Critique : Kingdom (Netflix), une épopée macabre et haletante

par Elodie Leroy

Avec Kingdom, Netflix surfe sur la hallyu et orchestre un massacre en règle dans la Corée médiévale. Si vous aimez les zombies féroces et les scènes de panique, Kingdom est fait pour vous !

Une pandémie envahit le royaume de Joseon et transforme les morts en monstres, tel est le pitch de Kingdom, première série coréenne produite par le leader du streaming Netflix. Doté d’un budget conséquent, Kingdom relève un défi insolite : mélanger un genre typique de la télé coréenne, le sageuk (drama historique), avec un genre associé au cinéma américain, le thriller de zombies. Pari réussi ? Assurément. Si le drama aurait gagné à étoffer ses personnages, son ambiance apocalyptique et ses scènes d’action haletantes en font une expérience très divertissante.

Joo Ji Hoon dans Kingdom (Netflix)
Joo Ji Hoon dans Kingdom (Netflix)

Synopsis : Le prince héritier Lee Chang (Joo Ji Hoon) s’inquiète de rumeurs étranges sur la maladie du roi, qu’il a interdiction d’approcher. Décidé à enquêter, il se rend dans la province de Gyeongsang à la recherche du médecin qui a tenté de soigner son père. Bientôt, il est désigné comme traître par le clan de la reine, dont le père, le conseiller d’état Cho Hak Joo (Ryu Seung Ryeong), tente de s’emparer du pouvoir. Au même moment, une épidémie éclate dans la province de Gyeongsang. Le prince rencontre Seo Bi (Bae Doona), une femme-médecin qui prétend que la maladie ressuscite les morts.

Kingdom : Netflix ose le sageuk de zombies

L’année 2018 a été marquée par une entrée en force des dramas coréens sur Netflix, qui en a fait l’un des axes stratégiques de son développement. Un an après le variety show Busted!, qui était premier contenu coréen produit par la plateforme de streaming, Kingdom (킹덤) arrive en grande pompe dans le catalogue et fait d’ores et déjà son petit effet auprès des amateurs de séries de genre.

Avec Kingdom, Netflix réunit des talents de premier choix. Le drama est écrit par Kim Eun Hee, scénariste de premier plan en Corée à qui l’on doit Signal, son chef d’œuvre, mais aussi le thriller politique Three Days et le cyber-polar Ghost. Kim Eun Hee est aussi l’autrice du webcomic The Kingdom of the Gods, dont s’inspire la série Kingdom.

Derrière la caméra, le réalisateur Kim Seong Hun, qui a fait ses preuves avec les longs métrages Hard Day et Tunnel, prend les commandes de cette grosse production d’AStory, une société affiliée à Studio Dragon.

Bae Doo Na (Kingdom)
Bae Doo Na dans Kingdom (Netflix)

Kingdom ose un mélange surprenant en associant le sageuk au thriller de zombies. Le concept arrive au bon moment, puisque le genre de l’horreur se développe à la télé coréenne depuis l’année 2018 (The Guest, Priest) et que l’appétence pour les zombies se manifeste déjà dans bon nombre de dramas. Il rappelle aussi celui du long métrage Rampant avec Hyun Bin, sorti quelques mois plus tôt en Corée et qui s’inspirait fortement du webcomic de Kim Eun Hee. On vous prévient tout de suite : Kingdom est mille fois plus excitant que le film de Hyun Bin !

Le scénario de Kingdom reprend les ressorts classiques du drama historique, tels que les luttes intestines dans la cour du roi et les rapports de classes, pour les revisiter à travers cette sombre histoire d’épidémie qui fait revivre les morts. La catastrophe prend naissance entre les murs du palais : le premier zombie n’est autre que le roi de Joseon ! Pourtant, c’est bel et bien dans le monde rural que l’épidémie se répandra pour prendre des proportions incontrôlables en contaminant les paysans par milliers.

Panique au village

Les deux premiers épisodes de Kingdom, qui constituent la mise en place, surprendront les spectateurs habitués au montage enlevé des dramas coréens par leur relative lenteur. Dans le même temps, Kim Seong Hun laisse infuser une ambiance lourde, crépusculaire, dans lequel le spectateur s’immerge peu à peu malgré lui. Epaulé par le travail précis du chef opérateur, le réalisateur s’attarde sur les couloirs sombres et labyrinthiques du palais pour créer une atmosphère claustrophobe, ou sur les paysages luxuriants et silencieux pour installer un climat pesant de fin du monde.

Le coup d’envoi de l’action s’opère véritablement à l’épisode 3, qui fait monter l’adrénaline le temps d’une longue et frénétique séquence d’attaque de zombies dans un village. A partir de ce moment précis, Kingdom gagne en efficacité et devient très fun.

On tremble pour le prince héritier, Lee Chang, qui vient tout juste d’échapper à une tentative d’assassinat et de voir ses agresseurs se muer en zombies, avant de se retrouver poursuivi dans la nature par des centaines de morts-vivants sans comprendre ce qui lui arrive. Les scènes de course-poursuite en forêt constituent un motif récurrent dans les sageuk, mais celle-ci est d’anthologie.

On frémit aussi pour ce villageois qui remarque un enfant au comportement anormalement agressif, pour cette petite fille qui assiste à la transformation de sa mère, pour ces soldats qui rampent pour échapper à un monstre au masque de clown… L’horreur et la barbarie se déchaînent à l’écran avec générosité, créant au passage quelques situations burlesques, comme celle de ce prisonnier dont la tête est encastrée avec celle d’un zombie dans une cellule.

Attaque zombie dans Kingdom

Les scènes d’action de Kingdom ne sont pas si nombreuses, mais elles sont frappantes et stylisées. De l’assaut du dispensaire par les soldats, qui nous plonge dans une ambiance de western, aux affrontements sanglants entre humains et zombies dans les champs de blés, les explosions de violence sont servies par des effets spéciaux haut de gamme. L’esthétique du sageuk apporte une dimension inédite aux attaques de zombies, qui dépassent le cadre de la pure fantaisie pour se fondre dans l’Histoire.

Kim Eun Hee injecte de nouveaux codes au genre : les monstres de Kingdom n’agissent que la nuit et semblent inanimés pendant la journée. Il faut voir ce moment où, dans la cour du magistrat, les cadavres s’animent et se contorsionnent, tels des danseurs contemporain, pour semer la panique parmi les villageois. L’instant est sidérant.

Les zombies ne font pas de discrimination

Alors que les aristocrates réfléchissent à la manière d’ordonner les cadavres selon leur condition sociale, la pandémie gagne la province de Gyeongsang et tue sans distinction. Les hordes de zombies enragés évoquent la famine qui frappe les populations pauvres depuis des années, mais aussi la cannibalisation des plus pauvres par la noblesse.

Un « gwoemul », ou monstre, est terré dans la chambre royale, comme pour donner corps à la corruption qui s’est emparée du palais, tombé sous l’influence néfaste du clan Haewon Cho. Le soin grotesque apporté au maquillage du roi par les servantes terrifiées ressemble à un déni de réalité. Le royaume part en miettes. Le monde s’effondre autour du palais.

Pendant ce temps, pris au piège dans la zone contaminée, le prince Lee Chang prend conscience du mal profond qui ronge le royaume en découvrant avec consternation la couardise et le cynisme des aristocrates, qui se montrent prêts à sacrifier la population pour survivre.

Paria dans son propre royaume

On eût aimé que Kingdom développe davantage ses personnages, notamment les interactions humaines au sein du groupe qui se forme autour du prince. Les sageuk télévisuels nous ont habitués à leurs riches galeries de protagonistes, dont les enjeux personnels nourrissent l’intrigue politique – citons le très bon The Crowned Clown, diffusé à la même époque sur tvN. L’intrigue politique ne surprendra d’ailleurs personne, même si elle réserve un twist bien amené en fin de parcours.

Ju Ji Hoon dans Kingdom

Le choix des acteurs s’avère cependant judicieux. Très populaire grâce la franchise Along With The Gods et vu dans les dramas Confession et Mask, Joo Ji Hoon est peu coutumier du genre du sageuk, mais se montre convaincant dans l’action et porte superbement le hanbok, apportant une réelle prestance à ce prince héritier devenu paria dans son propre royaume.

Son interprétation est parfaite dans le rôle de ce prince un peu guindé, mais dont l’envie sincère d’aider les villageois force l’admiration. Si le drama reste en surface du personnage, là où un sageuk classique aurait été plus loin dans sa psychologie, ses échanges avec son garde du corps Moo Young, interprété par le très bon Kim Sang Ho (Doctor Stranger), arrivent souvent à pic pour détendre l’atmosphère en dehors des scènes d’action – ou plutôt de massacre.

Dans le rôle de la femme-médecin Seo Bi, qui assure l’intermédiaire entre le prince et les villageois, Bae Doona (Sense8, Cloud Atlas) apparaît pour la première fois dans un sageuk et apporte un peu de chaleur à l’univers froid du drama. L’actrice assume son choix de ne pas adopter le parler de l’époque, un parti pris qui a choqué une partie du public coréen.

Du côté des méchants, Ryoo Seung Ryong (Masquerade) se montre bien entendu convaincant en conseiller d’état comploteur, un registre qu’il connaît par cœur, mais c’est l’actrice Kim Hye Jun (Reunited Worlds) qui tire son épingle du jeu en jeune reine enceinte d’un potentiel héritier, une mission dévoyée par un contexte monstrueux.

Enfin, les amateurs de dramas reconnaîtront plusieurs habitués des rôles de seconds couteaux, tels que Yoo Seung Mok (The Guest) et Jun Seok Ho (Strong Woman Do Bong Soon) dans des rôles de notables confrontés directement à l’épidémie.

La suite de Kingdom déjà prévue par Netflix

Sans trop en révéler, l’épisode 6 de Kingdom nous abandonne en plein suspense. De quoi faire saliver pour la saison 2, dont le tournage devrait débuter en février pour s’achever en juin 2019.

Il est loin, le temps où Hollywood adaptait les univers d’autres cultures à sa sauce, cette époque où Tom Cruise se prenait pour un samouraï dans Le Dernier Samourai, où Keanu Reeves mimait des mouvements des films de kung-fu dans Matrix. Avec Kingdom, Netflix rend ce style de production hollywoodienne obsolète. Le leader du streaming préfère financer des productions locales, réalisées par des équipes locales dans la langue du pays d’origine. Quand les talents sont réunis, le résultat est nettement plus enthousiasmant.

Elodie Leroy

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