Photo du film The Night Owl

Critique : The Night Owl, un thriller historique clairvoyant et sensoriel

Thriller historique aux allures de huis-clos, The Night Owl captive par sa réflexion affûtée sur le pouvoir et son suspense machiavélique, en plus de donner à l’acteur Ryu Jun Yeol l’un de ses meilleurs rôles. Notre coup de cœur du FFCP 2023.

Présenté au Festival du Film Coréen à Paris 2023 dans la section Paysage, The Night Owl est sorti dans les salles coréennes le 23 novembre 2022 et a attiré 3,3 millions de spectateurs, devenant le 5ème film le plus populaire de l’année 2022. Le film est aussi auréolé de nombreuses récompenses, notamment les Baeksang Arts Awards du meilleur film, du meilleur réalisateur pour Ahn Tae Jin et du meilleur acteur pour Ryu Jun Yeol. Une reconnaissance qui n’a rien d’usurpée : The Night Owl est un petit bijou qui revisite un chapitre connu de l’Histoire de Corée, abordé sous la forme d’un thriller intelligent, oppressant, mais qui n’oublie pas d’être humain et divertissant.

Photo Ryu Jun Yeol (The Night Owl)
Ryu Jun Yeol

1645, sous l’ère Joseon. Depuis la naissance, Chun Kyung Soo (Ryu Jun Yeol) est aveugle à la lumière mais voit dans l’obscurité. Ayant réussi l’examen pour devenir acupuncteur, il est remarqué par un médecin royal qui lui propose de rejoindre son équipe au service du roi Injo (Yoo Hae Jin). Pour payer les soins de son petit frère malade, Kyung Soo accepte le poste. Au même moment, le prince héritier (Kim Sung Cheol) est de retour avec son épouse après avoir été l’otage des Qing pendant huit ans. Un soir, Kyung Soo est témoin de l’assassinat du prince héritier. Qu’a-t-il vu ?

A l’époque où se déroule l’intrigue de The Night Owl, le royaume de Joseon vient tout juste de capituler face à l’invasion des Qing (1644-1911), la dynastie qui a succédé aux Ming sur le territoire chinois – l’invasion de la Corée par les Qing, qui a débuté en 1637, est dépeinte dans le drama My Dearest (MBC), la sensation sageuk de 2023. Le film s’inscrit ainsi dans une réalité historique, même si le protagoniste principal est fictif.

Yoo Hae Jin

Le réalisateur Ahn Tae Jin, qui collabore à l’écriture avec la scénariste Hyun Gyu Ri, démontre une maîtrise immédiate des codes du sageuk de palais, un genre qu’il connait bien, puisqu’il a œuvré en tant qu’assistant réalisateur sur The King and the Clown (Lee Joon Ik, 2005), mais dans lequel il n’est guère aisé d’innover compte tenu de la profusion de fictions de ce type. Il y parvient néanmoins grâce aux facultés surprenantes de son personnage principal.

A travers le point de vue de Kyung Soo, un acupuncteur atteint de cécité partielle, mais qui se fait passer pour un homme entièrement aveugle, le film nous introduit à cette micro-société hiérarchisée à l’extrême qu’est la cour du roi, où ministres, eunuques, dames de cour, gardes et servantes s’emploient collectivement à servir la famille royale. Du moins en apparence, car les lieux sont gangrénés par des luttes politiques sourdes et des guerres de clans.

La scène glaçante de l’assassinat du prince héritier amorce un changement de ton brutal et fait basculer le film dans le thriller. Le suspense ne réside cependant pas dans l’identité du commanditaire, qui nous est vite révélée, mais dans les conséquences en chaîne du meurtre.

Photo Ahn Eun Jin (The Night Owl)
Ahn Eun Jin

Servi par une efficacité narrative sans faille, The Night Owl dépeint un univers glacial dans lequel la parole des castes inférieures n’a aucune valeur, mais où le pouvoir paraît étonnamment volatile dans un contexte où la crédibilité du souverain est mise à mal par la vassalisation de Joseon par les Qing. Il y a ceux qui détiennent ce pouvoir mais refusent de voir le monde changer, ceux qui anticipent l’avenir mais ne voient pas le danger autour d’eux, ceux qui n’ont rien vu mais savent tirer parti d’une situation de crise.

L’idée de génie est d’avoir fait de Kyung Soo un malvoyant qui voit uniquement la nuit : il est le seul à saisir l’envers du décor, ce que les autres ne peuvent pas ou ne veulent pas voir. Même privé de la vue à la lumière du jour, il relève des détails que le commun des mortels ne perçoit pas, puisqu’il a aiguisé ses autres sens pour compenser son handicap. Il occupe aussi une place particulière au palais. En tant que médecin, il navigue entre plusieurs mondes et entre dans l’intimité de la famille royale. En tant qu’aveugle, il reçoit instinctivement la confiance de tous, y compris des puissants, comme dans cette scène chargée de tension érotique où l’épouse du roi (interprétée par Ahn Eun Jin) se déshabille sans hésiter pour recevoir ses soins.

Ses talents d’acupuncteur comme son handicap sont également très bien exploités pour faire amorcer des retournements de situation. A ce titre, les images et les sons s’attachent à raconter, en parallèle du fil conducteur, les sensations et les émotions du personnage. Soutenue par le travail sonore de Park Yong Ki (The Roundup: No Way Out) et la photographie soignée de Kim Tae Kyung (Alienoid), la réalisation nous invite à prêter attention au moindre bruit dans les moments de tension psychologique et joue de manière ludique avec les basculements entre lumière et obscurité, créant tour à tour une sensation de danger ou de sécurité autour de Kyung Soo.

Au cours du film, différents personnages issus de toutes les castes sont confrontés à des situations questionnant leurs principes, et sont amenés à faire des choix critiques susceptibles d’entraîner la mort ou au contraire la survie d’autres personnes. Cette sensation d’être sur le fil du rasoir dans un univers implacable participe à l’attrait de The Night Owl, qui sait maintenir son suspense jusqu’au bout sur le sort des personnages. L’ambiance oppressante du film est par ailleurs allégée par quelques touches d’humour salutaires, qui lui confèrent un caractère divertissant appréciable.

Ryu Jun Yeol (Alienoïd) démontre une fois de plus son talent et la richesse de son jeu à travers le rôle de ce jeune acupuncteur innocent et humain, qu’il aborde avec une grande humilité. Il traduit à merveille les dilemmes intérieurs de Kyung Soo, qui se retrouve soudainement au cœur d’une machination politique effrayante, tiraillé entre son instinct de survie et sa volonté de rester fidèle à ses principes.

On retiendra également les performances de Yoo Hae Jin (Honey Sweet), excellent en souverain paranoïaque, Kim Sung Cheol (Our Beloved Summer) en prince héritier visionnaire mais dépassé par les guerres intestines du palais, ainsi qu’Ahn Eun Jin (My Dearest) en reine froide et calculatrice (un vrai contremploi pour l’actrice). Enfin, le jeune Lee Joo Won (Joseon Attorney) impressionne par la maturité de son jeu dans le rôle attachant du prince Suk Cheol.

Il reste à espérer que The Night Owl trouvera un distributeur pour permettre au public français de le découvrir sur grand écran.

Elodie Leroy

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