Découvrez notre analyse de la scène où Jin Seon Min rencontre Son Oh Gong dans A Korean Adyssey, une scène fantastique aux accents mythologiques.
Diffusé depuis le 23 décembre 2017 sur tvN, le drama coréen Hwayugi: A Korean Odyssey avec Lee Seung Gi revisite la célèbre histoire du Roi Singe contée dans le roman chinois Journey To The West (Wu Cheng’en), comme nous vous l’expliquions dans nos premières impressions sur les premiers épisodes. Réalisée par réalisé par Park Hong Kyun, Kim Jung Hyun et Kim Byung Soo, cette nouvelle adaptation est écrite par les sœurs Hong, scénaristes incontournables de l’univers des dramas coréens, à qui l’on doit un autre classique inspiré du folklore asiatique, My Girlfriend Is A Gumiho, qui mettait également en vedette Lee Seung Gi.
Point de Gumiho dans Hwayugi, dont les créatures fantastiques se rapprochent des immortels du folklore chinois comme dans les films d’héroic fantasy, tels que Zu les Guerriers de la Montagne Magique (Tsui Hark) – l’affection des sœurs Hong pour le cinéma d’action de Hong Kong des années 80-90 est perceptible dans Hwayugi, comme dans My Girlfriend Is A Gumiho. Dans mes premières impressions, je vous ai dit tout le bien que je pensais de ce drama à gros budget où Lee Seung Gi fait son retour dans un rôle sur mesure, celui de Son Oh Gong, version coréenne du Sun Wukong chinois. Je souhaite m’attarder sur une scène marquante tant pour sa dimension visuelle et narrative que pour ses dimensions initiatique et mythologique.
Cette scène, c’est celle de la première rencontre entre Jin Seon Mi (Kal So Won en enfant, Oh Yeon Seo en adulte) et Son Oh Gong dans l’épisode 1, un moment à la fois magique et lourd de conséquences pour l’héroïne, en plus d’être superbement mis en scène. Comment cette rencontre, qui survient au moment où Jin Seon Mi est prépubère, influencera-t-elle son rapport aux hommes à l’âge adulte et déterminera-t-elle les enjeux dans la suite de l’histoire ? Je me propose de détailler mon interprétation.
Cet article comporte de légers spoilers.
CONTEXTE DE LA SCENE
Jin Seon Mi et les fantômes
Lorsque nous faisons la connaissance de Jin Seon Mi, 11 ans, elle se trouve dans une situation typique de l’enfance : cartable sur le dos, elle entre dans sa classe et pose ses cahiers sur sa table d’écolière. Elle vient tout juste d’être moquée par ses camarades, qui la traitent de fantôme, une situation que l’on devine quotidienne – les enfants ont créé une chanson dont les paroles se résument à « C’est un fantôme ». La situation bascule lorsqu’elle réalise que la maîtresse d’école est en réalité un esprit dont elle est la seule à percevoir l’existence. Brandissant son parapluie jaune à pois orné d’un talisman pour se protéger, elle s’ostracise encore davantage vis-à-vis de ses camarades de classe, effrayés par son attitude.
Poursuivie sur le chemin du retour par le fantôme malfaisant de la classe, elle est repérée par un homme mystérieux dont la tenue vestimentaire, qui semble dater du 19ème siècle, suggère qu’il n’appartient pas au monde « normal ». Muni d’un étrange parapluie noir, il chasse le démon avant de s’adresser à Jin Seon Mi. Cette rencontre marque un tournant définitif, un point de non-retour dans la vie de l’héroïne.
ANALYSE DE LA SCENE
Jin Seon Mi et la figure paternelle
« Pour ne pas t’effrayer, disons que je suis une fée », lui apprend l’homme qui n’est autre que Ma Wang (Cha Seung Won). Justement, la petite fille n’est pas effrayée. Le fait qu’il soit comme elle muni d’un parapluie, que Seon Mi repère immédiatement, évoque presque un lien de filiation. Nous apprendrons par la suite que Seon Mi vit avec sa grand-mère et n’a jamais eu de figure paternelle dans sa vie. Pour la première fois, un homme la comprend et se montre protecteur et gentil avec elle.
De son côté, Ma Wang voit en Seon Mi un être humain doté d’un pouvoir unique. Il réalise aussi à quel point elle est naïve et innocente et adopte un ton paternel, comme s’il avait saisi le manque affectif de l’enfant.
Ma Wang parvient ainsi sans difficulté à lui faire accepter un marché : se rendre dans une demeure magique pour aller chercher un mystérieux éventail appartenant à la Princesse Iron Fan, et dont il aurait besoin pour éteindre un incendie. En échange, la petite fille souhaite troquer par la suite son parapluie jaune à pois contre celui de son nouvel ami, qui semble doté de pouvoirs bien supérieurs. L’homme accepte sans difficulté, ce qui est hautement suspect, mais Seon Mi n’y voit que du feu.
La séquence se termine par une image de la main de Seon Mi serrant celle de Ma Wang, ce qui marque la conclusion de leur accord, suivi d’un gros plan sur le sourire en coin de Ma Wang, qui semble avoir d’autres desseins en tête.
Entrée dans un monde fantastique
La suite de la conversation nous emmène dans un tout autre décor. La séquence débute par un plan dévoilant un tunnel, au bout d’un chemin bordé par une forêt. Les deux personnages apparaissent au loin, marchant vers l’entrée du passage sombre et désert. Ce plan éloigné marqué par des couleurs froides, qui accentue l’impression d’un décor écrasant, confère à la séquence une atmosphère inquiétante. La musique, dominée par des chœurs et par le son d’une harpe, cultive une ambiance de mystère.
L’entrée du tunnel est entourée d’un léger brouillard, un élément qui marque généralement le basculement d’une histoire dans le fantastique. En réalité, nous étions déjà dans le fantastique auparavant, puisque Seon Mi évolue dans un monde peuplé de fantômes, mais le spectateur se doit d’ajuster son référentiel : côtoyer des fantômes correspond à son quotidien ; le glissement vers l’inconnu s’opère lorsqu’elle rencontre ces immortels dont elle ne soupçonnait pas l’existence.
Ma Wang annonce à Seon Mi qu’elle devra traverser le tunnel sombre pour entrer dans la forêt où se trouve « un lieu étrange que les humains ne peuvent pas voir, mais dans lequel ils sont les seuls à pouvoir entrer ». C’est dans cette maison qu’elle trouvera l’éventail magique. Pourquoi Ma Wang abandonne-t-il la petite fille à l’entrée du tunnel, au lieu de l’accompagner jusqu’à celle de la maison ? Nous comprendrons par la suite qu’il ne souhaite pas éveiller les soupçons de la créature enfermée dans la demeure. Cependant, si l’on examine la scène sous l’angle du développement du personnage féminin, Seon Mi est vouée à parcourir ce chemin toute seule.
Alors qu’elle s’engage dans le tunnel, Ma Wang lui donne un ultime conseil – la musique de fond se fait alors plus menaçante. « Tu devras revenir immédiatement, une fois que tu auras récupéré l’éventail. Quoi que tu voies, quoi que tu entendes, tu dois l’ignorer. » L’expression de Ma Wang est traversée par quelques spasmes de férocité.
L’ivresse de l’inconnu
Habillé de son manteau rouge, comme le Petit Chaperon Rouge, Seon Mi emprunte un premier tunnel sombre et froid, qui la mène vers un autre tunnel, un sentier cerné par des arbres maintenant une semi-obscurité. La musique installe une ambiance envoûtante (les premières notes m’évoquent un extrait du morceau Lothlorien dans La Communauté de l’Anneau), avant de devenir de plus en plus inquiétante. Une fois encore, Seon Mi paraît plus curieuse qu’effrayée. Elle marche prudemment en observant ce qui se trouve autour d’elle, mais ne manifeste aucune envie de s’enfuir.
Attardons-nous sur ce décor à la fois séduisant, luxuriant et inquiétant, que l’héroïne est contrainte de traverser seule. Il n’est pas rare de trouver ce type de décor dans les contes de fées, où il est souvent utilisé pour marquer l’entrée du héros ou de l’héroïne dans le monde des adultes, voire son éveil à la sexualité. Nous trouvons ce décor dans le Petit Chaperon Rouge, évidemment, mais aussi dans le conte de Blanche-Neige. L’allusion est particulièrement explicite dans le film d’animation de Walt Disney.
Avant d’être agressée par la méchante reine, Blanche-Neige vit dans un univers d’enfant, fait de chansons d’amour et d’animaux parlants. C’est alors que la reine envoie le chasseur pour la tuer. Jouant sur sa naïveté (et peut-être sa curiosité), l’homme l’emmène en pleine nuit au fond de la forêt pour l’abattre. Emu par sa beauté, il renonce finalement à la tuer et la laisse seule dans la forêt, où la jeune fille finit par se perdre. Elle est alors agressée par les arbres qui l’attrapent et déchirent ses vêtements. Si l’on prend la scène au premier degré, la princesse échappe à un danger pour en trouver un autre. Si on lit entre les lignes, la scène marque sa première confrontation avec le monde des hommes, après avoir été arrachée à l’affection de son père. Le chasseur s’est-il contenté de la laisser partir ? Ses habits déchirés laissent imaginer une autre version des faits.
Rappelons que Blanche-Neige n’est encore qu’une adolescente. Elle ne comprend pas le désir qu’elle suscite. Effrayée par cette expérience, elle se perd dans la forêt pour être finalement trouvée par les nains, avec qui elle noue une relation platonique et affectueuse, ce qui la replonge dans un monde proche de l’enfance. Ce n’est que plus tard, quand elle sera empoisonnée et que le prince la tirera d’un profond sommeil, qu’elle pourra enfin devenir une femme.
Revenons à Hwayugi. La scène qui nous intéresse est loin d’être aussi violente que celle du chasseur, mais le motif utilisé – l’avancée dans une forêt fantastique pour aller vers l’inconnu, l’intervention d’un être masculin qui va suivre – et la fonction de la scène dans le développement du personnage présentent des points communs avec Blanche-Neige. Jin Seon Mi quitte une figure paternelle pour s’aventurer à la rencontre d’un homme, elle qui est encore immature et innocente.
Lorsque le chemin s’éclaire, Seon Mi découvre un autre passage. Pour renforcer la sensation de danger qui pèse sur l’enfant, que la musique exprime par un renforcement des basses et du rythme, la mise en scène ne dévoile pas immédiatement le décor dans son intégralité. Cette nouvelle séquence débute par un gros plan sur ses pieds foulant les marches d’un escalier recouvert de feuilles. Autant dire que nous ne savons pas où elle met les pieds !
La caméra suit la petite fille en manteau rouge, qui apparaît alors en contre-plongée, passant à côté d’une statue menaçante armée d’une épée. Sur l’image suivante, elle est filmée en plongée, ce qui donne l’impression qu’elle est dominée par ce décor dont nous apercevons peu à peu d’autres éléments. Les lieux sont habités par une véritable garde de statues armées. L’avertissement est clair : il est interdit d’y pénétrer.
La demeure magique cachée dans la montagne nous est ensuite dévoilée. Filmée en contre-plongée au-dessus d’une falaise, ce qui donne l’impression qu’elle est suspendue dans les airs, elle semble appartenir à un autre monde, avec sa structure bigarrée et sa façade en miroir. Le rendu est d’ailleurs très esthétique à l’écran, puisque la maison se fond dans le décor végétal tout en reflétant la lumière.
Une fois dans la demeure, la petite fille se trouve dans un dédale d’escaliers parsemé de chandelles. L’esthétique change radicalement, passant de couleurs froides à des tons chauds, dans une ambiance feutrée. L’effet de miroir créé par le dédoublement de l’image transmet un sentiment d’ivresse. Jin Seon Mi découvre un monde secret et interdit. Elle ne tarde pas à découvrir l’éventail en lévitation dans une pièce vide. Il s’avère étonnamment facile pour elle de s’en saisir.
Cet éventail appartient à la Princesse Iron Fan, un personnage démoniaque de Journey to the West, dont s’inspire librement Hwayugi. Dans le roman, c’est Sun Wukong (alias Son Oh Gong) qui souhaite emprunter l’éventail à la princesse. Les scénaristes prennent donc quelques libertés avec l’histoire. Quoi qu’il en soit, la Princesse Iron Fan a l’apparence d’une femme adulte. En s’emparant de l’objet, Jin Seon Mi semble accéder à un secret. Deviendra-t-elle une femme ?
Rappelons que Jin Seon Mi est prépubère, puisqu’elle n’a que 11 ans. C’est à cet âge-là que les petites filles commencent à se projeter mentalement dans le corps d’une femme et à regarder les hommes adultes. Mais à cet âge-là, il est encore bien trop tôt pour se confronter à l’homme. Une enfant prépubère commence à ressentir des émotions qu’elle ne peut pas encore décrypter. Rappelons aussi que l’enfant est censée remettre l’éventail à Ma Wang, qui a l’apparence d’un homme adulte que Seon Mi assimile à une figure paternelle. En se saisissant d’un objet appartenant à une femme, la petite fille s’invite dans le monde des adultes, qu’elle n’est pas en âge de comprendre. Le prix à payer sera conséquent.
Jin Seon Mi face à la tentation
Une fois l’éventail de la princesse dans les mains, Seon Mi devrait suivre le conseil de Ma Wang et partir sans s’attarder. Mais ce conseil n’a-t-il pas quelque chose de pervers ? En insistant sur la nécessité d’ignorer l’être qui pourrait se manifester, une situation que l’on devine inévitable, Ma Wang a posé un interdit donc créé une tentation. Dès lors que cet impératif lui est donné, il est évident qu’elle tombera dans le piège !
La tentation sera effectivement plus forte : au lieu de partir immédiatement après avoir rempli sa mission, Seon Mi s’attarde sur les lieux. Elle perçoit un mouvement dans la pièce – une forme passe furtivement devant la caméra – et remarque alors l’étrange chandelier qui surmonte la table située dans la pièce centrale. Bravant l’interdit, elle ne peut s’empêcher de l’examiner. Ce réflexe m’évoque celui de l’héroïne du film espagnol Le Labyrinthe de Pan, le chef d’œuvre de Guillermo del Toro. Comme Seon Mi, Ofelia s’évade d’un quotidien sordide pour découvrir un monde à la fois inquiétant et merveilleux, peuplé de créatures extraordinaires. Lorsqu’elle doit se rendre dans la tanière d’un ogre pour aller chercher un mystérieux poignard, elle est avertie d’un danger par le faune : elle ne devra en aucun cas toucher à la nourriture qui se trouve sur la table de l’ogre endormi. Bien évidemment, Ofelia ne pourra résister à la tentation, ce qui provoquera le réveil et la libération de l’ogre.
Dans Hwayugi, nous pouvons nous demander si Son Oh Gong (Lee Seung Gi) se serait manifesté si Seon Mi ne s’était pas attardée pour s’intéresser au chandelier magique, dont dépend justement sa liberté. Seon Mi commet alors une erreur fatale : elle revient en arrière pour s’approcher de la table. Ce geste déterminera la suite de son destin. Le fait qu’elle désobéisse à Ma Wang, c’est-à-dire à un adulte, est également un marqueur de son entrée dans l’adolescence. Elle doit désobéir pour sortir de l’univers sécurisant de l’enfance, se confronter au monde et trouver son identité.
L’entrée en scène de Son Oh Gong est pour le moins violente : la première chose que voit Seon Mi est une barre dorée frappant la table. La réalisation se place du point de vue de l’héroïne, puisque nous ne découvrons la créature surnaturelle qu’après avoir vu la réaction de Seon Mi. L’objet que le Roi Singe tient dans sa main évoque aussi une tapette à mouches. L’apparition précise d’ailleurs, pour exercer une intimidation : « J’allais te tuer en pensant que tu étais une mouche, mais tu es humaine ! »
S’ensuit un petit jeu entre les deux personnages, la petite fille feignant de ne pas remarquer la présence de la créature. Il va jusqu’à la soulever du sol, lui reprochant de ne pas avoir amené d’alcool en guise de cadeau – sa malédiction lui interdit de boire de l’alcool. Il finit par la prendre en flagrant délit de l’entendre en dérobant son parapluie à pois jaunes. Il a trouvé son point faible: la peur de se trouver sans défense face aux esprits malins.
Pendant cet échange, le point de vue adopté par la caméra se modifie légèrement, alternant entre des plans à la hauteur de Seon Mi, où Son Oh Gong est filmé en contreplongée, et des gros plans sur le visage de Son Oh Gong, qui sourit en coin à mesure qu’il déstabilise la petite fille. Cette alternance entre les points de vue rapproche le spectateur de la créature surnaturelle, qui fera partie des personnages principaux de l’histoire.
Sous le charme de Son Oh Gong
Pour une fois, Seon Mi paraît effrayée. Cependant, sa peur disparaît dès lors qu’elle entame un dialogue avec lui. Avait-elle peur de lui ou était-elle simplement effrayée par l’idée de briser un interdit ? Lorsque la créature l’interroge, l’échange verbal est envisagé à travers le point de vue de la petite fille : la caméra se place à sa hauteur, tandis que la créature est filmée en contre-plongée. Pourtant, la scène n’est pas véritablement anxiogène. Jin Seon Mi est en train de tomber dans les filets de Son Oh Gong.
Alors qu’elle justifie sa présence en racontant le marché qu’elle a passé avec Ma Wang, l’atmosphère de la scène se modifie légèrement : la musique reste inquiétante, mais le ton employé par les personnages est celui d’une conversation familière. Très vite, le Roi Singe parvient à convaincre Seon Mi qu’elle s’est fait arnaquer par Ma Wang, puisqu’elle n’a pas signé de contrat. En outre, la vision d’un jeune homme détaché de toute connotation paternelle, n’est-elle pas encore plus attrayante ? Seon Mi a déjà oublié Ma Wang, dont le souvenir a perdu de son charme.
Je m’attarde une seconde sur l’apparence de Son Oh Gong. Interprété par Lee Seung Gi, qui joue abondamment de son légendaire sourire charmeur, Son Oh Gong apparaît partiellement décoiffé et habillé d’un vêtement rouge en soie qui évoque presque un pyjama de luxe. Sa tenue débraillée et son allure nonchalante donnent l’impression qu’il a été surpris dans son intimité. Le regard de la scène est plutôt intéressant : dans les contes de fées, c’est généralement un homme qui tombe sous le charme d’une femme tentatrice. Dans Hwayugi, l’être tentateur est masculin et le point de vue féminin. Cette inversion des rapports de séduction homme/femme est typique des dramas coréens – dans les films/séries occidentaux, seules les femmes sont filmées avec un regard érotisé.
Nous ne pouvons également que remarquer que Son Oh Gong est vêtu de rouge, comme le manteau de la petite fille, ce qui crée visuellement une connexion entre eux. En Chine, le rouge est la couleur du bonheur.
Charmée par Son Oh Gong, Jin Seon Mi est prête à croire tout ce qu’il lui raconte. Il faut dire que la créature joue d’abord la carte de la peur en lui faisant croire qu’elle se fera attaquer par un monstre dès sa sortie de la maison, avant de la convaincre par la séduction. « Oppa te protégera », assure la créature, l’emploi du terme « Oppa » le positionnant à la fois comme un grand frère et un potentiel chevalier servant.
Son Oh Gong est affublé de tatouages étranges qui représentent des chaînes. Prisonnier dans cette demeure depuis des siècles, il n’attendait que la venue d’un être humain suffisamment naïf pour le libérer en éteignant les flammes du chandelier. Il commence par lui demander d’un air détaché d’éteindre les flammes pendant qu’il se prépare, comme s’il s’agissait d’une simple formalité. La caméra nous place alors du point de vue de Son Oh Gong, filmé en gros plan juste devant la caméra lorsque l’enfant s’apprête à éteindre les flammes. Il semble prendre l’avantage.
Il en faut cependant un peu plus pour convaincre Seon Mi, qui soupçonne une entourloupe. La caméra renverse à nouveau le point de vue en se plaçant à la hauteur de la petite fille qui comprend que Son Oh Gong est incapable d’éteindre les flammes. Va-t-elle se laisser embobiner ? Nous assistons à une petite lutte psychologique entre l’héroïne et la créature surnaturelle, comme dans un conte mythologique. Le fait que la réalisation alterne entre les deux points de vue, sans véritablement prendre parti, souligne que la scène marque la rencontre déterminante entre deux personnages importants de l’histoire.
Sur le ton de la confidence, Son Oh Gong fait mine de tout avouer : « Oui, enfant humain, je t’en supplie. Je ne peux sortir que si tu les éteins. » Il va jusqu’à lui révéler que l’énergie des flammes maintient en place les chaînes qui l’entravent. La caméra filme alors en gros plan les différentes parties de son corps enchaînées, des images qui créent un sentiment d’empathie à son égard (en plus d’être agréables à regarder pour la spectatrice).
Nous sommes face à un bel exemple de manipulation : cette ultime manœuvre donne un sentiment de supériorité à l’enfant, qui accepte alors sans réfléchir les termes du contrat qu’il lui propose. Elle révèle alors son point faible : « Protège-moi. Je vois des monstres effrayants ».
C’est à ce moment que le Grand Sage, l’égal du paradis, Son Oh Gong, se présente formellement. Ce semblant d’honnêteté achève de la convaincre. La signature s’opère par un contact physique – les deux mains se caressent. Comme pour annoncer sa victoire, le point de vue adopté par la caméra revient vers Son Oh Gong, qui voit ses chaînes disparaître une à une.
Un battement de cœur plus tard, Jin Seon Mi se trouve dehors, dans un vaste champ de blé, un décor ouvert qui contraste avec la demeure étouffante. Conquérant, le Grand Sage oublie momentanément la petite fille et crie victoire. Il arbore un superbe manteau de fourrure (qui risque de lancer une nouvelle mode dans la vraie vie) et une toute nouvelle coupe de cheveux, qui évoque le pelage de la tête d’un singe. Au passage, le design du personnage est une belle réussite.
Bien entendu, Seon Mi s’est fait abuser. Lorsqu’elle lui rappelle les termes du contrat, Son Oh Gong est bien embêté. Comme pour justifier son acte, il lui explique qu’une prison sert à enfermer des méchants. Sans scrupule, il retire son nom de sa mémoire. « Je viendrai de protéger dès que tu prononcera mon nom. Bien sûr, tu ne t’en souviendras jamais. » Filmée en plongée pour souligner son impuissance face à la créature mythologique, Jin Seon Mi le supplie une dernière fois de rester, mais Son Oh Gong s’évapore dans les nuages.
Toute cette cruelle aventure est un véritable fiasco pour Jin Seon Mi. Non seulement elle est humiliée et repart les mains vides, puisque Son Oh Gong lui a dérobé l’éventail de la Princesse Iron Fan avant de partir, mais elle vient d’apprendre qu’elle sera punie pour l’avoir libéré, même si Son Oh Gong s’est révélé incapable de lui dire en quoi consisterait sa punition.
La dernière image de la scène montre Jin Seon Mi seule dans l’immensité du décor, un plan qui vient accentuer le sentiment de détresse de la petite fille.
IMPLICATIONS DE LA SCÈNE
Prisonnière de son enfance
Que faut-il comprendre de cette scène ? Jin Seon Mi, qui n’avait rien demandé à personne, s’est fait avoir par deux figures masculines. La première a tenté de l’utiliser et la seconde l’a trahie. D’un point de vue psychologique, cette trahison arrive au plus mauvais moment, juste avant la puberté, à un âge charnière où une enfant commence à se forger une image fantasmée de l’homme idéal.
Lorsque nous la retrouvons 25 ans plus tard, âgée de 36 ans, Jin Seon Mi (Oh Yeon Seo) apparaît dans l’exercice de son travail. Elle dirige une petite entreprise qui rachète des maisons hantées pour les exorciser puis les revendre. De manière intéressante, le premier plan où elle apparaît obéit à une mise en scène similaire à celle de la première apparition de Ma Wang dans la scène précédente : la caméra dévoile ses pieds, puis son parapluie. Sa première action est quant à elle similaire à celle décrite précédemment dans la salle de classe : ouvrir brusquement son parapluie et effrayer les personnes en présence.
Jin Seon Mi est restée prisonnière de son enfance et de ce traumatisme. Elle est certes devenue une très belle femme, mais nous découvrons par la suite qu’elle est fermée à toute possibilité de relation avec un homme. Non seulement sa vie de femme est inhibée – nous pouvons imaginer qu’elle n’a jamais connu d’homme intimement – mais elle paraît hostile à toute amitié avec qui que ce soit, mis à part avec quelques-uns des fantômes qu’elle libère de leur malédiction. Sa condition est matérialisée par son parapluie jaune à pois, objet de son enfance qu’elle n’a jamais quitté. Elle a suivi le même chemin que Blanche-Neige après avoir connu le chasseur : se réfugier dans un monde enfantin en attendant qu’un prince vienne la réveiller.
Seon Mi trouvera son prince : elle reverra Son Oh Gong, l’être masculin qui a gâché sa vie avec ses mensonges. C’est lui qui viendra la « réveiller », ou plutôt éveiller en elle des sentiments refoulés, en devenant son esclave par le biais du Geumganggo. Elle se révélera cependant moins passive que les héroïnes de contes de fées, puisqu’elle prendra l’initiative du premier baiser pour activer le Geumganggo.
Seon Mi découvrira aussi sa punition : elle est devenue Sam Jang, un être dont le sang dégage un parfum si enivrant qu’il attire les convoitises de tous les démons et êtres surnaturels. En mangeant Sam Jang, les créatures surnaturelles acquerraient un pouvoir extraordinaire. Soudain, cette jeune femme qui avait renoncé à toute relation intime revient aux réalités de la vie : son corps, voire son être, suscite un désir brûlant. Au point que certains, y compris Son Oh Gong, fantasment de la dévorer. On ne peut pas faire plus explicite ! Jin Seon Mi va devoir surmonter son traumatisme et apprivoiser ce qu’elle est, sa condition, son pouvoir de séduction. En d’autres termes, elle va devenir une femme.
Elodie Leroy