Namgoong Min et Ahn Eun Jin sont les héros romantiques de My Dearest, un sageuk haut de gamme dans lequel le romanesque s’entrechoque avec le réalisme de la guerre, et qui rend un hommage vibrant à la résilience du peuple coréen. Découvrez notre critique.
C’était la série en costumes à ne pas manquer fin 2024 sur Netflix. Ecrit par Hwang Jin Young (The Rebel) et réalisé par Kim Sung Yong (The Veil), My Dearest a d’abord fait l’objet, avant d’arriver sur la plateforme américaine, d’une diffusion en deux parties entre le 4 août et le 18 novembre 2023 sur la chaîne coréenne MBC. Les ratings ont grimpé tout au long de la période (passant de 5,4 % à 12,4 %), conduisant la production à ajouter un 21ème épisode. La série a obtenu de nombreuses récompenses, dont le prestigieux Baeksang Arts Awards du meilleur drama et celui du meilleur acteur pour Namgoong Min. Un succès amplement mérité : avec son intrigue romanesque sur fond d’invasion étrangère, My Dearest séduit par sa réalisation inspirée, son casting épatant et ses thèmes de fond universels.
Printemps 1636. Dans un village de Joseon, Yoo Gil Chae (Ahn Eun Jin), une ravissante jeune femme issue de la noblesse, cherche un bon parti. Tandis que tous les hommes en âge de se marier sont à ses pieds, elle a une obsession pour Yeon Joon (Lee Hak Joo), un lettré ambitieux. Mais celui-ci doit se marier avec Eun Ae (Lee Da In), la meilleure amie de Gil Chae. C’est alors qu’un homme mystérieux du nom de Lee Jang Hyun (Namgoong Min) fait son apparition du jour au lendemain dans la haute société. Soupçonné d’être un faux noble, ce dont il se fiche éperdument, il déclare très vite sa flamme à Gil Chae, mais celle-ci rejette sans détour ses avances. Bientôt, une rumeur glaçante parvient au village : l’armée des Qing est sur le point de débarquer dans la région.
My Dearest nous emmène dans une période critique de l’Histoire de Corée, alors que le pays subit alors les répercussions d’un changement politique majeur qui a lieu en Chine. Là-bas, les Qing sont sur le point d’écraser les Ming et de fonder une nouvelle dynastie sous le contrôle du chef militaire Huang Taiji (Kim Joon Won). Ce dernier conduit une armée de 120 000 hommes à Joseon pour assiéger le château où réside le roi Injo (Kim Jong Tae).
Dès les dix premières minutes, My Dearest en impose par sa direction artistique détaillée et les grands angles somptueux sur les paysages de Corée. La scène prémonitoire de la plage, qui dévoile Lee Jang Hyun cerné par des dizaines d’hommes, est d’une beauté et d’une ampleur saisissantes, en plus d’introduire un suspense sur les événements ayant conduit à cette situation désespérée.
Epaulé par la photographie de Kim Hwan Young (The Red Sleeve) et Kim Dae Hyun, qui vient nous flatter la rétine à chaque plan avec ses lumières léchées, le réalisateur Kim Sung Yong filme chaque décor avec le même soin, des salles royales plongées dans l’obscurité à la maison bourgeoise de Gil Chae, en passant par les maisons modestes des paysans ou les cachots crasseux du palais. Pour ses qualités formelles dignes d’une œuvre cinématographique, My Dearest est un drama du même calibre que My country: The New Age. Si l’époque abordée est différente, il a d’autres points communs avec ce dernier, comme de s’éloigner des intrigues de palais si chères aux sageuk pour capter la situation politique du pays à un moment clé de son histoire.
Comme dans un rêve, Jang Hyun a le coup de foudre lorsqu’il aperçoit pour la première fois Gil Chae, alors qu’elle profite du grand air sur une balançoire devant un groupe d’admirateurs. La scène pourrait être vue comme une relecture de la rencontre des deux amoureux dans la pièce de pansori Le Chant de Chunhyang. Mais du côté de Gil Chae, le sentiment est loin d’être partagé – du moins en apparence. Il faut dire que tout oppose ces deux jeunes gens : Jang Hyun est un homme libre à la réputation de séducteur et qui ne croit pas au mariage ; Gil Chae est une enfant gâtée dont la seule ambition est le mariage.
D’autres personnages gravitent autour d’eux : outre Yeon Joon et Eun Ae, il y a aussi Ryang Eum (Kim Yong Woo), chanteur de pansori et ami proche de Jang Hyun, ainsi que les domestiques Jong Jong (Park Jung Yeon) et Goo Jam (Park Kang Sub), ou encore Goo Won Moo (Ji Seung Hyun), un fonctionnaire qui a des vues sur Gil Chae. En deux épisodes, My Dearest tisse les liens entre les hommes et les femmes insouciants qui peuplent le village pour forger un univers social riche et vivant, ce qui conférera aux événements tragiques à venir un impact émotionnel d’autant plus grand. Du jour au lendemain, cet univers bascule : les jeunes hommes doivent partir à la guerre, tandis que le reste de la population doit tout abandonner pour prendre la fuite.
Forte d’une intrigue riche en rebondissements, la série utilise les codes du mélodrame (amour contrarié par des forces extérieures, scènes émotionnelles exacerbées) pour emporter le cœur du spectateur, tout en dépeignant avec réalisme la violence du contexte. La mise en scène oscille entre lyrisme et dureté sans exagérer les changements de ton, en gardant constamment le focus sur ses personnages. Le drama délivre également des scènes d’action intense qui raviront les amateurs de combats à l’épée.
A travers les destins individuels et communs des protagonistes, My Dearest dévoile les horreurs commises à cette époque par les Qing sur la population de Joseon. Meurtre des personnes âgées, esclavage sexuel des femmes, vente des paysans, rien ne nous est épargné. Les scènes révoltantes au cours desquelles les otages libérés se font tirer dans le dos à l’arc à flèche par des cavaliers chinois symbolisent l’écrasement d’un peuple par un autre.
L’invasion se déroule sous le regard impuissant du roi Injo, dont l’incapacité à prendre des décisions et à faire preuve de courage politique a des répercussions dramatiques sur le peuple – une invasion se produit généralement quand le pouvoir en place est faible.
Le drama montre également la manière dont la société de Joseon est profondément chamboulée par cette agression coloniale. Toutes les couches sociales sont touchées, des paysans les plus pauvres, qui perdent entièrement le contrôle de leur destin, au jeune prince héritier, qui se trouve pris en otage avec sa famille.
Le récit se concentre aussi sur la manière dont les rapports hommes/femmes sont bouleversés et révèle une dure réalité universelle : lorsque les hommes d’un peuple sont humiliés, les valeurs patriarcales se durcissent et les femmes sont vouées à encaisser un cruel retour de bâton venant parfois de leur propre famille.
Malgré les situations douloureuses auxquelles les personnages sont confrontés, les conduisant parfois à faire des choix contestables, My Dearest est loin de délivrer un message pessimiste. Au-delà des souffrances inouïes d’un peuple, le drama met l’emphase sur la résilience du peuple coréen à travers des liens de solidarité qui se solidifient, faisant parfois naître des amitiés improbables et touchantes (une femme qui vient de perdre son enfant et un homme bourru qui peine à s’occuper du sien, par exemple). L’espoir et la volonté de chacun de protéger ses proches fait avancer ces hommes et ces femmes dont les valeurs s’affirment au fil des événements.
Tout au long de l’histoire, Jang Hyun et Gil Chae se séparent, se cherchent et se retrouvent pour se séparer encore, un va-et-vient d’abord chargé de malentendus, et qui se mue peu à peu en un amour profond. Cette intrigue romantique, qui sert de fil directeur à la série et qui s’inspire ouvertement de la romance d’Autant en emporte le vent, est portée par deux magnifiques acteurs.
Avec son regard perçant, Namgoong Min (Pour un dollar) a toujours brillé par son incroyable présence à l’écran, mais il se surpasse dans le rôle de Lee Jang Hyun, auquel il apporte une pudeur émotionnelle teintée de mélancolie et agrémentée d’une pointe d’humour détaché. Son personnage, dont les idées avant-gardistes lui valent d’être mal jugé, montre une persévérance admirable dans son amour, mais aussi une loyauté sans faille envers son peuple, quitte à manipuler Gak Hwa (Lee Chung Ah), la fille de Huang Taiji qui veut en faire son esclave.
Le personnage de Jang Hyun est aussi l’occasion de découvrir le rôle de ces interprètes en langue mandchoue délégués par le palais de Joseon. Côtoyant les classes dirigeantes des deux pays, ils exerçaient véritablement une fonction de médiateurs, ce qui leur conférait une influence politique. Namgoong Min a appris pour l’occasion le dialecte mandchou de l’époque, à l’instar des acteurs qui interprètent les Chinois.
Quant à Ahn Eun Jin (Une mauvaise mère ?), elle est éblouissante dans le rôle de Gil Chae – son plus grand à ce jour. Elle est de ces actrices au jeu ultrasensible et au regard sincère, capable de se mettre entièrement au service de leur personnage. Dans My Dearest, elle incarne avec conviction cette jeune fille ingénue et capricieuse, qui mûrit à la faveur des événements pour se découvrir des ressources insoupçonnées. Gil Chae révèle un courage étonnant, une fibre de leader et une affection inébranlable envers ses proches, tout en gardant ce côté un peu buté qui la rend imparfaite et attendrissante. La maturation du personnage s’annonce dès la course-poursuite qui clôture l’épisode 3, une scène d’action intense où elle échappe de justesse à l’ennemi avec un bébé dans les bras.
Le scénario a le bon goût de ne pas compromettre son héroïne dans des rivalités féminines clichées auxquelles les séries romantiques nous ont (un peu trop) habitués. L’amitié très forte qui relie Gil Chae à son amie Eun Ae, interprétée avec grâce par Lee Da In (Alice), et son adorable domestique Jong Jong, jouée par Park Jung Yeon (Daily Dose of Sunshine), joue un rôle clé dans leur survie. Le drama met également l’emphase sur la solidarité entre femmes face aux agressions de l’ennemi, mais aussi au manque d’empathie de leurs compatriotes masculins, qui se traduit par des injonctions impitoyables – comme de se suicider si un ennemi les a touchées. Gil Chae entrera en rivalité amoureuse avec des personnages plus inattendus, et dont nous vous laissons découvrir l’identité.
On aime aussi les performances de Lee Chung Ah (Pour un dollar), ambivalente en princesse chinoise narcissique qui souffre de sa solitude, et Lee Hak Joo (Shadow Detective), parfait en homme ordinaire empêtré dans ses principes conventionnels. Kim Yoon Woo (Delightfully Deceitful) exprime quant à lui avec sensibilité la complexité et les conflits intérieurs de Ryang Eum. On est également touché par Kim Mu Jun (Love All Play) en prince héritier sincère envers son peuple, et Jeon Hye Won (Under the Queen’s Umbrella), son épouse qui surprend par ses ressources inattendues. Enfin, citons également Kim Jong Tae (The Tale of Lady Ok), effrayant en roi qui sombre dans la paranoïa, et Ji Seung Hyun (Good Partner), impeccable en homme bien sous tout rapport, mais qui s’avère lâche et égoïste.
My Dearest laisse une empreinte émotionnelle durable et plein de belles images dans la tête. Pour la France, le drama est disponible sur Netflix, sur Viki et Kocowa+. Pour rappel, My Dearest faisait partie de notre Top 15 des meilleures séries de 2023 et Ahn Eun Jin était notre actrice de l’année dans les StellarSis Awards 2024.
Elodie Leroy
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