Photo Im Soo Jung dans Je suis un Cyborg

Critique Je suis un Cyborg : romance dingo avec Rain et Im Soo Jung

Rain et Im Soo-Jung interprètent deux marginaux attachants internés en asile psychiatrique. Critique d’une comédie romantique original et attachante signée Park Chan-Wook.

Il fallait bien que Park Chan Wook en finisse avec la vengeance ! Le cinéaste sud-coréen revient avec ce délicieux Je suis un Cyborg, une fable dont la fantaisie parfaitement dosée abrite une profondeur inattendue. Un film original et touchant qui vient apporter un nouveau souffle au cinéma de Park Chan Wook.

Après les brillants Sympathy for Mr Vengeance et Old Boy, la Trilogie de la Vengeance s’achevait par un dernier opus nettement plus controversé, Lady Vengeance. Si certains se disaient bluffés, d’autres voyaient Park Chan Wook se perdre dans la surenchère. En tout cas, on se demandait comment le cinéaste allait rebondir après avoir déclenché un tel tremblement de terre dans le milieu de la cinéphilie ! Avouons-le, on croyait avoir tout vu du style de Park Chan Wook. On n’avait pas encore découvert Je suis Un Cyborg, preuve éclatante de sa capacité à se renouveler, de son inventivité débordante et, n’ayons pas peur des mots, de son génie.

Park Chan Wook nous a accordé une interview à l’occasion du Festival du Film Asiatique de Deauville.

Photo Im Soo Jung (I'm a Cyborg, but That's Ok)

Je suis un Cyborg raconte l’histoire de Young-Gun (Im Soo Jung), une jeune fille internée par sa mère dans un hôpital psychiatrique parce qu’elle se prend pour un cyborg. Persuadée que la nourriture pourrait la détruire, elle refuse de manger et préfère sucer des piles. Dès qu’elle le peut, elle enfile le dentier de sa grand-mère, seul moyen à ses yeux d’être comprise par les machines avec lesquelles elle dialogue quotidiennement. Bientôt, Young Gun attire l’attention d’un autre patient, Il Soon (Rain), un jeune homme insouciant qui se croit capable de voler les traits de caractère des autres. Tombé amoureux de Young Gun, il va tenter de l’inciter à s’alimenter de nouveau…

Il n’y a qu’à voir les premières images de ce nouveau Park Chan Wook, surréalistes, pour en percevoir l’extrême singularité. L’ouverture donne le ton en pénétrant sans crier gare le monde intérieur de Young Gun – au sein d’une usine aux couleurs flashy, la jeune fille s’ouvre les veines pour y insérer des fils électriques – tout en laissant entendre en voix off une conversation entre sa mère et son médecin.

Si l’on décelait déjà dans les précédents films de l’auteur un attachement aux personnages de marginaux, Je Suis Un Cyborg pousse le bouchon encore plus loin en nous invitant à partager le quotidien d’une galerie pittoresque de malades mentaux dont chacun vit dans un délire qui lui est propre. Ou plutôt un monde qui lui appartient, car ce sont bel et bien différentes « réalités » qui se côtoient dans ce service psychiatrique, et l’on prend immédiatement un plaisir fou à découvrir ce que chacun a dans la tête. Au point que l’on finit par voir les membres de l’hôpital comme des êtres fades et indifférenciés, au contraire des malades qui vivent des émotions intenses à travers leurs fantasmes.

Si le cinéaste tentait quelques expériences formelles intéressantes mais plus ou moins pertinentes dans Lady Vengeance, sa créativité se voit cette fois employée à bon escient. Les nombreuses idées visuelles ou narratives sont ainsi entièrement mises au service de la perception et du ressenti des deux protagonistes principaux, Young Gun et Il Soon.

On décèlera de lointaines parentés avec Le Fabuleux Destin D’Amélie Poulain, pour l’imagerie enfantine qui imprègne les rêveries des personnages, mais la comparaison s’arrêtera là. Au contraire d’un Wisit Sasanatieng (Citizen Dog) qui s’inspirait ouvertement du film de Jeunet, Park a parfaitement su digérer ses influences pour les intégrer à son univers personnel.

On obtient de purs moments de poésie, à commencer par ce voyage onirique que Young Gun partage avec Il Soon à l’écoute du chant tyrolien de ce dernier (impressionnantes qualités vocales de Rain), mais aussi des séquences jouissives comme la fusillade très dansante imaginée par la jeune fille.Outre son originalité et son esthétique très colorée, que l’on doit à un superbe design des décors et à une direction de la photographie à couper le souffle, c’est le mélange de naïveté enfantine, d’humour mais aussi d’ironie qui séduit dans Je suis un Cyborg. Park Chan Wook démontre une fois encore son goût pour les histoires cruelles, comme en témoigne l’émouvante histoire d’amour entre l’héroïne et sa grand-mère.

En adoptant tour à tour le regard décalé de Young Gun et d’Il Soon, l’auteur utilise la fantaisie pour mettre en évidence quelques réalités nettement plus sordides, celles de la société dans laquelle nous vivons, un monde qui rejette les individus hors normes ou considérés comme inutiles à la collectivité, puisque non productifs.

Non content d’en finir avec la thématique fascinante de la vengeance, Park Chan Wook renouvelle aussi de fond en comble sa galerie de comédiens. Exit les caméos en série à la Lady Vengeance, où l’on apercevait tous les habitués de la maison (Song Kang Ho, Shin Ha Gyun, Yu Ji Tae…). Je suis un Cyborg offre un rôle en or à la jeune Im Soo Jung (Deux Sœurs), aussi attachante que méconnaissable (elle a considérablement maigri pour l’occasion), ainsi qu’à la superstar du Hip-Hop coréen Rain (de son vrai nom Jung Ji Hoon) qui se révèle irrésistible en plus d’effectuer un choix de carrière pour le moins surprenant pour son passage sur le grand écran.

La tendre romance qui naît entre Young Gun et Il Soon, qui doit beaucoup au charme et à l’alchimie des deux acteurs, évite tous les pièges de la niaiserie kawaii – là encore, on est à mille lieues de Citizen Dog. Enfin, la précision de la gestuelle des comédiens, dont les postures corporelles participent pleinement à exprimer l’état d’esprit et les émotions des personnages, permet d’apprécier – si ce n’était déjà fait – à quel point Park Chan Wook est un excellent directeur d’acteurs, en plus d’être un formidable conteur d’histoires.

Élodie Leroy

Article publié sur Filmsactu.com le 29 octobre 2007

Lire aussi | Critique : Secret Sunshine, le film qui a valu à Jeon Do Yeon un prix d’interprétation à Cannes

Vous aimerez aussi