Thriller temporel coréen, le k-drama Signal (tvN) aborde de manière originale l’affaire de meurtres en série de Hwaseong, déjà adaptée dans le film Memories of Murder. Notre avis sur les premiers épisodes.
Les thrillers noirs sont plus que jamais à la mode en Corée du Sud, et les k-dramas comme Signal (tvN) n’ont rien à envier au cinéma ! Nous attendions beaucoup de la collaboration entre la scénariste Kim Eun Hee, auteure du cyber-thriller Ghost, et le réalisateur Kim Won Suk, à qui l’on doit l’excellent Misaeng, et nous ne sommes pas déçues : original, intelligent et trépidant, ce polar noir mâtiné de fantastique surpasse haut la main la plupart des thrillers coréens diffusés en festival ces dernières années. Nous avons vu les six premiers épisodes et nous sommes littéralement scotchées.
La même affaire que dans Memories of Murder
Le pitch interpelle forcément les amateurs de fantastique : un mystérieux talkie walkie permet à deux policiers évoluant à des époques différentes de communiquer. Le premier, Lee Jae Han (Cho Jin Woong), exerce dans les années 80 et 90 ; le second, Park Hae Young (Lee Je Hoon) est un jeune profiler affecté en 2015 à la résolution de cold cases, c’est-à-dire des affaires classées sans suite. Il travaille sous la direction de l’inspecteur Cha Soo Hyun (Kim Hye Soo), qui se trouve avoir elle-même côtoyé Lee Jae Han dans le passé.
Les transmissions qui relient les deux hommes s’opèrent sans aucun contrôle de leur part et ne leur laissent chaque fois que quelques minutes pour échanger des informations. Ensemble, ils vont tenter de résoudre ces affaires, voire de les empêcher de survenir.
Vous l’aurez compris, l’enquêteur du passé, Lee Jae Han, travaille entre autres sur l’affaire de Hwaseong – ici rebaptisée affaire Gyeonggi Nambu, Hwaseong étant une ville de la province de Gyeonggi – qui fait référence aux meurtres irrésolus de dix femmes retrouvées attachées, violées et tuées entre 1986 et 1991. Cette affaire a notamment fait l’objet du célèbre Memories of Murder, qui s’imposait, lors de sa sortie en Corée en 2003, comme un classique instantané du polar social noir à la coréenne. L’affaire a également inspiré, en 2014, le k-drama Gap Dong, dans lequel Lee Joon interprétait un psychopathe.
Dans le k-drama Signal, l’affaire de Hwaseong est revisitée de manière très originale au travers d’un parti pris fantastique qui relie le passé, où l’affaire est en cours, au présent, où elle est devenue une « cold case ». Abordée dès le second épisode du drama, l’affaire s’étale sur pas moins de trois épisodes, soit plus de trois heures de programme. Certains décors nous replongent directement dans l’ambiance du film de Bong Joon Ho (le champ de roseaux, la voie ferrée…). Quant à savoir ce qui se produit quand le flic du futur commence à révéler l’identité des futures victimes au flic du passé, je vous laisse le découvrir…
Traumatismes et corruption du système
Cette affaire n’est pas la seule à laquelle les policiers porteurs du talkie-walkie se retrouvent confrontés : la première, dont le rôle est d’introduire la dynamique qui s’installe entre les deux principaux protagonistes, s’intéresse à un kidnapping d’enfant qui fait froid dans le dos.
Le début de l’épisode 1 est sublime : un petit garçon snobe une camarade de classe qui cherche à faire sa connaissance, avant d’assister sans le savoir à son kidnapping. A l’innocence et la mélancolie des premières images succèdent l’horreur et le drame : en quelques scènes, le drama brosse l’impact de ce traumatisme sur l’avenir du garçon, qui n’est autre que Park Hae Young, le profiler qui découvrira le fameux talkie walkie.
Comme souvent dans les thrillers coréens, à la télévision comme au cinéma, le regard porté sur le fonctionnement de la police est sans appel : soumission des policiers aux intrigues des procureurs et mépris des victimes socialement vulnérables sont au programme de cette critique sociale incisive. Les bons thrillers coréens possèdent à ce titre une faculté exceptionnelle à mettre l’emphase sur l’anéantissement des êtres humains par la froideur implacable d’un système gangréné par la corruption et les copinages politiques.
Loin d’être un simple gimmick, le principe du contact entre les époques via le talkie walkie est magistralement mis au service de l’histoire, en plus de lui insuffler une touche d’étrangeté réjouissante. Si Park Hae Young connaît les suites des affaires de Lee Jae Han, ce dernier se trouve parfois en possession de détails de l’enquête oubliés par la suite. En outre, les technologies utilisées par la police ont considérablement évolué entre 1989 et 2015.
Paradoxes temporels
Seul problème, le changement du passé peut avoir des effets inattendus sur l’avenir… C’est le fameux « effet papillon », exploité dans le film éponyme d’Eric Bress et J. Mackye Gruber avec Ashton Kutcher, un argument déjà revisité avec brio dans le drama coréen Nine: Nine times time travel de Kim Byeong Soo. Dans Signal, on se demande dès le départ à quel genre de paradoxe temporel les personnages s’exposent dès lors qu’ils entrent en contact.
Les transitions entre les époques s’avèrent à ce titre très créatives, voire poétique comme dans le premier épisode lorsque Park Hae Young adulte marche dans les couloirs du commissariat avant de se voir enfant, un flash back qui permet au récit de glisser vers le point de vue de Lee Jae Han.
A ce titre, sur le plan artistique, Signal est tout simplement somptueux. A l’esthétique sombre marquée par des couleurs froides dans le présent et chaudes dans le passé, s’ajoute une atmosphère sonore et musicale envoûtante, tour à tour anxiogène et mélancolique, pour nous plonger dans les bas-fonds du Séoul d’aujourd’hui ou des années 80-90.
Si les scènes d’action s’avèrent très réalistes, voire frénétiques (on pense plus d’une fois à The Chaser de Na Hong Jin, pour les courses poursuites dans les ruelles), l’émotion est distillée avec un mélange de force et d’élégance, conférant une véritable profondeur à ce drama dont les personnages gagnent en relief au fil des épisodes.
Lee Je Hoon et Cho Jin Woong révoltés par l’injustice
Le casting est à ce titre irréprochable, qu’il s’agisse de Lee Je Hoon (Fashion King) en profiler à la fois tourmenté et trop honnête pour sa profession, de Cho Jin Woong (Roaring Currents, Hard Day) en flic traditionnel révolté par l’injustice, ou de Kim Hye Soo (The Thieves) en femme flic dont la carapace cache des blessures sourdes.
Le tour de force réside dans la manière dont les deux récits s’entremêlent pour n’en former qu’un seul, sans jamais que les points de contacts ne paraissent relever de la facilité de scénario (ce serait plutôt le contraire puisqu’ils tendent à le complexifier davantage !). Ne vous étonnez pas si les scènes du passé présentent une image légèrement étirée en hauteur : on s’habitue très vite à ce parti pris visuel.
Signal pourrait se définir comme une rencontre entre Nine: Nine times time travel et Memories of Murder, avec une touche de God’s Gift: 14 Days et du film The Chaser !
Pour l’instant, le succès est au rendez-vous à la télé coréenne : les ratings sont passés de 5,1 à 8,6% (chiffres AGB Nielsen), un excellent score pour un drama du câble et qui surpasse déjà celui de Misaeng. Les réactions sur le web occidental sont à l’avenant et je vous recommande d’ailleurs, une fois que vous aurez commencé le drama, de faire bien attention à ne pas chercher trop d’informations sur les moteurs de recherche afin de vous préserver de tout spoiler, certains journalistes s’amusant à faire la Une avec des éléments du scénario…
Enfin, les amateurs de drama s’amuseront du hobby de Park Hae Young dans le premier épisode : avant son embauche dans l’équipe de Cha Soo Hyun, le jeune homme met ses talents de profiling à contribution dans le harcèlement de stars (je n’en dirais pas plus si ce n’est que de véritables stars et couples de stars sont citées, et pas des moindres !).
Elodie Leroy
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Ci-dessous, les trois teasers de Signal ainsi qu’un reportage de 4 minutes sur le tournage, suivis d’une galerie de photos.