Le drama When The Devil Calls Your Name promettait une intrigue diabolique, mais vire peu à peu à la douche froide. Découvrez pourquoi dans notre critique sans concession.
Les démons sont à la mode dans les séries TV coréennes, mais ils ne sont pas toujours très inspirés ! Diffusé sur tvN du 31 juillet au 19 septembre 2019 et pourvu d’un casting intéressant emmené par Jung Kyung Ho, When The Devil Calls Your Name s’inspire du célèbre conte de Faust et plante son décor dans l’industrie du disque. Si les premiers épisodes laissaient présager d’une série originale et divertissante, le drama se perd en route et s’enlise peu à peu dans les limbes de la mièvrerie. La faute à un scénario qui n’assume pas son idée de départ.
Synopsis : Auteur-compositeur influent, Ha Rip (Jung Kyung Ho) a signé un pacte avec le Diable pour obtenir l’argent, le succès et l’éternelle jeunesse. Auparavant, il était Seo Dong Cheon, un loser irresponsable qui fut membre d’un groupe tombé dans les oubliettes. Depuis la signature du contrat, la chance sourit à Ha Rip. Le seul problème est que son contrat arrive à échéance. Il obtient une extension à une condition : amener une âme pure à son créancier. Il rencontre Yi Kyung (Lee Seol), une jeune artiste talentueuse dont il s’avère avoir plagié l’œuvre sans le savoir.
Quand le Diable chante faux
Nous ne reviendrons pas sur notre avis à chaud : le premier tiers de la série accumule les bons points. S’autorisant des clins d’œil au chef-d’œuvre du cinéma Phantom of the Paradise de Brian de Palma, auquel il emprunte le concept et plusieurs idées de scènes (Ha Rip parlant à son reflet dans le miroir, Yi Kyung improvisant sa première prestation scénique, etc.), le drama When The Devil Calls Your Name amorce une satire amusante de l’industrie du disque. Entre les compositeurs-vedettes qui plagient les auteurs inconnus et les idoles décervelées en quête de sponsors, le tableau de la K-pop n’est guère flatteur.
Le ton entretient une ambiguïté entre la comédie et la noirceur, notamment dans les face-à-face entre Ha Rip et le diable. Ce dernier a pris les traits de Mo Tae Kang, un acteur à succès connu pour ses rôles de psychopathes.
Si la collaboration de Jung Kyung Ho et Park Sung Woong avait fait des étincelles dans Life On Mars. Park Sung Woong vole la vedette à Jung Kyung Ho dans When The Devil Calls Your Name. Son rôle fait un clin d’œil amusant à son personnage de Man To Man, où il campait déjà un acteur mégalo. Il fait ici un diable à la fois inquiétant et séducteur, mais aussi étonnamment drôle lorsqu’il ne parvient pas à aligner deux notes justes en chantant, ou qu’il est confronté aux états d’âme désordonnés de Seo Young (Lee El), l’ex de Mo Tae Kang – une romance rigolote à double tranchant, comme nous le verrons.
Les scènes où nous découvrons ses actions démoniaques réservent quelques moments plutôt funs, notamment lorsque défilent à l’écran une série de personnages lambdas révélant leur visage le plus vil. Ces candidats à la signature d’un pacte sont interprétés par des guest stars, parmi lesquels nous reconnaitrons Lee Jung Eun (Parasite), Lee Han Wi (Psychopath Diary) ou encore l’humoriste Lee Guk Joo (Comedy Big League).
En parallèle, nous découvrons l’histoire triste de Yi Kyung (Lee Seol), jeune chanteuse et autrice dont le parcours est entravé par une situation sociale difficile et une famille toxique qui lui interdit d’être heureuse. A travers son histoire, qui constitue presque un mini-drama dans le drama, les thèmes de la violence domestique et de l’emprise familiale sont abordés avec sensibilité et justesse. Lee Seol (Less Than Evil) se révèle aussi convaincante dans ce registre réaliste que dans les scènes où elle incarne l’innocence face à la corruption de Ha Rip.
Ajoutons que les titres interprétés de Yi Kyung, qui sont en réalité chantés par Sondia, raviront les amateurs de musique pop-rock.
Pendant la première moitié de la série, ce cocktail improbable de comédie noire, de drame social et de satire de la K-pop confère à When The Devil Calls Your Name une originalité et un charme indéniables.
Les choses se gâtent dès lors que l’histoire tente d’insuffler de l’humanité à son personnage principal. La série change alors de ton pour s’orienter vers le mélodrame et le scénario entre dans une contradiction dont il ne se relèvera pas.
Pour rappel, Ha Rip a négocié quelques années de gloire supplémentaires en échange d’une âme, ce qui en fait un être cynique et égoïste. Or dès le deuxième tiers de la série, le scénario fait tout, mais absolument tout, pour nous faire croire que Ha Rip est en réalité un brave type qui n’a simplement pas eu de chance.
Pour ce faire, la scénariste No Hye Young (Come Back Mister) commet un péché irréparable : nous servir une intrigue usée jusqu’à la moelle à propos d’un enfant malade une dizaine d’années plus tôt. Comme par hasard, ce fils surprise réapparaît dans le quotidien de Ha Rip – il est interprété par Song Kang (Love Alarm), complètement sous-employé dans le drama. Toujours comme par hasard, il doit la vie à Ha Rip, ce père qu’il n’a jamais connu et qui se fichait bien de son existence jusqu’à présent.
Vous l’aurez compris, notre Ha Rip sort glorifié de cette affaire, voire auréolé de la plus admirable des qualités : la capacité à se sacrifier pour les autres. Pour un homme prêt à vendre l’âme de quelqu’un d’autre au Diable, c’est tout de même un comble !
Cette humanité soudainement acquise n’empêche pas notre héros de se montrer odieux avec tous les personnages de la série, qu’il s’agisse de Yi Kyung, qu’il traite le plus souvent comme une moins que rien, ou de Kang Ha (Oh Eui Sik), l’homme amnésique qu’il a recueilli quelques années plus tôt. On se demande même pourquoi Luka, le fameux fils malade au sourire angélique, s’acharne à vouloir faire sa connaissance.
Malgré tous les efforts de cabotinage déployé par Jung Kyung Ho pour nous le rendre sympathique, Ha Rip devient très vite insupportable à force de nombrilisme et de gesticulations. Sans même qu’on l’ait vu venir, le drama glisse de la comédie décalée vers la mièvrerie à côté de la plaque, faisant perdre aux personnages tout leur capital de sympathie.
Ce qui est sûr, c’est que la scénariste Noh n’a rien compris au conte de Faust ni à tous ses dérivés, dans lesquels le pacte avec le Diable symbolise un point de non-retour, ce moment où la nature humaine est tellement corrompue qu’aucune rédemption n’est possible. Au lieu de cultiver la noirceur de son personnage principal, elle transfère la charge du Mal vers Yi Kyung, qui obtient en cours de route une étrange promotion en devenant la méchante de la série.
Le pire reste à venir. Non seulement le drama devient de plus en plus soporifique à chaque épisode, donnant au spectateur le sentiment d’avoir sombré dans un véritable purgatoire d’ennui, mais le grotesque vient bientôt pointer le bout de sa queue, tel un Diable farceur dans une série Z.
La vie rêvée des anges
Le basculement s’opère lorsque la scénariste tente de retracer l’histoire du Diable et surtout de faire intervenir des messagers de dieu dans le monde des humains.
Qu’il s’agisse ou non d’une coïncidence, une autre série coréenne diffusée quelques mois auparavant ouvrait une porte vers le monde du divin, avec ses règles passablement totalitaires : Angel’s Last Mission: Love. Si le drama romantique de Shin Hye Sun maintenait une dose de mystère salutaire sur l’organisation des anges, When The Devil Calls Your Name se compromet dans des mises en scènes et des dialogues grand-guignol, immergeant la série dans le chaudron infernal du ridicule.
Prenant la forme d’agents psychorigides en costume blanc, les anges parviennent à se montrer encore plus antipathiques que Ha Rip – notre héros avait pourtant placé la barre très haut – et achèvent de décrédibiliser le drama et sa pseudo-histoire de rédemption.
Le Diable s’habille en Bisounours
Pour couronner le tout, le Diable n’est même pas aussi méchant que prévu. Certes, il exécute quelques gredins en cours de route et refuse de reconnaître Dieu comme son sauveur, mais que fait-il réellement dans cette histoire ? Pas grand-chose, mis à part rester vissé dans son fauteuil à se remémorer les moments où il a été troublé par la belle Seo Young.
Cette romance cocasse occasionne des moments amusants grâce au talent comique de Lee El (A Korean Odyssey), mais elle a aussi un effet pervers : le capital terreur du diable s’effondre comme un soufflet. L’affaire nous conduit à un constat inévitable : le Diable n’est finalement qu’un bisounours.
Le seul moment où Mo Tae Kang prend sa stature démoniaque, avec toute l’ironie et la cruauté que cela suppose, se trouve dans le récit du drame de son chauffeur, un homme perdu qui n’accepte pas la mort de sa fille. Cette petite sous-intrigue donne lieu à l’épisode le plus émouvant de la série – l’acteur Yoon Kyung Ho (Duel, Trap) apporte beaucoup d’humanité à ce rôle de père prêt à tout pour un instant de bonheur avec son enfant.
En résumé, malgré un premier arc réjouissant et quelques réussites périphériques, When The Devil Calls Your Name est l’exemple typique du drama coréen qui part d’une bonne idée, mais passe complètement à côté de son sujet.
Si seulement la scénariste avait assumé son choix de faire de son personnage principal un être abject, la série aurait eu un tout autre sens et aurait maintenu sa singularité jusqu’au bout. Elle nous aurait également épargné une éternité d’ennui. Le Diable n’est pas seulement dans les détails.
Elodie Leroy
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