Ce thriller d’espionnage hisse les séries coréennes au niveau des productions hollywoodiennes, tout en gardant son identité culturelle. La critique complète de Vagabond, disponible sur Netflix.
Les séries américaines ont décidément de la concurrence ! Pendant un peu plus de huit semaines, Vagabond nous a tenus en haleine sur Netflix avec des scènes d’action dantesques, un suspense haletant et un scénario divertissant. Lee Seung Gi est décidément l’homme de la situation pour mener cette série qui assure pleinement le spectacle, sans pour autant tomber dans les clichés hollywoodiens. On en redemande.
La Corée comme alternative à Hollywood
Cascadeur de métier, Cha Dal Geon (Lee Seung Gi) voit sa vie basculer lors que son neveu de 11 ans, qu’il élève seul, décède dans une catastrophe aérienne. L’affaire est présentée comme un accident technique, mais un message vidéo laissé à Cha Dal Geon par son neveu laisse croire à un attentat. Déterminé à découvrir la vérité, il se rend au Maroc pour mener sa propre enquête. Il fait la connaissance de Go Hae Ri (Bae Suzy), une agent novice de la NIS qui décide de l’aider.
Produit par Celltrion Entertainment, Vagabond s’étale sur 16 épisodes et a bénéficié d’un traitement spécial de la part de la chaîne SBS, qui s’est alliée avec Netflix pour assurer une diffusion globalisée en simul cast dans le monde entier.
Entre le 20 septembre et le 24 novembre 2019, les épisodes ont ainsi été dévoilés sur la plate-forme américaine une heure après leur diffusion à la télé coréenne.
Nous avons donc pu profiter en temps réel de l’engouement suscité par cette série auprès d’un public mondialisé visiblement conquis, et qui commentait abondamment chaque épisode sur les réseaux sociaux.
Il faut dire que Vagabond est la démonstration éclatante de la montée en force de la Corée du Sud sur le terrain des séries TV, de la capacité de cette industrie à proposer une vraie alternative à Hollywood.
Action et suspense garantis
Sur le plan de l’action, tout d’abord, Vagabond satisfait haut-la-main les attentes avec une flopée de scènes variées provoquant de véritables montées d’adrénaline.
De la scène de combat dans un espace réduit à la fusillade à grande échelle, en passant par la course-poursuite véhiculée, toutes les scènes d’action ont du souffle et assurent le divertissement, sans sombrer dans la débauche d’effets spéciaux. Elles sont habilement réparties tout au long de la série pour remplir leur fonction première : servir le récit et l’évolution des personnages.
Outre la superbe scène qui conclut l’épisode 1, dans laquelle Cha Dal Geon court sur les toits de Tanger pour rattraper un terroriste, on retiendra entre autres une embuscade explosive dans l’épisode 8, un combat féroce dans une boutique d’ameublement plongée dans le noir dans l’épisode 15, mais aussi la fusillade et la course-poursuite remarquablement mises en scène de l’épisode 12.
Cet épisode 12 représente d’ailleurs l’un des temps fort de la série : l’intrigue est construite autour du trajet mouvementé du groupe de Cha Dal Geon vers le tribunal pour y amener un témoin clé. La séquence d’action, qui prend des proportions de plus en plus démentes, est entrecoupée de scènes montrant d’autres personnages concernés par la situation prendre peu à peu conscience de leur arrivée. Suspense garanti pendant l’heure complète.
Les scènes d’action de Vagabond ne sont pas seulement bien conçues et filmées, mais aussi d’une grande propreté sur le plan de la lumière. La photographie est chiadée du début à la fin, en particulier dans les parties se déroulant au Maroc, dont les décors sont joliment exploités.
Le drama est servi par la mise en scène maîtrisée de Yu In Sik, réalisateur doté d’un grand sens visuel et qui collabore ici pour la cinquième fois avec le chef opérateur Lee Gil Bok. Outre leurs exploits dans la série médicale Dr Romantic, dont les scènes d’opération étaient autant de moments de bravoure, le duo avait déjà fait ses preuves dans l’action avec You’re All Surrounded, avec Lee Seung Gi.
Au passage, la course poursuite de l’épisode 12 évoquée plus haut glisse un clin d’œil à la mémorable scène d’ouverture de You’re All Surrounded lorsque le véhicule prend l’autoroute à contre-sens (sauf que cette fois, Lee Seung Gi n’est plus qu’un simple passager !). Le drama exploite à ce titre à merveille toutes les compétences associées au métier de cascadeur exercé par Cha Dal Geon.
Douleur des familles et indifférence politique
S’agissant du scénario de Vagabond, bien malin sera celui qui parviendra à deviner l’identité des commanditaires de l’attentat et du complot politique qui dévoile peu à peu ses ramifications complexes, éclaboussant jusqu’au Président Jeong Gook-Pyo (Baek Yoon Sik). Sans abuser des twists en série, le scénario réserve son lot de révélations choc jusqu’au dernier épisode.
Vagabond redonne ses lettres de noblesses à un genre – le thriller d’action/espionnage – que l’on croyait indissociable des codes hollywoodiens. Le thème du complot impliquant le pouvoir en place n’a rien de nouveau, mais dans le cas de Vagabond, il s’avère étroitement connecté à l’actualité coréenne récente.
L’affaire imaginée par les scénaristes Jang Young-Cheol et Jang Kyung Soon, dans laquelle un groupe d’enfants périt dans d’atroces circonstances, évoque la tragédie du naufrage du Sewol survenue en avril 2014, et dont les responsabilités demeurent encore floues. La communication autour de cette affaire a contribué à inciter le peuple coréen à demander la destitution de l’ancienne Présidente Park Geun Hye (en plus de l’affaire de corruption qui a déclenché son scandale).
Les allusions à cette tragédie sont encore plus explicites dans Vagabond que dans la série Mad Dog, qui posait déjà des questions pertinentes sur les liens malsains entre le monde politique et celui des affaires dans la gestion d’une telle crise.
Au-delà de la quête de vérité de Cha Dal Geon, Vagabond s’attarde sur le calvaire et la reconstruction des familles endeuillées par une catastrophe de grande ampleur. Instrumentalisée à des fins politiciennes, la souffrance des familles sert de curseur au gouvernement pour arbitrer entre deux constructeurs aéronautiques rivaux, qui s’affrontent autour d’un appel d’offres stratégique.
Abordé avec beaucoup d’humanité, le roller coaster émotionnel vécu par les proches des victimes est au cœur de l’intrigue de Vagabond. On retiendra ce beau moment où les familles s’unissent pour aider Cha Dal Geon et Go Hae Ri à échapper à la police, ou celui où elles brandissent de concert les photos des disparus devant la sinistre Jessica Lee (Moon Jeong Hee), représentante de John & Mark.
L’importance accordée au ressenti des victimes est un élément typique des thrillers coréens télévisuels actuels, dont la noirceur va souvent de pair avec une approche humaine des personnages. Cette approche fait partie des éléments qui distinguent ces séries de leurs homologues américaines.
Le nouveau visage du héros d’action
Le profil rafraîchissant des héros de Vagabond fait partie des éléments de réjouissance de la série. Oubliez les héros hollywoodiens machos et blasés. Cha Dal Geon possède certes des capacités physiques exceptionnelles, mais reste un homme normal. Il est d’ailleurs présenté dans le premier épisode comme un loser un peu immature. Vagabond est l’histoire d’un homme ordinaire plongé dans une situation extraordinaire.
Nous l’avions déjà affirmé haut et fort dans notre avis à chaud sur les premiers épisodes de Vagabond : du haut de ses 32 ans, Lee Seung Gi (Gu Family Book, The King 2 Hearts) incarne une nouvelle vague de héros d’action et apporte un coup de jeune au genre du thriller d’espionnage. Outre son jeu d’acteur fougueux, il possède l’authenticité nécessaire pour ancrer constamment la série dans le réel, malgré les péripéties rocambolesques traversées par Cha Dal Geon.
Lee Seung Gi se montre aussi convaincant dans les scènes d’action – il a commencé les arts martiaux pendant son service militaire – que dans les touches de comédie qui ponctuent la relation de Cha Dal Geon avec Go Hae Ri.
Suzy Bae épatante en femme d’action
Quant à Suzy Bae (Gu Family Book, While You Were Sleeping), elle a étoffé son jeu au fil des années, tout en gardant le regard franc et le naturel qui font tout son charme. Très investie dans les scènes d’action, elle est épatante dans le rôle de cette agent secret débutante et un peu vantarde sur les bords, mais qui gagne peu à peu la confiance de ses supérieurs en révélant une intégrité et une ténacité insoupçonnées.
Le renouveau du thriller d’espionnage concerne aussi le personnage féminin. Le temps des James Bond girls, qui se résument à l’élément sexy du film, est révolu. Tout comme celui des femmes en cavale aux côtés d’un héros autoritaire.
La nouvelle héroïne d’action n’est ni une femme en détresse ni une beauté froide au regard blasé, mais une femme normale, parfois drôle, qui commet des erreurs mais apprend à se dépasser au fil des épreuves.
Dans Vagabond, le héros et l’héroïne traversent des péripéties ensemble, mais aussi des coups durs personnels. L’alchimie entre Lee Seung Gi et Suzy Bae, qui sont restés très amis depuis Gu Family Book, fonctionne à merveille et l’attachement entre les deux personnages s’avère plus d’une fois touchant. Les éléments romantiques distillés ici et là ne prennent jamais le pas sur l’intrigue principale, qui reste résolument ancrée dans le genre du thriller d’espionnage.
Le casting secondaire, l’atout des séries coréennes
Cha Dal Geon et Go Hae Ri sont entourés d’une galerie de personnages secondaires dont certains sont réalistes, comme les politiciens véreux et les familles des victimes, tandis que d’autres semblent tout droit sortis d’une bande-dessinée et apportent du piment à l’univers de la série.
Là encore, les séries coréennes ont un véritable atout avec leur capacité à délivrer des galeries de personnages secondaires que l’on aime retrouver d’épisode en épisode, et qui sont campés par d’excellents acteurs (les séries françaises devraient en prendre de la graine !).
L’écriture du personnage du président Jeong, interprété par Baek Yoon Sik (The President’s Last Bang), échappe subtilement à la caricature. Indifférent au drame des familles, le président n’est pas pour autant dépeint comme un homme diabolique, mais comme un politicien qui cherche à terminer son mandat sans s’encombrer d’un scandale. Baek Yoon Sik se fond totalement dans la peau de cet animal politique dont la passivité cynique finit par lui jouer des tours.
On a également plaisir à retrouver Shin Sung Rok (Return, Liar Game) dans un registre différent des bad guys auxquels il nous a habitués – sa récente comédie romantique Perfume lui avait déjà permis de se défaire de cette image. Le personnage de Gi Tae Ung aurait gagné à être développé davantage, mais Shin Sung Rok lui apporte une certaine prestance et parvient à nous le rendre sympathique malgré son comportement souvent antipathique. Les interactions de Gi Tae Woong avec Cha Dal Geon et Go Hae Ri participent à lui apporter un peu de relief.
Enfin, parmi les personnages secondaires, on aime particulièrement l’énigmatique Edward Park campé par Lee Kyoung Young (Misty), la tueuse à gages Lilly interprétée avec humour et décontraction par l’actrice Park Ah In (My Strange Hero), la collègue un peu fofolle de Hae Ri jouée par Hwang Bo Ra (What’s Wrong With Secretary Kim) ou encore l’agent sadique et corrompu campé par Jeong Man Sik (The King 2 Hearts).
La suite de Vagabond pour bientôt ?
Sans trop en révéler, la fin de Vagabond laisse explicitement espérer une saison 2. Elle a d’ailleurs déclenché son lot de réactions contrastées. Cette fin s’avère pourtant très habile. Non seulement la séquence finale est une belle réussite, mais l’épisode 16 parvient à répondre à la plupart des questions tout en faisant rebondir l’intrigue.
Lors d’une récente conférence de presse, une source de Celltrion Entertainment s’est exprimée sur la possibilité d’une saison 2 : « [Vagabond] a été planifié et produit avec une saison 2 en tête. Mais la saison 2 n’a pas encore été confirmée et est actuellement en discussion. Nous étudions les plannings des acteurs, scénariste et réalisateur. »
Nous voilà rassurés ! Le scénario est donc bel et bien écrit, mais il reste à trouver le moment qui arrange tout le monde pour achever cette suite. Nous vous tiendrons bien entendu informés dès qu’une nouvelle information verra le jour.
Elodie Leroy
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