Critique : Shark, avec Kim Nam Gil et Son Ye Jin

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Sur une intrigue mêlant le thriller et le mélodrame, le drama Shark remue des souvenirs douloureux de l’Histoire de Corée. Découvrez notre critique de Shark, avec Kim Nam Gil.

Nous vous avions déjà dit tout le bien que nous pensions du drama coréen Shark (ou Don’t Look Back: The Legend of Orpheus) dans notre avis sur les premiers épisodes. Des impressions qui se sont confirmées au fil des épisodes. Sous des dehors d’enquête policière teintée de mélodrame, Shark soulève des questions dérangeantes sur la nécessité de mémoire historique et le rapport des jeunes générations au passé de leur pays. Le drama n’est pas exempt de baisses de rythme, mais le suspense nous tient en haleine jusqu’au bout et l’interprétation de Kim Nam Gil s’avère très convaincante.

Kim Nam Gil (김남길) dans Shark (상어)

Les fictions politiques à la mode en Corée

Synopsis : Laissé pour mort douze ans auparavant, Han Yi Soo (Kim Nam Gil) est de retour sous l’identité d’un riche homme d’affaires. Son but ? Se venger de Jo Sang Kook (Lee Jeong Gil), dirigeant de Gaya Hotel Group, qui a fait assassiner son père dans le passé. Décidé à faire éclater la vérité, Han Yi Soo est tiraillé entre son projet de vengeance et ses sentiments pour Jo Hae Woo (Son Ye Jin), une procureure qui n’est autre que son amour d’adolescence et qui se trouve être la petite-fille de son ennemi.

La Corée n’a pas été épargnée au siècle dernier. Quarante-ans d’occupation japonaise, une guerre qui sépare le pays en deux, de plusieurs dictatures militaires… Impossible de ne pas se sentir admiratif devant la montée économique fulgurante du pays ces cinquante dernières années. Nous pouvons aussi imaginer l’enjeu crucial que représente la transmission de l’histoire aux générations futures. Une histoire dont l’écriture nécessite de constants réajustements, sachant que son récit a été trafiqué sous les différents régimes qui se sont succédé, et que l’on compte encore, dans le monde politique, des acteurs de ces dictatures.

Son Ye Jin (손예진) dans Don't Look Back: The Legend Of Orpheus

Justement, les fictions à portée politique ont le vent en poupe en Corée du Sud depuis 2012. Au cinéma, le réalisateur Chung Ji Young délivrait l’année dernière le thriller juridico-politique Unbowed et le film carcéral National Security – ce dernier, qui se déroulait sous le régime de Chun Doo Hwan dans les années 1980, suscitait la controverse pour ses scènes de torture. À la télévision, le drama Bridal Mask (KBS2) nous plongeait dans la tourmente de l’occupation japonaise au travers d’une histoire de héros masqué. La même année, The King 2 Hearts (MBC) abordait le conflit Nord/Sud à travers une uchronie originale.

Diffusé en 20 épisodes sur KBS2 entre le 27 mai et le 30 juillet 2013, Shark apporte une belle pierre à l’édifice des fictions à message, celles qui se destinent à être un peu plus qu’un simple divertissement. Cette série portée par Kim Nam Gil et Son Ye Jin se présente comme un revenge drama mêlant les codes du thriller et du mélodrame pour délivrer un propos sur le rapport des Coréens à l’histoire de leur pays, et par là même, celle de leur propre famille.

Le Comte de Monte-Cristo version coréenne

Avec son héros torturé et fortuné, qui revient d’entre les morts pour se venger de la famille qui a détruit sa vie, le postulat de Shark n’est pas sans rappeler le roman Le Comte de Monte-Cristo (Alexandre Dumas), d’autant que la famille dont Yi-Soo cherche à se venger est celle de Hae-Woo, son amour de jeunesse.

L’intrigue nous invite à suivre trois enquêtes intimement connectées entre elles : celle de Yi Soo, qui emprunte des chemins sinueux et violents, celle de Hae Woo, qui suit la voie légale (ou presque), mais aussi celle du mari Oh Joon Young, qui évolue au gré des émotions liées à sa crise de couple. En creusant dans leur passé familial, les personnages vont découvrir leurs aînés sous un jour nouveau et lever le voile sur une affaire de corruption trouvant ses racines dans le passé politique tumultueux du pays.

Les premiers épisodes, qui s’intéressent à la jeunesse de Hae-Woo et Yi-Soo, retracent les événements qui serviront de point de départ à leur implication dans l’affaire. Entre l’histoire d’amour adolescente et les malversations de la famille Jo, la mise en place de Shark joue sur le contraste entre l’idéalisme de la jeunesse, figuré par des décors lumineux et des pèlerinages poétiques autour d’un lac, et le cynisme du monde des adultes, où tout se joue en huis clos dans le bureau de Jo Sang Kook, le grand père de Hae-Woo.

Le charme agit instantanément. On se laisse volontiers bercer par les notes mélancoliques de Between Heaven and Hell de BoA. Cette période se solde par un accident spectaculaire au cours duquel Yi-Soo est laissé pour mort.

Si le développement de l’histoire souffre par la suite de quelques baisses de rythme, il serait dommage de se priver des révélations auxquelles nous amène cette série imprévisible.

Le drama trouve ainsi un nouveau souffle dans l’épisode 10, au cours d’une scène de soirée mondaine réunissant tous les personnages. Par un jeu brillamment orchestré de regards et de changements de points de vue, la réalisation capture les enjeux et les discordes plus ou moins avouables qui occupent les esprits (suspicions d’espionnage, frustrations personnelles, rivalités amoureuses), au moment précis où la guerre entre Han Yi Soo et Jo Sang Kook est sur le point d’éclater publiquement.

D’un mélodrame classique sur fond d’enquête policière, nous passons à un thriller tendu et alambiqué. Dès lors, Shark nous tient en haleine jusqu’à la dernière minute grâce à un scénario maîtrisé dans lequel tous les personnages sont tour à tour espions et espionnés, chaque révélation soulevant son lot de nouvelles questions.

Kim Nam Gil en antihéros torturé

Le couple formé par Yi-Soo et Hae-Woo, interprétés respectivement par Kim Nam Gil et Son Ye Jin, représente le fil rouge du drama. Le principe des deux héros reliés par leur enfance est déjà vu et revu dans les dramas coréens, mais il s’avère pertinent dans cette histoire, puisque toutes les pièces du puzzle nous ramènent au passé. D’ailleurs, si le drama nous laisse espérer des retrouvailles durables entre les deux personnages, Yi-Soo et Hae-Woo sont aussi amenés à parcourir séparément leur propre chemin.

Avec des complices dont nous ne connaîtrons pas immédiatement l’identité, Han Yi Soo arrive avec un plan d’action mûrement préparé et distille son effet afin de déguster les moindres réactions de son adversaire. Il ne recule devant rien, allant jusqu’à employer des méthodes contestables pour parvenir à ses fins (kidnapping, intimidations diverses). Pourtant, Yi Soo va découvrir que la vérité n’est pas aussi simple qu’il l’avait imaginée.

Le choix de Kim Nam Gil, vu entre autres dans le film Portrait of a Beauty (Jeon Yoon Su) et le drama Bad Guy, s’avère judicieux. L’acteur imprime un mélange de mystère, de noirceur et de romantisme à son personnage, avant de dévoiler peu à peu une palette d’émotions plus subtiles. Le vengeur tente coûte que coûte de conserver son masque de froideur pour mener à bien ses desseins, mais il ne peut cacher ses failles ni renier son besoin de renouer avec son passé affectif.

Cette dualité s’exprime par le biais de sa romance avec Hae Woo, avec laquelle il échange quelques baisers passionnés tout en continuant à se montrer manipulateur, mais aussi de sa relation touchante avec sa petite sa sœur Yi Hyun (Nam Bo Ra, très touchante).

Son Ye Jin enquêtrice de sang froid

De son côté, Hae-Woo va au-devant de découvertes terribles sur sa propre famille à mesure qu’elle découvre l’histoire de son grand-père, auquel elle est très attachée. Toutefois, au contraire de son père qui vit dans l’ombre du grand-père et reste coincé dans la colère, la jeune femme a déjà encaissé des désillusions à l’adolescence et s’est armée psychologiquement. En devenant procureure au lieu de reprendre l’affaire familiale, elle suit sa propre voie. Forte de ses convictions, Hae-Woo traverse quelques moments de doutes, mais sait garder son sang-froid et son intégrité.

Son Ye Jin impose un certain charisme et ne fait pas de fausse note dans le rôle de Hae-Woo. J’apporterai cependant un bémol à son interprétation. L’actrice a manifestement passé des contrats juteux avec de grandes marques de prêt-à-porter. C’est du moins ce qui ressort du défilé de tenues tendances qu’elle effectue au fil des épisodes – à chaque séquence, son nouveau petit sac ! Ce caractère mercantile compromet parfois la crédibilité de son personnage.

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Chose étonnante dans un drama, l’héroïne s’aventure sur le terrain de l’adultère, ce qui rompt avec le cliché de l’héroïne pure chère aux dramas coréens. Ses relations de couple avec Joon Young sont abordées avec maturité et modernité (dommage que ses scènes d’amour clandestin avec Yi Soo demeurent trop sages !).

L'acteur Ha Seok Jin dans Don't Look Back: the Legend of Orpheus

Dans le rôle de Joon Young, le mari de Hae-Woo, l’acteur Ha Suk Jin apporte toute une palette de nuances à son personnage. Il parvient à nous rendre attachant ce jeune homme très lisse, dont le monde et les convictions vont se désagréger, menaçant de le faire sombrer dans la paranoïa. La psychologie du personnage demeure réaliste jusqu’au bout.

Conflits familiaux explosifs

Aux scènes de ménage de rigueur, très crispantes pour le couple, il faut ajouter un atout de taille dans la tension dramatique de la série : le conflit père/fils entre Jo Sang Kook et Jo Ui Sun (Kim Kyu Cheol), le père de Hae-Woo. Impossible de passer à côté car nous devons à ces deux personnages des scènes de conflits familiaux tout simplement explosives, dont un moment d’anthologie dans l’épisode 14 où Jo Ui Sun pète littéralement un câble.

Les enjeux identitaires du personnage de Jo Ui Sun et la dramatisation opérée par la musique orchestrale donnent parfois à Shark des allures de tragédie shakespearienne.

Le terrible patriarche est incarné brillamment par Lee Jeong Kil : tour à tour effrayant, sardonique et rassurant, l’acteur insuffle subtilement un soupçon d’humanité à son personnage. À noter que le décor du bureau qui lui est associé est une réussite : grande pièce luxueuse, sombre et fermée, tapissée de livres et potentiellement remplie de mystères, ce bureau évoque à lui seul tout le savoir accumulé par Jo Sang Kook, un savoir qui devient ici une arme redoutable.

Quant à son fils Jo Ui Sun, il est campé par un Kim Kyu Cheol complètement déchaîné dans son rôle de minable, bête et méchant jusqu’au bout des ongles, mais qui ne manque pas de susciter une certaine pitié lorsqu’il tente pathétiquement de s’affirmer, tel un adolescent en crise, face à son impitoyable père (il faut voir le nombre de gifles qu’il se prend au fil des épisodes !).

L’enfer du traumatisme historique

Ces scènes de famille, au cours desquelles les plus jeunes demandent des comptes à leurs aînés, font écho au propos sur le rapport des Coréens d’aujourd’hui à leur histoire. Le titre alternatif, Don’t Look Back: The Legend Of Orpheus, ne fait pas uniquement référence au tableau trônant dans l’appartement de Yi Soo (et qu’il contemple abondamment au fil des épisodes, de même que son aquarium) et à la romance interdite entre Yi Soo et Hae Woo, mais aussi à la perte d’innocence induite par la prise de conscience du passé.

Nam Bo Ra dans Shark

En déterrant la vérité, les personnages prennent le risque de plonger dans les enfers. Et si le succès des grandes familles d’aujourd’hui, et par là même des grands groupes ayant boosté l’économie, s’était construit sur un terrain gorgé de sang ?

L’enquête s’affine au fil des épisodes pour s’intéresser au parcours de Jo Sang Kook, dont nous ne vous révélerons pas les ressorts car cela reviendrait à vous déflorer l’une des attractions majeures du drama. Tout ce que nous pouvons vous dire, c’est qu’il est question d’occupation, de dictature militaire, mais aussi du soulèvement populaire de Gwangju. Quelques films abordent cet événement historique au cinéma, tels que Le Vieux Jardin d’Im Sang Soo et récemment National Security de Chung Ji Young. Shark est l’une des premières fictions télévisuelles à s’aventurer sur ce terrain, près de vingt ans après le célèbre drama Sandglass (SBS, 1995).

Shark se distingue toutefois par son angle d’approche : le drama n’a recours qu’à un bref flash-back sur la période, une réminiscence d’un personnage qui passe de vie à trépas très tôt dans la série en emportant ses secrets dans la tombe. Par la suite, le témoignage de cette époque se résumera à quelques photos abîmées, aux couleurs passées, conférant aux hommes impliqués un caractère insaisissable, presque fantomatique.

« Si vous êtes tous vertueux et justes, notre société pourra devenir plus juste elle aussi », enseigne ironiquement Jo Sang Kook lors d’une conférence destinée à des étudiants (épisode 2). L’enquête lève pourtant le voile sur un monde d’imposture et de corruption, celui des puissants d’aujourd’hui, érigés en modèle auprès d’une jeunesse insouciante qui valorise plus que jamais la réussite sociale. Une corruption qui touche aussi bien le monde politique que celui de la justice et de la presse. Finalement, sous couvert de thriller mélodramatique, Shark dresse une critique sociale incisive.

De la nécessité d’affronter les fantômes de l’histoire

Shark nous pose une question essentielle : peut-on vivre avec l’idée que nos ancêtres ont participé aux pires crimes ? Cette question, beaucoup de Coréens ont dû se la poser sachant que toutes les dictatures successives (y compris japonaise) ont eu leur lot de collaborateurs. De même que beaucoup d’Allemands vivent peut-être avec l’idée que certains de leurs ascendants ont participé aux crimes nazis, ou que beaucoup de Français savent que leurs ancêtres ont soutenu le régime de Vichy.

À la question soulevée, Shark nous apporte plusieurs réponses fortes. D’une part, les ancêtres et leurs descendants sont des individus différents, d’autre part, une perspective de rédemption apparait clairement à travers l’un des coupables (nous vous laissons découvrir lequel). Enfin, il est préférable pour les descendants d’affronter cet héritage familial les yeux dans les yeux. Car savoir d’où l’on vient demeure le seul moyen de se construire et d’envisager l’avenir.

Elodie Leroy

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