Le drama Death Note offre une nouvelle lecture du personnage de Light Yagami, interprété par Masataka Kubota. Imparfait, mais séduisant.
Après les mangas Death Note, les films Death Note, les spin-off, la série animée Death Note et les comédies musicales, et juste avant l’adaptation américaine, le manga culte de Takeshi Obata et Tsugumi Oba connaît une adaptation sous la forme d’un drama de dix épisodes diffusés l’été 2015 sur NTV. Appréciée par les uns, critiquée par les autres, cette adaptation controversée offre une relecture du matériau d’origine, et c’est justement pour cette raison qu’il faut y jeter un coup d’œil. Si la mise en scène est inégale, le drama Death Note fait preuve d’une audace inespérée en apportant un nouvel éclairage psychologique sur le personnage principal, ce qui lui permet de creuser des thèmes de fond intéressants qui entrent en résonance avec l’actualité…
Death Note (2015) ose les changements scénaristiques
S’étalant sur dix épisodes, Death Note (2015) était donc diffusé tous les dimanches sur NTV entre le 5 juillet et le 13 septembre 2015. Comme je le précisais dans mon dossier, le format s’avère immédiatement séduisant puisque propice à un développement des personnages plus fouillé que dans les films.
Vous allez me dire qu’il existe déjà une série animée très réussie adaptée de ce manga. Et c’est vrai. Sauf que j’ai toujours trouvé que celle-ci, dont j’aime énormément l’ambiance visuelle et sonore, respecte trop scrupuleusement le récit d’origine, au point de ne réserver aucune surprise.
C’est là que le drama de 2015 trouve son intérêt : tout en respectant l’esprit du manga, il s’autorise quelques modifications de taille et offre ainsi le sentiment de redécouverte que l’on attend d’une adaptation. Ajoutons que les changements scénaristiques s’avèrent plutôt judicieux, notamment dans la caractérisation des personnages.
Autant vous prévenir tout de suite (et vous l’avez certainement lu ailleurs sur le web), le drama Death Note est loin d’être parfait. On reprochera ainsi un premier acte qui s’étire un peu trop en longueur (la rencontre entre Light et L met du temps à intervenir) ainsi qu’une mise en scène inégale, qui fait des étincelles dans les séquences intimistes mais manque d’envergure dans les moments spectaculaires. Les effets spéciaux s’avèrent certes très réussis (le rendu de Ryuk est impressionnant) mais ne vous attendez pas à des scènes d’action époustouflantes. Ces dernières, handicapées par un thème musical insipide, ne constituent clairement pas le point fort du drama. Celui-ci se situe ailleurs.
Light Yagami, un adolescent à la dérive
Les changements réalisés sur le personnage de Light Yagami méritent que l’on s’y attarde. Ils sont visibles dès l’épisode 1 : Light a désormais perdu sa mère quand il était enfant – un changement qui aura son importance dans la relecture du personnage – et sa découverte du Death Note ne s’opère pas dans les mêmes circonstances que dans le manga, c’est-à-dire sur le chemin du lycée, mais suite à une agression qui le plonge dans une profonde détresse.
Comme nous le savons, Light Yagami se retrouve du jour au lendemain avec un pouvoir incommensurable entre les mains, celui de tuer d’un coup de crayon en écrivant le nom de la victime dans un cahier remis par le dieu de la mort. Plutôt que de se transformer en justicier comme l’aurait fait un héros de comics américain, il se mue en un véritable meurtrier qui, sous prétexte de réparer les failles de la Justice, entreprend d’exécuter le moindre suspect de crime sans autre forme de procès. Gare à celui dont la photo apparait dans les médias : le jugement est radical !
Si le scénario prend des libertés avec le manga, le drama demeure toutefois très fidèle sur le plan des thèmes de fond. Ainsi, à travers le choc de personnalités qui se joue entre Light Yagami et son Némésis L, mystérieux enquêteur dépêché sur l’affaire par Interpol, Death Note confronte deux conceptions différentes de la justice, l’une fondée sur une sorte de justice divine et l’autre définie de manière démocratique par la société, donc par les hommes. Death Note n’a pas fini de questionner nos convictions en matière de Liberté et de frontière entre le Bien et le Mal.
A l’époque de la sortie du manga, certains décèlent dans l’action de Light une allusion à l’obsession sécuritaire post-11 septembre. Avec le recul, on y voit plutôt un propos alarmant sur le vide idéologique de la jeunesse d’aujourd’hui, un vide propice à la montée des fanatismes de tous bords comme nous le rappelle tristement l’actualité. A ce titre, le drama réactualise l’univers du manga en faisant intervenir les réseaux sociaux, qui ont leur rôle à jouer dans l’adoration aveugle que la jeunesse voue très vite à celui qu’ils surnomment Kira.
L’histoire d’un jeune qui se radicalise
Comme le manga, cette nouvelle version de Death Note parvient à ajouter à cette réflexion idéologique une véritable dimension psychologique, ce qui constitue une vraie valeur ajoutée par rapport aux adaptations cinéma de Shusuke Kaneko. Le drama tire pleinement parti de son format pour s’attarder sur les sentiments de son protagoniste principal. En comparaison avec le manga, Light Yagami apparait plus humain et plus idéaliste au début de l’histoire, ce qui rend sa transformation d’autant plus terrifiante par la suite.
En plus de raconter la naissance d’un monstre, Death Note est également un drame psychologique, celui d’un adolescent en rupture avec son entourage et qui perd peu à peu ses repères moraux. Ainsi, dès lors qu’il possède le Death Note, Light Yagami voit ses convictions évoluer, rejette de plus en plus clairement la société et se désocialise, développant un cynisme d’autant plus alarmant qu’il est enrobé dans une quête de justice. N’ayons pas peur de le dire, Death Note trouve aujourd’hui plus que jamais un écho dans l’actualité, en particulier en Occident : après tout, c’est aussi l’histoire d’un jeune qui se radicalise.
Davantage que le film, le drama saisit cette dimension psychologique en liant cette radicalisation à l’histoire personnelle de ce garçon qui nourrit à la fois une admiration et une haine sourde envers son père policier. Un père qui incarne donc la Loi et qui côtoie le jeune homme tous les jours mais ne décèle absolument rien de cette transformation – à moins qu’il ne se voile la face, semble nous dire avec une certaine finesse cette nouvelle version télévisuelle.
Véritable atout pour le drama, Masataka Kubota (Fugainai Boku wa Sora o Mita) fait un excellent travail d’interprétation dans le rôle de Light, auquel il apporte un mélange de cruauté, d’instabilité et de vulnérabilité, naviguant entre ses airs juvéniles et des expressions de psychopathe absolument glaçantes.
Malgré son caractère démoniaque, on n’arrive pas vraiment à détester ce Light Yagami qui révèle vite une folie des grandeurs incontrôlable mais aussi des failles narcissiques béantes et surtout une extrême solitude. Il est dommage que l’interprète de son père, Yutaka Matsushige (Crows Zero, Ring), ne soit pas tout à fait à la hauteur – son jeu est complètement monolithique.
Le choc de personnalités Light/L à l’honneur
Sombre, perturbant et diaboliquement intelligent, le manga Death Note valait aussi pour la confrontation tant attendue entre Light Yagami et L, dont les échanges convoquaient des notions de profiling.
Là encore, cet aspect manquait à l’appel dans les films de Shusuke Kaneko mais revient au galop dans le drama, qui réhabilite les dialogues complexes et n’hésite pas à laisser entendre la voix intérieure des personnages – Masataka Kubota transforme d’ailleurs sa voix de manière saisissante –, ce qui permet de saisir avec davantage d’acuité toutes les étapes du jeu d’échec mortel auquel se livrent les deux jeunes hommes mais aussi leur histoire d’amitié manquée.
Pour le jeune Kento Yamazaki (L-DK, Runaway), il n’était pas évident de passer après l’interprétation bluffante de Kenichi Matsuyama dans les films. Celui-ci nous avait tous laissés scotchés dans les longs métrages en reproduisant à la perfection les mimiques étranges du personnage de la bande-dessinée. Malgré une excentricité légèrement mise en sourdine (et un peu moins de pâtisseries dans son régime alimentaire !), Kento Yamazaki semble un peu crispé dans les premiers épisodes mais prend très vite de l’aisance et brille tout particulièrement dans les scènes qu’il partage avec Masataka Kubota, cultivant davantage l’ambigüité de son personnage que son prédécesseur et livrant lui aussi des expressions de psychopathe assez flippantes.
A ce titre, les scènes de tension psychologique se révèlent parfois intenses, à commencer par le passage dérangeant où Light et Misa se retrouvent emprisonnés et observés par L derrière les caméras, un moment un peu raté dans les films et qui retrouve ici toute sa dimension malsaine.
Si Kento Yamazaki est une bonne surprise, on ne peut pas en dire autant de l’interprète de Misa Amane, Sano Hinako (Jigoku Sensei Nube), qui de par son jeu d’une niaiserie affligeante est loin d’arriver à la cheville de l’excellente Erika Toda. Sa relation avec Light se révèle d’ailleurs moins intéressante que dans les précédentes adaptations, puisque davantage consentie par le jeune homme.
Cette observation est l’occasion de souligner l’étrangeté du contrat qui s’établissait entre les deux personnages dans le manga : la soumission absolue imposée de force par la jeune fille à son partenaire avait quelque chose d’incroyablement pervers. Dans le drama, on revient à une relation plus conventionnelle puisque le jeune homme semble être amoureux d’elle.
Vous reprendrez bien un peu de psychopathologie…
Fort heureusement, la gent féminine n’est pas uniquement représentée par Sano Hinako dans le drama : l’une des surprises est non seulement l’introduction de Near et de Mello, les deux successeurs de L, dès le premier épisode, mais aussi le choix d’une actrice pour interpréter Near. A seulement seize ans, Mio Yuki fait un Near doté d’un charisme singulier.
A ce propos, j’ai lu sur le web des réactions interloquées de spectateurs se demandant où pouvait bien être Mello… Regardez bien ! Je vous assure que vous le trouverez ! Très original, le traitement de ce personnage ajoute un élément psychopathologique de plus dans cette sombre histoire où chacun prétend faire justice à sa façon.
Au contraire, le personnage de Naomi Misora a complètement disparu de la circulation – un élément qui a fait fortement réagir certains fans – mais personnellement, même si j’apprécie ce personnage dans le manga, son absence ne me fait ni chaud ni froid.
J’ai en revanche beaucoup aimé retrouver les dirigeants corrompus jusqu’à l’os de la compagnie Yotsuba, se délectant d’éradiquer tous leurs concurrents avec le Death Note grâce à l’intervention d’un procureur complètement tordu joué par Shugo Oshinari.
En résumé, le drama Death Note est certes loin d’être irréprochable : on aurait aimé un peu plus de souffle dans la mise en scène de l’action, un thème principal musical plus discret, des criminels plus crédibles (certains sont grotesques dans les premiers épisodes) et bien sûr un meilleur choix d’actrice pour Misa Misa.
Il serait cependant dommage de s’arrêter sur ces quelques fausses notes et de passer à côté des atouts incontestables de cette nouvelle adaptation, dont certaines scènes exercent un réel pouvoir de fascination et dont le final nihiliste appelle clairement une suite – un film est d’ailleurs prévu pour 2016. C’est pourquoi, je défends ce drama qui possède toute sa place dans la panoplie très riche des diverses versions de Death Note.
Elodie Leroy
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