Uncle Samsik : Song Kang Ho et Byun Yo Han rêvent de réformer la Corée dans une série aride mais percutante

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Disponible sur Disney+, le drama historique Uncle Samsik séduit par la richesse de son propos socio-politique et la qualité de son interprétation, malgré une mise en route laborieuse.

Il y a des séries superficielles qui génèrent un buzz énorme, projetant leurs stars dans la lumière et entrainant des discussions passionnées. Et il y a celles, à l’inverse, qui sont dotées de qualités indéniables mais échouent à trouver immédiatement leur public. Vous l’avez deviné, Uncle Samsik fait partie de la seconde catégorie.

Les débuts télévisés de l’acteur Song Kang Ho, roi du box-office coréen depuis vingt ans et star du film oscarisé Parasite, avaient suscité une attente fébrile. Le projet apparaissait d’autant plus excitant qu’il était pourvu d’un budget de 40 milliards de won (environ 18,8 millions d’euros) et confié à un réalisateur/scénariste de cinéma expérimenté, Shin Yeon Sik (The Russian Novel).

Cependant, force est de constater que la curiosité est rapidement retombée. Si Uncle Samsik s’est brièvement classé dans le top 10 de la plateforme Disney+ après sa sortie le 15 mai 2024, il ne faisait plus l’actualité depuis longtemps au moment de sa conclusion le 19 juin, que ce soit en Corée du Sud ou dans le reste du monde. Il serait néanmoins dommage d’en rester là, tant le drama s’avère qualitatif, et s’empare de thèmes passionnants et plutôt inédits dans les séries coréennes.

Débutant à la fin des années 50, l’intrigue d’Uncle Samsik s’intéresse au parcours sinueux de Park Doo Chil (Song Kang Ho), surnommé Oncle Samsik en raison de sa capacité à fournir trois repas (littéralement « sam sik ») par jour à ses proches, même en temps de guerre. En réalité, Park est un « kingmaker » qui apporte son aide aux personnalités politiques en échange d’une position sociale avantageuse. Son rêve ? Devenir un membre officiel de la prestigieuse fédération Cheongwoo, qui réunit les puissants du pays. Le problème, c’est qu’il a misé sur le mauvais cheval en la personne de Kang Seong Min (Lee Kyu Hyung), un député corrompu œuvrant pour le parti libéral du président en place.

La vie de Park bascule lorsqu’il fait la rencontre de Kim San (Byun Yo Han), un jeune intellectuel qui a étudié aux Etats-Unis et qui partage ses idéaux de démocratie. Il s’efforce aussitôt de le convaincre de se présenter aux élections présidentielles pour qu’il mette en œuvre son plan d’industrialisation du pays. D’abord réticent, Kim San finit par se laisser séduire, mais il se retrouve face à un dilemme lorsque Samsik commence à critiquer sa relation avec la journaliste Choo Yeo Jin (Jin Ki Joo), fille du chef du parti de l’innovation Choo In Tae (Oh Kwang Rok).

Œuvre ambitieuse s’il en est, Uncle Samsik vise à exposer à travers ses personnages de fiction la complexité des tractations politiques ayant conduit à la fraude électorale de mars 1960 et à la Révolution d’avril, puis au coup d’Etat du 16 mai 1961. Si les personnalités historiques ne sont pas explicitement citées – l’ombre du scandale Joseon Exorcist continue de planer –, Shin Yeon Sik donne au moins un indice fort en nommant son président de fiction Rhee Seung Min, en référence à Rhee Syngman, premier président de la République de Corée du Sud, qui exerça le pouvoir du 20 juillet 1948 jusqu’à sa démission le 26 avril 1960.

La série mobilise en conséquence pléthore de protagonistes qui entretiennent entre eux des liens complexes et changeants. Il en résulte parfois un sentiment de confusion, notamment dans les premiers épisodes où les scènes de conversation se multiplient sans que l’on comprenne immédiatement de quoi il retourne. Cette impression est encore accentuée par l’insertion maladroite de flashforwards sur d’interminables séances d’interrogatoire qui, au lieu de dynamiser l’intrigue, ont tendance à la ralentir fortement.

Ces défauts trouvent probablement leur explication dans le fait qu’Uncle Samsik devait initialement s’étendre sur dix épisodes, et non seize. Dans une interview, le réalisateur admet ainsi avoir éprouvé des difficultés à diluer son scénario sur commande de Disney, ce qui est parfaitement compréhensible.

Après une première partie artificiellement étirée, la série finit par prendre son envol dans sa seconde moitié, qui reflète sans doute davantage la vision de Shin. Le rythme devient plus soutenu et les temps forts se font plus fréquents. Le réalisateur excelle notamment lorsqu’il s’agit de donner une vue d’ensemble sur la succession d’actions menant à un coup politique, grâce à un montage parallèle particulièrement efficace.

Le drama compte à ce titre plusieurs moments de bravoure, parmi lesquels la représentation saisissante de l’escalade menant à la Révolution d’avril 1960, qui mêle images d’archives et scènes filmées dans lesquelles les acteurs mettent toute leur énergie. On salue au passage la finesse de la photographie qui crée l’illusion que tout s’est déroulé en même temps.

Dans cette époque de crise économique profonde, qui n’est pas si éloignée dans le temps de la Guerre de Corée, mais aussi de l’occupation japonaise, Uncle Samsik montre à quel point il est difficile pour les citoyens d’être unis, et pour les hommes politiques de rester fidèles à leurs principes. Kim San, qui travaille au bureau de la reconstruction, est un homme de conviction. Il espère sincèrement pouvoir redresser l’économie du pays pour que tout le monde puisse manger à sa faim. Mais il lui faut sans cesse louvoyer pour tenter de se faire entendre. Le mot démocratie est sur toutes les lèvres, mais ce n’est encore qu’un rêve.

Ce sentiment d’amertume est admirablement traduit dans cette scène simple mais forte, où la journaliste idéaliste jouée par Jin Ki Joo souligne à travers un courrier lu en voix off la nécessité pour la population de prendre en main son destin face à la corruption politique endémique et à la faillite des intellectuels.

Uncle Samsik est donc une série cérébrale, où les dialogues ont une importance pour dépeindre avec précision cette ère de turbulences méconnue. Et pour dire ces mots sans que les personnages paraissent fonctionnels ou désincarnés, le réalisateur s’appuie sur un casting d’ensemble excellent, dominé par un duo d’acteurs de premier choix.

Le grand Song Kang Ho livre une interprétation sobre et nuancée dans la peau de cet homme ambigu qui voit peu à peu son monde s’effondrer. Malgré son statut de superstar, il ne tire jamais la couverture à lui et travaille en parfaite symbiose avec ses partenaires plus jeunes. Il a d’ailleurs confié dans une interview avoir été impressionné par leur fougue. Plus les épisodes passent, et plus sa présence contribue à cimenter cette série particulièrement dense en informations.

Pour lui donner la réplique, Byun Yo Han possède la solidité et la subtilité qu’il faut, conférant à son personnage une dimension impénétrable sans jamais lui ôter son humanité. L’acteur, qui accumule les bons projets ces derniers temps (la série Black Out, le film Following), est certainement l’un des rares de sa génération à pouvoir relever le défi d’un tel rôle.

Lee Kyu Hyung (May It Please the Court) se démarque également avec un personnage de psychopathe névrosé qu’on a du mal à détester. C’est bien simple : il habite chaque scène dans laquelle il apparait. Dans un registre plus discret, Jin Ki Joo (My Perfect Stranger) apporte une grande dignité à son rôle de femme intègre. Elle brille particulièrement dans les scènes de dialogue, grâce à son regard intense et à sa très bonne diction.

L’acteur vétéran Yoo Jae Myung (Song of the Bandits) compose de son côté un personnage de militaire ambigu à souhait, dont le rôle dans les événements se dessine au fil des épisodes. On notera aussi la bonne performance de Roh Jae Won (Daily Dose of Sunshine), nouvel acteur très prometteur qui joue ici les rebelles avec talent.

La seule fausse note du casting est peut-être Tiffany Young (Reborn Rich), qui semble avoir été sélectionnée davantage pour ses compétences en anglais que pour son jeu d’actrice.

Malgré ses défauts de rythme et sa grande complexité, Uncle Samsik n’est pas de ces séries qui se laissent aisément oublier. Bien qu’elle reste une fiction, elle semble posséder cette qualité rare d’offrir le témoignage d’une époque passée tout en résonnant avec notre actualité, qui se caractérise par une crise des démocraties. Pour s’immerger autant que possible dans le contenu d’Uncle Samsik, il est préférable de regarder les épisodes de manière rapprochée, et pourquoi pas, de revoir l’ensemble pour en savourer chaque détail.

Caroline Leroy

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