eu la chance de rencontrer Im Sang Soo lors de passage à Deauville à l’occasion du Festival du Film Asiatique, Im Sang Soo nous a accordé un petit moment pour nous parler du Vieux Jardin, présenté en section Panorama. Sa filmographie laisse présager d’une personnalité à part, une impression qui se confirme lorsque nous le rencontrons : souriant, l’air détendu, Im Sang Soo n’y va pourtant pas par quatre chemins pour exprimer ses idées lorsque nous l’interrogeons sur le contenu de son dernier film.
Elodie et Caroline Leroy : Le contexte historique du Vieux Jardin prolonge les événements développés dans The President’s Last Bang mais s’attarde davantage sur les destins individuels. Aviez-vous à cœur de montrer l’impact de ces bouleversements politiques sur les individus ?
Im Sang Soo : Exactement. Après l’assassinat du président Park Chung Hee, tout le monde souhaitait voir la démocratie s’installer dans le pays et tentait de fuir ce régime politique oppresseur. Le massacre de Kwangju a eu un énorme impact sur les Coréens et possède une signification particulière, pour deux raisons. La première, c’est que tous les étudiants et les activistes qui étaient plein de rêves et d’idéaux à cette époque se sont rendus compte qu’ils ne pouvaient pas changer le monde face aux armes à feu du gouvernement. C’est à cette période que des mouvements ouvriers se sont développés en Corée et que de nombreux étudiants ont abandonné la fac pour aller à l’usine, tout comme dans le film la jeune fille qui se suicide en s’immolant.
La deuxième chose que les Coréens ont apprise à travers ces événements est que les États-Unis ne voulaient pas voir la démocratie s’instaurer en Corée et n’étaient pas du tout du côté des libéraux. Il existe d’ailleurs un documentaire télévisé sur le sujet. Les États-Unis ont indirectement participé à ce massacre.
Le personnage féminin principal manifeste tout au long de l’histoire une distance vis-à-vis de l’engagement politique de ses amis. Est-ce que vous vous sentez proche de ce genre de personnage ?
Lorsque le film est sorti en Corée, j’ai découvert avec grand plaisir qu’il y avait beaucoup de critiques positives. L’une d’entre elles, surtout, m’a particulièrement plu. Elle venait d’une journaliste d’une vingtaine d’années, dont l’article s’intitulait : « la Femme rencontre enfin l’Histoire ».
Dans le film, c’est bel et bien l’homme qui est l’activiste et qui se déclare concerné par les enjeux politiques. Mais en fin de compte, c’est finalement la femme qui subit les conséquences de tous les bouleversements de l’Histoire, et non lui. Elle n’a a priori aucune conviction politique et c’est pourtant elle qui doit survivre dans cette société. C’est elle qui élève l’enfant, par exemple. Or jusqu’ici, dans la littérature et le cinéma, la femme était toujours montrée à travers sa relation avec un homme, dont elle était l’épouse ou l’amoureuse. Cette critique disait que, pour la première fois, elle était montrée en tant qu’être à part entière.
Je ne voulais pas forcément signifier que c’est spécifiquement ce genre de femme qui m’intéresse ni qu’il faut devenir comme elle. Je voulais juste montrer que ce mode de vie était beaucoup plus précieux que celui qui mène à manifester, que les personnes apparaissant en arrière-plan sont parfois les plus importantes. Cela me semble particulièrement important à notre époque où les gens ont oublié tous leurs idéaux.
Par rapport au roman d’origine, avez-vous eu l’impression d’apporter un point de vue nouveau sur l’histoire des personnages ?
Le Vieux Jardin est un gros pavé dont j’ai dû bien entendu compresser la trame, même si j’ai tenté d’y rester le plus fidèle possible. S’il y a une différence, je dirais qu’elle tient à l’importance bien plus grande que j’ai tenté d’apporter au rôle de la femme, par rapport au roman.
L’autre différence concerne le jeune étudiant qui entretient une liaison avec elle : il est bien présent dans le livre mais je l’ai appelé Yangja et je le décris comme un étudiant qui va devenir un avocat très célèbre dans le domaine des Droits de l’Homme. C’était pour faire la liaison avec mon film Une Femme Coréenne, dont le rôle masculin principal était un avocat qui s’appelait Yangja.
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Par rapport à vos films précédents, Le Vieux Jardin adopte une tonalité plus émotionnelle tout en mettant l’accent sur l’extrême brutalité des scènes de manifestation. Cette opposition était-elle volontaire ?
En effet, c’est la première fois qu’il y a une histoire mélodramatique dans un de mes films. Mes quatre longs métrages précédents ne possèdent aucune scène de ce genre et je voulais effectivement que les spectateurs se posent des questions quant à ce changement de ton. En même temps, je voulais effectivement créer un contraste entre la belle et douce histoire d’amour et la brutalité des scènes caractéristiques de l’époque.
Ce qui est amusant, justement, c’est que je me suis finalement énormément ennuyé en tournant les scènes romantiques, alors qu’il fallait que je fasse ressortir une certaine émotion. C’était donc assez difficile. Au contraire, toutes les scènes de manifestation ou celles montrant le personnage masculin poursuivi par la police se sont révélées assez jubilatoires à réaliser.
Pouvez-vous nous parler du tournage des scènes d’émeute, très réalistes dans leur approche, et plus particulièrement de la scène terrible de répression policière ?
Dans le scénario, ces scènes de manifestation tenaient en trois lignes, mais le tournage a duré trois jours. On a rameuté tous les figurants, les camions et les forces policières imaginables et on a ramené du gaz lacrymogène. A un moment donné, mon producteur est devenu tellement fou qu’il est descendu avec tous ceux qui avaient financé le film. Il m’a demandé : « Mais qu’est-ce que tu es en train de faire ? ».
Cette scène était cependant très importante pour moi. Il y a déjà eu quelques scènes similaires dans d’autres films, mais dans celui-ci, elle devait représenter à elle seule toutes les années 1980.
Comment ces scènes ont-elles été reçues par le public ?
Pour être franc, il y a deux choses qui parviennent à retenir pleinement l’attention des spectateurs : les scènes de sexe et les scènes de violence. Même quand il n’y a pas de dialogue, ils sont happés par ces deux éléments. Dans Le Vieux Jardin, une partie de l’histoire se déroule dans les montagnes calmes et reculées. Lorsque l’on bascule soudainement dans ces quatre minutes de violence, l’impact est énorme sur les spectateurs.
Beaucoup d’entre eux se sont demandés comment j’avais fait pour les tourner et comment mon chef opérateur avait pu obtenir ce résultat. Ils savaient que ce n’était pas un documentaire mais ils se demandaient comment j’avais pu recréer ça. Je voulais vraiment mettre l’accent sur ces scènes car je voulais montrer qu’en dehors de cette petite montagne paisible, à l’extérieur, ces choses-là se passaient sans arrêt.
Le dessin semble avoir une importance particulière dans le film et donne d’ailleurs lieu à de très belles scènes. L’art du portrait exprime justement le regard subjectif d’une personne sur une autre. De quelle manière faut-il mettre les tableaux en relation avec les personnages ?
Dans le roman, Yoon Hee est déjà peintre. Avant que le personnage principal ne parte, elle est déjà en train de dessiner. Dans mon film, j’ai voulu accorder une place beaucoup plus importante à ses dessins et je tenais particulièrement à ce qu’elle réalise les portraits à partir de photos. Dans la dernière scène, le tableau sert de cadeau du père à sa fille, et lorsque le générique de fin apparaît, on voit un portrait de famille qui se dessine.
Quand j’ai voulu adapter le roman Le Vieux Jardin, j’ai immédiatement pensé au peintre Cho Duk Hyun car c’est un artiste qui dessine de manière très réaliste. Il arrive même que ses dessins paraissent encore plus réels que les photos. Je le connais depuis plus de dix ans et heureusement, il aime bien mes films et en plus il avait lu le roman.
A l’époque, il faisait une série de portraits qui s’appelait Mémoires du 20e siècle et qui s’apparentait beaucoup à ce que je voulais obtenir dans ce film. Il a donc réalisé tous les tableaux pour le film, tout ce que vous voyez sur les murs. D’ailleurs, la main que vous voyez dessiner est celle de Cho Duk Hyun. J’ai pris tous ses dessins dans l’ordre chronologique, en intégrant même des œuvres qu’il a réalisées il y a vingt ans, afin de mettre en parallèle le développement du personnage féminin, Yoon Hee, avec son développement artistique.
D’autre part, si vous regardez bien le générique du début, vous verrez la mention réservée à l’auteur du roman original et tout de suite après celle destinée au peintre, car je voulais accorder autant d’importance aux deux. A présent, Cho Duk Hyun est un peintre coréen très connu mondialement, notamment à New York.
Il paraît que vous devez tourner prochainement un film en langue française…
Effectivement. Pour l’instant, le titre est « Une certaine femme à Paris », mais il est susceptible de changer. Le synopsis est déjà très long et pour le moment nous sommes en pourparlers avec différents producteurs français. Justement, après le festival, je dois me rendre à Paris pour en discuter.
Je ne sais pas si vous avez vu mon film Girls’ Night Out, mais parmi les personnages, il y a une jeune fille qui en a marre du conservatisme coréen et qui part à Paris. J’ai dans l’idée que cela pourrait être une suite. Cette fille serait installée à Paris et y aurait déjà vécu un certain temps. Dans l’histoire, elle essaierait de survivre avec son corps et sa tête parmi les hommes, ou à travers des hommes de différentes origines. Il s’agirait en quelque sorte d’une comédie érotique qui aurait en même temps un fort contenu politique et provocateur puisqu’elle aborderait la question raciale. Vous pensez que ce sera drôle ?
En tout cas l’histoire a l’air originale !
Le seul problème, c’est que je ne parle pas le français !
Propos recueillis à Deauville par Elodie et Caroline Leroy
Interview réalisée au Festival du Film Asiatique de Deauville 2007
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