Critique : On Children, entre technologies et pression scolaire à Taïwan

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Disponible sur Netflix, cette anthologie taïwanaise imagine un monde où la pression scolaire est servie par des technologies futuristes. Effrayant.

La sortie de ce drama singulier a fait grand bruit à Taïwan. Créé par Chen Wei Ling, On Children se définit comme une anthologie de science-fiction, dans laquelle des mères accèdent à des technologies leur permettant de contrôler la vie de leur enfant. En cinq histoires indépendantes les unes des autres, On Children ausculte la société taïwanaise à travers des relations mère-enfant toxiques, placées sous le signe de l’obsession de la réussite école et la compétition sociale.

Le drama taiwanais On Children

Le concept de ‘Black Mirror’ revisité

Avant d’entrer dans le détail des épisodes, le principe d’une anthologie SF avec des technologies futuristes vous rappelle-t-il quelque chose ? Oui, On Children s’inspire bel et bien de l’excellente série britannique Black Mirror. Le titre On Children n’a cependant pas été choisi au hasard. Si Black Mirror partait de la course aux nouvelles technologies pour imaginer leur impact catastrophique sur les relations sociales et humaines, le drama taïwanais fait le cheminement inverse : il part d’un constat terrible sur les relations familiales et exacerbe les tensions à travers l’utilisation de pouvoirs ou de technologies insensés. On Children est un drama plus psychologique que Black Mirror.

En cinq épisodes, Black Mirror explore de diverses manières les thèmes de la maternité, de la famille et de la pression sociale en dressant les portraits tourmentés de plusieurs adolescents et de leur mère. Toutes plus tordues les unes que les autres, les histoires abordent sans détour des sujets sensibles tels que le suicide et la dépression chez les jeunes.

Le thème moteur de la série est parfaitement illustré par le logo qui précède chaque épisode : un fœtus dont la tête est soudainement creusée par le profil d’une femme, tandis qu’un cadenas apparaît sur les mains.

Ep. 1 : « La Télécommande de ma Mère »

Le premier épisode, La Télécommande de ma Mère, est celui qui renvoie le plus à Black Mirror. On peut même y voir un hommage à Ark Angel, l’épisode 2 de la saison 4 réalisé par Jodie Foster. Cet opus pose une question terrifiante : que se passe-t-il quand une mère abusive se voit confier un superpouvoir lui permettant de contrôler la vie de son fils ? Sans trop en dévoiler (je vous laisse découvrir la nature du pouvoir offert par la télécommande !), le garçon se retrouve vite englouti dans les obsessions narcissiques de sa mère, qui risquent à terme de le précipiter vers un anéantissement de sa personne.

La spirale infernale de cette relation mère-fils déviante est servie par une écriture habile et une réalisation classieuse, qui nous impliquent émotionnellement dans le vécu de l’adolescent. Ce dernier est interprété par un jeune acteur très expressif, Liu Tzu Chuan. Dans le rôle de la mère, Ko Su Yun fait littéralement froid dans le dos.

L’épisode réserve quelques moments lumineux et poétiques lorsque le garçon parvient à déjouer les pièges de la tyrannie maternelle et s’évade avec l’une de ses camarades de classe, mais le ton demeure très pessimiste. La Télécommande de la Mère est un épisode à la fois angoissant et émouvant, qui trouve le juste équilibre entre la noirceur, le drame et les moments d’innocence, et qui pose les bases des épisodes qui suivent.

Ep. 2 : « L’Enfant du Chat »

L’espoir est peut-être ce qui manque un peu à l’épisode 2, L’Enfant du Chat, dans lequel un garçon issu d’un milieu extrêmement pauvre évolue dans un climat familial délétère, avec une mère obsédée par sa réussite à l’école et un père violent.

Après avoir trouvé une boîte remplie de chatons et écouté l’histoire surréaliste d’une camarade de classe, qui prétend avoir trouvé une solution miracle pour obtenir de bonnes notes, il bascule mentalement dans une sorte de dimension parallèle qui le pousse à commettre des actes horribles.

Entre misère sociale, violence adolescente et relation mère-fils étouffante (l’actrice Chung Xin Ling est assez incroyable !), cet épisode est tellement noir qu’il laisse le spectateur un peu anéanti. La lumière point tout de même dans le final, à la fois surréaliste et émouvant, qui ne laissera pas insensibles les amoureux des chats.

Ep. 3 : « Le Dernier Jour de Molly »

Dans Le Dernier Jour de Molly, une mère accepte de participer à une expérimentation sur une technologie qui lui permet de replonger dans la mémoire de sa fille suicidée. Elle devient vite accro à ces souvenirs tourmentés et tente de comprendre les raisons de l’acte désespéré de sa fille. Elle continue pourtant de vivre dans un véritable déni de réalité sur sa part de responsabilité dans cet acte extrême.

Cet épisode aurait gagné à être écourté de quelques minutes, mais s’avère être l’un des plus forts sur le plan émotionnel. La prestation d’actrice d’Ivy Yin est monumentale dans le rôle de cette mère tyrannique, qui exerce une violence psychologique inouïe sur ses deux filles, tout en étant persuadée d’agir pour leur bien. Malgré le tempérament exécrable de cette mère, nous sortons tout de même bouleversés par son cheminement intérieur.

Ep. 4 : « Le Paon »

Après les larmes versées dans l’épisode 3, l’opus suivant nous offre un moment de détente bien que l’histoire soit une fois encore lourde de sens. Dans Le Paon, une jeune fille pauvre fait sa scolarité dans une école pour gosses de riches et rêve d’être comme ses camarades de classe. Pour réaliser ses désirs, elle fait un pacte avec l’étrange animal qui habite l’école : un paon qui parle. Le prix à payer sera plus élevé qu’elle ne peut l’imaginer.

Cette histoire faustienne est abordée avec beaucoup d’humour et de vivacité par un réalisateur dont le regard empreint de dérision n’est pas sans rappeler celui d’un Jean-Pierre Jeunet. Pourtant, si les personnages sont pittoresques, la relation mère-fille est une fois de plus placée sous le signe de la négation du libre arbitre des enfants. Le jeu démoniaque mené par le paon s’emballe au fur et à mesure de l’épisode, qui se révèle franchement ludique bien que cauchemardesque.

Ep. 5 : « Cher Trouble de l’Attention »

Dernier épisode de la série, Cher Trouble de l’Attention nous emmène dans un monde dystopique, dans lequel les mères sont notées en fonction des résultats de leurs enfants – le pitch exprime bien la source des angoisses des mères des épisodes précédents. Ainsi, lorsque la petite Ruo-Wa se retrouve prise dans une spirale d’échec à l’école, la condition sociale de sa mère menace de se dégrader vertigineusement. Bientôt, la jeune fille réalisera la véritable nature de sa condition.

Dans ce monde qui ne laisse aucun espace à la différence et à l’individualité, les enfants sont désignés par le terme « embryon », ce qui en dit long sur la manière dont ils sont perçus par ces mères abusives : des êtres inaboutis qu’elles ne cesseront jamais de façonner selon leur bon vouloir. Dans Cher Trouble de l’Attention, l’amour maternel est conditionnel. L’épisode explicite également une idée développée dans les épisodes précédents : derrière un enfant sous pression, il y a une mère sous pression, une mère constamment jugée à travers les accomplissements de ses enfants. La mère de Ruo-Wa est cruelle, mais elle est le pur produit du monde qui l’entoure.

On remarquera que tous les enfants figurant dans la série apparaissent dans une séquence de cet épisode, évoluant librement dans une forêt…

Conclusion : l’Enfer dans les foyers

Si le système scolaire, qui entretient une compétition permanente, est pointé du doigt, il n’est pas véritablement au centre de la critique sociale. Les enfants n’ont même pas l’air de souffrir en présence de leurs professeurs ou à cause de leurs devoirs. L’enfer se trouve à la maison, dans les foyers, dans la relation mère-enfant.

Le véritable titre de On Children, « 你的孩子不是你的孩子 » (Ni de haizi bu shi ni de haizi), signifie « Votre enfant n’est pas votre enfant ». On Children soulève des questions fondamentales sur la parentalité : les enfants appartiennent-ils à leurs parents ? Jusqu’où un parent peut-il projeter ses propres ambitions sur ses enfants ? L’amour parental est-il conditionnel ? Dans La Télécommande de ma Mère, la terrifiante mère fait régulièrement répéter à son fils : « Tu ne dois pas décevoir maman ». Quand la satisfaction du narcissisme de la mère devient un devoir filial, l’enfant est réduit à néant dans son individualité. Dès lors, quelles sont ses chances de trouver sa place dans le monde ?

Certaines situations sont plus complexes. Ainsi, dans L’Enfant du Chat, la mère avoue qu’elle n’a jamais rien accompli dans sa vie et rêve que son enfant suive une autre voie. Toutefois, si l’enfant devient un moyen pour le parent de réparer ses propres blessures, comment va-t-il trouver sa propre voie ? Ce souhait légitime est également celui de la mère dans Le Paon, qui trime jour et nuit pour nourrir sa famille. Cette mère, qui n’est pas franchement antipathique, choisit sciemment de sacrifier les rêves de ses enfants sur l’autel de la réussite sociale et reste aveugle aux transformations de sa fille – des transformations surnaturelles qui peuvent être vues comme une allégorie de la puberté.

Qu’elles soient modestes ou bourgeoises, ces mères ont toutes un point commun : elles ne veulent rien pour elles-mêmes et sacrifient leur propre existence pour une chimère, c’est-à-dire pour leur conception de ce que doit être le bonheur de leur enfant. Incapables de se réaliser, elles vivent par procuration et imposent à leur enfant de combler leurs frustrations et de réparer leurs failles narcissiques. Selon les épisodes, les pères sont absents ou effacés, et participent par leur passivité à cette mécanique infernale. L’un d’entre eux adressera tout de même à sa fille la parole la plus simple, la plus sage et la plus affectueuse de tout le drama : « Je veux juste que tu ailles bien. »

Finissons par un mot sur le générique de fin, porté par la douce voix de Waa Wei (qui joue la psy dans l’épisode 3 !) sur le titre Don’t Cry Don’t Cry, qui agit comme une potion de guérison à la fin de chaque épisode.

Elodie Leroy

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