Après Dernier Train Pour Busan, Yeon Sang-Ho poursuit sa trilogie de zombie avec Peninsula, un survival d’action nerveux et post-apocalyptique avec Gang Dong-Won.
Nous attendions de pied ferme ce Peninsula, qui a attiré près de 4 millions de spectateurs en Corée et qui entre forcément en résonance avec l’actualité, avec son univers plongé dans le chaos après un virus ultra contagieux. Sorti dans les françaises le 21 octobre 2020, Peninsula ne fera pas oublier Dernier Train Pour Busan, du même réalisateur, mais s’impose comme un divertissement à grand spectacle à prendre résolument au premier degré, afin de profiter au maximum de ses scènes d’action étourdissantes.
Escape From Incheon
Dans un futur proche, la Corée a été dévastée par un virus qui transforme les êtres humains en zombies. Une bande de soldats est envoyée dans la ville portuaire d’Incheon pour récupérer un camion rempli de billets. Tireur d’élite, Jeong Seok (Gang Dong Won) rejoint l’équipe avec son beau-frère qui ne s’est jamais remis de la mort de sa famille. Bientôt, le groupe est pris dans une embuscade.
Peninsula est le troisième opus d’une trilogie de zombies initiée par le réalisateur Yeon Sang Ho, et qui comprend déjà Seoul Station et Dernier Train Pour Busan, tous deux réalisés en 2016. Entre-temps, Yeon Sang Ho s’est essayé au film de superhéros avec Psychokinesis, a écrit le scénario de la série fantastique The Cursed et a signé le webtoon horrifique Hell, dont l’adaptation TV est en production. Autant dire que l’œuvre du monsieur fourmille de pépites susceptibles de passionner les amateurs de films de genre.
La bonne nouvelle est que Peninsula ne se contente pas de recycler les ingrédients de l’opus précédent. Alors que Dernier Train Pour Busan enfermait ses personnages avec des zombies dans un train en marche, Peninsula ouvre le cadre en grand pour révéler, dès les premières images, un décor post-apocalyptique visuellement chiadé. Nous sommes à Incheon, ville connue des voyageurs internationaux pour son aéroport, et qui n’est ici que dévastation et désolation.
De l’ambiance de Dernier Train Pour Busan, il reste surtout la marque de fabrique de Yeon Sang Ho, qui filme les attaques de zombies comme si les créatures formaient un seul et même organisme, à la manière des corps entassés dans le manga Spirale de Junji Ito. Les morts-vivants tiennent cependant une place secondaire dans le film Peninsula : les hommes représentent une menace bien plus dangereuse que les monstres.
Gang Dong Won en militaire au grand cœur
Au contraire du récent #Alive, qui s’affichait comme un pur film de zombies, Peninsula est surtout un film de science-fiction post-apocalyptique cochant scrupuleusement toutes les cases du genre. Un monde futuriste transformé en société primitive et violente, des gangsters sans foi ni loi, un combattant tourmenté, une femme prête à en découdre. Yeon Sang Ho glisse d’ailleurs sans complexe des références appuyées à quelques classiques de la SF comme Escape From New York et bien sûr la série des Mad Max.
Ce petit monde n’a donc rien de novateur, mais il a le mérite d’être interprété par un casting solide emmené par Gang Dong Won (Illang: la Brigade des Loups). L’acteur se montre très convaincant en militaire au grand cœur poursuivi par un sentiment de culpabilité, et dont le regard intense implique le spectateur de manière inconditionnelle dans ses péripéties.
La touche de modernité est apportée par des personnages féminins maîtres de leurs actions et de leurs choix. Dans un film hollywoodien, la jeune femme interprétée par Lee Jung Hyun (The Battleship Island) aurait certainement dû subir quelques maltraitances racoleuses avant d’être sauvée par le héros. Au contraire, Peninsula met en avant une héroïne d’action aussi endurcie au combat que maternelle avec ses deux filles, lesquelles apportent d’ailleurs une fraîcheur inattendue à l’univers très dark du film.
Des scènes d’action jubilatoires
Le motif du scénario est rudimentaire : les personnages doivent s’évader des entrailles de cette ville cauchemardesque. La simplicité presque enfantine de l’histoire est à la fois le point faible et le point fort de Peninsula. Elle en est le point faible, car les enjeux demeurent très manichéens et le temps s’étire parfois un peu en longueur dans les scènes avec les méchants, qui s’avèrent pour ainsi dire tous plus inintéressants les uns que les autres – quelques coupes auraient été les bienvenues.
Cependant, cette simplicité joue en faveur du divertissement très premier degré qu’est Peninsula, qui ne cherche pas midi à quatorze heures avec un propos politique fumeux et laisse tout le loisir à Yeon Sang Ho de miser sur des scènes d’action généreuses. Sur ce plan, ne bouderons pas notre plaisir.
A la manière de Mad Max: Fury Road de George Miller ou même, dans un style différent, du western Le Bon, la Brute et le Cinglé de Kim Jee Woon, la relative vacuité des enjeux prend tout son sens lorsque le film se mue en un gigantesque road movie à cent à l’heure sur fond de fusillade hystérique, à grand renfort d’effets numériques plutôt réussis et de mouvements de caméra immersifs.
L’attrait de la scène d’action frénétique qui occupe le dernier quart du film réside dans la manière dont la somme de tous les mouvements individuels forme un mouvement collectif qui se dirige implacablement d’un point A à un point B. Le décor chaotique de la métropole, l’utilisation des zombies comme éléments graphiques et le fait que certains protagonistes de la scène soient des enfants apportent également un charme particulier à cette impitoyable course-poursuite boostée à l’adrénaline. C’est bruyant, c’est bien entendu complétement exagéré et c’est finalement jubilatoire.
Peninsula : supplément d’émotion à la coréenne
Dans un film d’action aussi bourrin, et dont la cible internationale était claire dès le départ, il fallait oser introduire quelques touches de mélodrame à la coréenne. Yeon Sang Ho ne s’autocensure pas au nom de l’exportation, et nous l’en remercions.
Si ces effusions émotionnelles ne sont pas bien comprises par nos critiques de cinéma, encore surpris par la manière unique dont les productions coréennes fusionnent des genres a priori contradictoires, elles apportent un supplément d’humanité qui force la sympathie et contribue à affirmer l’identité culturelle du film – le mélo a longtemps prédominé dans le cinéma coréen.
Le film Peninsula souffre certes d’une écriture trop sommaire pour égaler son prédécesseur Dernier Train Pour Busan. Toutefois, du haut de ses 16 millions de dollars de budget, ce film d’action énergique et divertissant coiffe au poteau bon nombre de blockbusters américains à 230 millions de dollars de budget à la Avengers, dont l’action se résume bien souvent à une gigantesque casse en mode bouillie numérique menée par des personnages inexpressifs.
En ces périodes difficiles, un peu d’émotion ne fait pas de mal. Sans renoncer au divertissement hollywoodien, on aimerait avoir plus souvent le choix de s’éclater en salle avec des blockbusters plus humains comme Peninsula.
Elodie Leroy
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