Ce film d’action coréen avec Lee Je Hoon nous embarque dans une course-poursuite angoissante dans un monde dystopique. Stress garanti et c’est sur Netflix.
La Traque (Time to Hunt) repose sur un fil directeur d’une simplicité exemplaire : trois hommes sont pris en chasse par un tueur implacable. Pour son troisième long métrage, Yoon Sung Hyun (Bleak Night) signe un thriller haletant jusqu’à la dernière seconde, un de ces films dont le suspense vous saisit par les tripes et vous oblige à rester bien cramponné à votre siège. Servi par une réalisation et un montage percutants, La Traque doit aussi son intensité à la performance convaincante de Lee Je-Hoon (Signal).
Partie de chasse en milieu urbain
A sa sortie de prison, Jun Seok espère commencer une nouvelle vie. Mais il retrouve un monde plongé dans le chaos : les commerces ont fermé, les travailleurs sont en grève permanente et le Won n’a plus aucune valeur. Pour gagner de l’argent rapidement, il embarque ses partenaires de crime, Ki Hoon (Choi Woo Sik) et Jang Ho (Ahn Jae Hong), dans un plan insensé : braquer un casino détenu par des mafieux.
Persuadés que l’opération est un succès, Jun Seok et ses amis profitent tranquillement de leurs gains, mais leur bonne humeur est de courte durée. Bientôt, ils réalisent qu’un homme armé est lancé à leur trousses.
La Traque (Netflix) s’inscrit dans la veine d’un certain cinéma américain à suspense des années 70-80, dont les représentants s’appellent Duel (1971) de Stephen Spielberg ou Hitcher (1986) de Robert Harmon. Un cinéma hollywoodien dans lequel le spectaculaire ne reposait pas sur des explosions pyrotechniques, mais sur une tension grandissante et un propos souvent assez simple, allant droit au but.
Yoon Sung Hyun s’inspire de cet esprit pour construire la mécanique de La Traque, mais se l’approprie pour délivrer une œuvre personnelle, résolument coréenne dans son cadre narratif et son approche des personnages. La misère sociale est ainsi le moteur de l’histoire, le lien à la famille déterminant dans les décisions des protagonistes principaux et les liens d’amitié fraternels salvateurs face à la cruauté du monde.
Le plus inhabituel, pour un film coréen, est le choix des armes. Dans un pays où la circulation des armes à feu est très contrôlée, les thrillers montrent souvent des gangsters amateurs de combats à l’arme blanche, au cinéma comme à la télévision – les polars noirs d’OCN en témoignent tous les jours. Dans La Traque, l’affrontement se joue à coups de revolvers, de mitraillettes et de fusils à pompe. Le décor, quant à lui, est une succession de cités délabrées et surmontées d’un épais nuage de pollution.
Pris au piège dans la cité d’Incheon
La mise en scène de Yoon Sung Hyun est d’une efficacité redoutable, tant sur le plan du rythme que de la maîtrise visuelle. Pour donner vie à l’univers dystopique de La Traque, le réalisateur est épaulé par du directeur photo Im Won Geun, qui accomplit un superbe travail aussi bien pour éclairer les acteurs dans les moments d’intensité que pour saisir les décors industriels miteux dévastés par la pollution. La profondeur de champ est habilement utilisée pour conférer aux décors une ampleur écrasante – le film est tourné dans la ville portuaire d’Incheon, à l’ouest de Séoul.
Dans les scènes d’action, remarquablement écrites et découpées, Yoon Sung Hyun évite un écueil des thrillers du cinéma coréen actuel, celui de surcharger le film de violence graphique pour impressionner la galerie. La violence psychologique induite par la conscience d’être une proie suffit amplement à faire trembler.
Ne recourant à aucune facilité de mise en scène (exit les effets de sursaut hollywoodiens), La Traque donne la part belle aux montées de tension angoissantes et travaille son atmosphère – les lumières rouges annonçant l’arrivée de l’ennemi, le son brusque des coups de feu, la sidération des victimes… Même dans les scènes dialoguées précédant la prise en chasse de Jun Seok, Ki Hoon et Jang Ho, la caméra tourne autour des trois hommes débonnaires, comme pour suggérer qu’ils sont déjà pris au piège.
Une jeunesse sans espoir
A la manière des psychopathes de Duel et de Hitcher, le tueur de La Traque s’impose comme un personnage allégorique, presque surnaturel. Si son visage nous est révélé au bout de quelques séquences, l’ennemi prend souvent la forme d’une silhouette armée au fond de l’écran ou tapie dans l’ombre, histoire que ses proies aient la peur au ventre avant d’être pourchassées ou exécutées.
« Où que vous ailliez, vous ne m’échapperez pas », annonce l’inconnu à Jun Seok peu de temps après leur première rencontre dans la scène du parking, un face-à-face déterminant pour la suite de leur confrontation. Le film reste mystérieux sur les moyens employés par le tueur pour traquer sa cible (a-t-il accès aux caméras de surveillance ? Aux GPS des voitures ?), mais qu’importe. Avec ses allures de Terminator, l’homme mystère n’a qu’un seul but : tuer.
Le concept de La Traque ressemble à une punition divine pour Jun Seok. Ou peut-être à une condamnation sociale. Dans un monde détruit par la crise économique, où la jeunesse n’a plus aucun espoir, le repris de justice a commis un péché irréparable : rêver d’une place au soleil, d’une vie meilleure. Jun Seok et sa bande d’amis ont beau avoir être responsables d’un hold-up, on ne peut s’empêcher de sympathiser pour ce petit groupe et de ressentir un sentiment d’injustice. La Traque est un film d’une noirceur infernale, mais pas pour autant un film froid.
Lee Je Hoon saisissant d’intensité
La performance de Lee Je Hoon dans le rôle de Jun Seok fait beaucoup pour le film. On savait l’acteur très talentueux depuis la série fantastico-policière Signal, le drama romantique Where Stars Land ou encore le long métrage I Can Speak. Sa carrière témoigne d’une facilité à se fondre dans tous les genres. Pour sa seconde collaboration avec Yoon Sung Hyun (il était l’acteur principal de Bleak Night), Lee Je Hoon déploie une réelle intensité de jeu dans le rôle de ce jeune homme mis sous pression, embarqué dans un combat inégal pour la survie.
Les montées d’adrénaline de Jun Seok sont palpables dans l’action, tout comme ses accès de panique – Lee Je-Hoon est excellent dans la scène flippante du bar, notamment, où son visage de décompose sous nos yeux lorsqu’il réalise la présence du tueur. Difficile de ne pas s’impliquer à 100 % avec Jun Seok dans la lutte primale pour la survie qui se joue au fil de cette épopée sanglante.
Le chasseur est à ce titre interprété par Park Hae Soo (Prison Playbook), très bon dans le rôle de ce personnage quasi abstrait, qui évoque une entité menaçant à tout instant d’engloutir nos héros.
Le reste du casting est également excellent, à commencer par Choi Woo Sik (Parasite) et Ahn Jae Jong (Fight For My Way), criants de naturel dans les rôles des deux amis attachants pourchassés avec Jun Seok. On relèvera les participations spéciales de Cho Sung Ah (actuellement dans Memorist), pittoresque dans un double rôle, et de l’incontournable Kim Won Hae (While You Were Sleeping), qui fait un caméo à la fin du film.
Polémique autour de la sortie de La Traque
La sortie du film La Traque, dont le tournage s’est déroulé au premier semestre 2018, a été précédée d’une bataille judiciaire impliquant le distributeur Little Big Pictures, son ancienne agence de ventes internationales Contents Panda et la plateforme américaine Netflix.
A l’origine, La Traque devait sortir dans les salles coréennes le 26 février 2020, mais l’événement a été retardé par la crise du Coronavirus. Lorsque Little Big Pictures a signé un contrat avec Netflix pour une sortie le 10 avril 2020 dans les 190 pays couverts par la plateforme, Contents Panda a décidé de poursuivre le distributeur coréen pour violation de son contrat, soulignant avoir signé pour une distribution dans 30 pays. Or selon Little Big Pictures, le contrat avec Contents Panda était rompu avant la signature du deal avec Netflix. Le 16 avril 2020, les parties ont trouvé un accord et l’action judiciaire a été levée.
Tout est bien qui finit bien ! La Traque est sorti dans les salles coréennes le 23 avril 2020 et est disponible sur Netflix France depuis cette date.
Elodie Leroy
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