Écrit avec talent, soutenu par une réalisation efficace, Chief Kim est une fiction à la fois drôle et réaliste sur le monde du travail. Le drama est emmené avec passion par un groupe d’acteurs exceptionnels, à commencer par Namgoong Min, qui livre une performance absolument décapante dans le rôle principal. Face à lui, l’actrice Nam Sang Mi et l’acteur Kim Won Hae trouvent chacun l’un de leurs meilleurs rôles, tandis que Lee Junho est une véritable révélation. Un conseil : ne passez surtout pas à côté de cette perle, qui compte parmi les séries coréennes indispensables de 2017. Notre critique.
Chief Kim raconte les aventures de Kim Seong-Ryong (Namgoong Min), un comptable de génie qui exerce ses talents pour le compte de gangsters. Un jour, il décroche le poste de manager des opérations commerciales du puissant groupe TQ, avec l’intention d’évader un maximum d’argent pour quitter le pays. Mais lorsqu’il prend conscience de l’ampleur de la corruption qui règne dans la compagnie, il se surprend à s’impliquer dans les luttes des employés. Il gagne ainsi la confiance des membres de son équipe, notamment de sa subordonnée directe Yoon Ha Geong (Nam Sang Mi) et du manager général Choo Nam Ho (Kim Won Hae). Seong Ryong rencontre cependant un adversaire redoutable en la personne du jeune directeur financier Seo Yul (Lee Junho), véritable bras armé du CEO Park Hyung Do (Park Young Gyu).
Chief Kim (ou Good Manager) s’inscrit dans la tendance de ces dramas coréens progressistes consacrés au monde du travail, lancée grâce au succès de Misaeng en 2014. Producer, Drinking Solo ou les tout récents Introverted Boss et Radiant Office en sont des exemples. Diffusé sur KBS2 entre janvier et mars 2017, Chief Kim est celui qui a rencontré le plus grand succès cette année dans le genre, avec pas moins de 15,6% de parts d’audience. L’engouement du public coréen pour ce drama irrévérencieux est largement justifié.
A la lecture du pitch de Chief Kim, ce sont aussi quelques titres de mangas/dramas japonais qui jaillissent dans notre esprit, comme Gokusen, Great Teacher Onizuka, ou encore le drama My Boss, My Hero, adapté du film coréen éponyme. Ces œuvres cultes ont en commun de projeter un protagoniste issu du monde de la délinquance à l’intérieur d’une institution dont il va aider à révéler les dysfonctionnements.
L’idée est que le délinquant étant par définition un individu qui ne respecte pas les règles, il n’est pas entravé de la même façon que les personnes en détresse qu’il côtoie. Si le héros de Chief Kim ne fait pas usage de ses poings, il est habitué à nager en eaux troubles et ne se laisse pas impressionner facilement. Des atouts majeurs face à la délinquance en col blanc…
Et il est vrai que l’univers dépeint dans Chief Kim n’a pas grand chose à envier au monde mafieux. Comme celui-ci, c’est un univers de violence où tous les coups sont permis, même les plus tordus. Quiconque se risque à contester les ordres des chefs ou à émettre une critique sur le fonctionnement de l’entreprise doit s’attendre à faire l’objet d’intimidation, voire de coercition.
Les péripéties vécues par Seong Ryong et ses collègues ne semblent extrêmes que parce qu’elles s’ajoutent les unes aux autres dans la continuité d’un scénario : prises séparément, elles sont pour la plupart tristement réalistes.
On salue à ce propos le travail de documentation admirable auquel s’est livré le scénariste Park Jae Bum. Ses précédents dramas incluent la série des God’s Quiz ainsi que Blood, ce faux drama de vampires qui narre la conquête d’un hôpital par un tyran. Avec Chief Kim, il nous livre son scénario le plus abouti et le plus passionnant, un travail remarquablement mis en valeur par la mise en scène fluide et percutante de Lee Jae Hoon.
Pour notre plus grand plaisir, Park décortique avec une précision implacable les jeux de pouvoirs à l’œuvre au sommet d’une grande entreprise. En faisant du service comptable le prisme à travers lequel sont appréhendés les enjeux dramatiques, il dresse un tableau pragmatique de la corruption ordinaire, ces falsifications discrètes mais nombreuses dont les répercussions se font ressentir à tous les niveaux de l’échelle hiérarchique.
Le ton de Chief Kim est badin, à l’image de son héros, mais le fond est parfois très dur. L’humour s’avère parfois être la carte imparable lorsque l’on cherche à dénoncer les situations les plus délicates.
L’intrigue réserve ainsi son lot de moments émouvants, comme lorsque Kim Seong Ryong se joint aux syndicalistes en colère et revêt leur blouson rouge en signe de solidarité, alors que ceux-ci sont menacés par la direction de TQ. Chief Kim ne traite pas de la lutte syndicale d’une façon exhaustive comme le remarquable Awl, mais il en fait un thème d’arrière-plan important dans son intrigue, les négociations menées par la Direction Financière avec les Chinois se déroulant sur fond de contestations. De la même façon, notre héros se bat aux côtés des jeunes en contrat précaire, que la société « oublie » de payer.
Chief Kim aborde des situations encore moins visibles, qui ne font que rarement l’objet de dénonciations publiques, comme la mise « au placard » de Kim Seong Ryong, incontestablement l’un des arcs les plus saisissants du drama. Toute personne ayant été un jour témoin impuissant du quotidien d’un salarié placardisé ne peut qu’être touché par cet arc. Comme le protagoniste du drama, on a en effet du mal à croire qu’il soit possible d’humilier ainsi un employé, en ne lui donnant aucun travail et en interdisant à quiconque de lui adresser la parole. La rébellion de Seong Ryong est à la fois hilarante et cathartique face à tant de cruauté.
Présent sur tous les fronts, remonté contre toutes les injustices rencontrées en entreprise, le protagoniste principal de Chief Kim et un peu le super-héros que l’on rêverait de voir débarquer dans notre service.
Décontracté, énergique et facétieux, Namgoong Min investit le drama de sa présence incroyable, avec cette touche familière qui le rend immédiatement sympathique. Il est génial dans la peau du héros trublion capable de rendre fous les plus mauvais bougres. Il était fascinant en tueur en série intello dans Sensory Couple, puis tout aussi crédible l’année dernière dans Doctors en brave père de famille éploré. Sa versatilité est impressionnante, son talent comique irrésistible. Nul doute que ce rôle lui vaudra des prix d’interprétation.
Comme tous les dramas coréens de qualité, Chief Kim est un repaire d’excellents acteurs, qui tous se trouvent parfaitement à leur place. Depuis Gunman in Joseon, on n’avait pas vu l’actrice Nam Sang Mi à l’écran et c’est une joie de la retrouver dans un rôle qui semble fait sur mesure pour elle. Très à l’aise dans les univers contemporains, elle apporte à Ha Gyeong un mélange d’impertinence, de sagesse et de malice qui fait des étincelles dans ses scènes avec Namgoong Min ou Lee Junho.
Justement, parlons de Lee Junho. Membre du groupe 2PM, il n’a que quelques rôles à son actif (le film Twenty est le plus significatif d’entre eux) et pourtant il s’impose comme la sensation de Chief Kim. Se livrant à une composition d’acteur sophistiquée, il fait de Seo Yul un bad guy mémorable, pensé dans les moindres détails (les tics, les attitudes, la voix), qui dévoile ses nuances au fur et à mesure que l’on avance dans l’intrigue. L’alchimie de Lee Junho avec Namgoong Min est un pur régal.
Parmi les figures incontournables de Chief Kim, il y a bien sûr Kim Won Hae, dont la carrière semble connaître un second souffle ces temps-ci avec plusieurs prestations brillantes (Signal, Drinking Solo, Hwarang ou encore Strong Woman Do Bong Soon). Son interprétation de Choo Nam Ho, ce petit chef gentil et un peu bougon, sonne plus vrai que nature. On ne compte plus les fois où on a envie de le prendre dans nos bras, comme Seong Ryong. Un grand acteur.
Citons aussi ce jeune acteur du nom de Dong Ha (Suspicious Partner), absolument désopilant dans la peau d’un gosse de riche capricieux et attachant. On retient aussi le regard féroce de Seo Jung Yeon (Defendant) en Directrice des Ressources Humaines sans scrupule, l’ironie de Hwang Young Hee (Wanted) en femme de ménage un peu allumée, l’enthousiasme de la lumineuse Jung Hye Seong (Moonlight Drawn by Clouds) ou encore les maladresses du nouveau venu Kim Seon Ho en nerd benêt.
Nous avons évoqué sur ce site le fait que les webtoons soient devenus une source d’inspiration incontournable pour les dramas coréens. Le cas de Chief Kim est atypique puisqu’il s’agit à l’inverse d’un drama original utilisant le webtoon comme outil à l’écran. La trouvaille du drama consiste à conclure chaque épisode par une série de cases animées tournant en dérision les plans marquants de la dernière scène. Ces dessins sont réalisés par un véritable artiste de webtoon, Yang Kyung Soo.
A l’issue de la diffusion du drama, KBS media annonçait, pour le plus grand bonheur des fans, que ces illustrations seraient réunies dans un recueil.
Au-delà de la critique acerbe du monde de l’entreprise, Chief Kim rend un vrai hommage aux employés anonymes qui vont chaque jour au travail sans en attendre aucune reconnaissance, côtoyant les mêmes collègues pour le meilleur ou pour le pire, espérant une promotion, ou à l’inverse craignant de perdre leur poste.
Il est regrettable que l’on ne soit pas capable en France de parler du monde du travail à travers une série télévisée avec autant de sérieux, de verve et d’humanité que les Coréens le font dans les dramas cités en introduction de cet article. La souffrance au travail est pourtant un thème d’actualité récurrent, les vagues de suicide une réalité récente.
Une vraie série prenant pour cadre l’entreprise, loin des représentations creuses et caricaturales auxquelles nous ont habitués les sitcoms quotidiens ; une vraie série dans la veine de Chief Kim, donc, ne serait-elle pas accueillie à bras ouverts par le public français ?
Caroline Leroy
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