L’excellente comédie noire en huis clos de Netflix joue constamment avec nos sentiments, mais sans oublier de nous faire réfléchir. Découvrez notre critique.
Et s’il était possible d’être payé grassement à ne rien faire ? C’est à cette préoccupation parfaitement dans l’air du temps que répond avec humour la série coréenne The 8 Show. On y suit les aventures de Bae Jin Soo (Ryu Jun Yeol), un homme criblé de dettes qui est amené à participer avec sept autres personnes à un reality show intitulé « Money Game » dans l’espoir de renflouer son compte en banque sans trop d’effort. Les règles semblent simples : si les huit participants parviennent à rester pendant 100 jours dans un studio vide en étant filmé 24 heures sur 24, ils pourront diviser à égalité le jackpot de 44,8 milliards de won (environ 29,96 millions d’euros).
D’abord agréablement surpris par le tarif horaire de son nouveau travail, Bae Jin Soo déchante cependant en découvrant que chaque produit qu’il achète coûte 1 000 fois son prix dans la vie réelle. La situation se corse encore lorsqu’il s’aperçoit que Song Se Ra (Chun Woo Hee), Yoo Philip (Park Jung Min), Kim Yang (Lee Yul Eum), Tae Seok (Park Hae Joon), Choon Ja (Lee Zoo Young), Moon Jeong (Moon Jung Hee) et No Sang Gook (Bae Sung Woo) ne débutent pas le jeu dans les mêmes conditions que lui.
The 8 Show est une adaptation du webtoon Money Game de Bae Jin Soo et de sa suite Pie Game, qui ont atteint à eux deux le nombre impressionnant de 300 millions de vues sur la plateforme Naver lors de leurs sorties respectives en 2018 et 2020. Dotée d’un budget de 24 milliards de won (environ 15,9 millions d’euros) pour 8 épisodes, la série est l’une des plus chères jamais produites par Studio N, son coût par épisode surpassant même celui du mégahit Squid Game d’après le quotidien Koreajoongangdaily.
Netflix a par conséquent confié le projet à une valeur sûre du cinéma coréen, à savoir Han Jae Rim, réalisateur des films Emergency Declaration et The Face Reader, qui en assure la réalisation ainsi que le scénario en collaboration avec les nouvelles scénaristes Lee Jenny et Song Soo Rin. Han Jae Rim retrouve à cette occasion les acteurs Ryu Jun Yeol et Bae Sung Woo, avec lesquels il a déjà collaboré sur The King, de même que Lee Yeol Eum, vue dans Emergency Declaration.
A l’ère de la télé réalité et des réseaux sociaux, The 8 Show part du constat qu’un nombre croissant de personnes aspirent à gagner leur vie en donnant seulement de leur temps, et non plus en acquérant des compétences. La série nous rappelle néanmoins très vite que le temps de chacun n’a pas la même valeur financière. Elle propose à ce titre une représentation concrète des injustices de la société humaine, puisque le jeu est fondé sur l’inégalité des chances, matérialisée ici par les 8 étages auxquels sont logés les protagonistes.
Des individus enfermés, une compétition acharnée, une récompense démentielle et la libération des instincts primaires, on pense bien sûr à Squid Game, mais plus encore à une version sombre et violente du drama japonais Liar Game pour sa dimension socio-psychologique. On pense aussi au film espagnol La Plateforme (Galder Gaztelu-Urrutia) pour le principe de la hiérarchisation des classes sociales par étage.
Notre guide dans cet univers aux règles imprévisibles est le personnage de Bae Jin Soo. Homonyme de l’auteur du webtoon, cet homme nous est présenté à travers une exposition pleine de dérision qui s’impose d’ailleurs comme un véritable modèle d’efficacité narrative, passant avec une remarquable fluidité d’un sentiment à l’autre, d’une temporalité à l’autre, pour expliquer comment il est arrivé au fond du trou et figurer ainsi l’ironie de sa condition sociale de « 3e étage », c’est à dire d’homme « moyen ».
Drôle, expressif et toujours juste, Ryu Jun Yeol se révèle formidable de bout en bout dans le rôle de cet homme très normal, qui peut certes se montrer médiocre à ses heures, mais qui a pour qualité d’être toujours lucide sur lui-même. L’acteur possède en effet cette capacité rare à embarquer complètement le spectateur avec lui, un talent qu’il avait d’ailleurs déjà démontré dans le film historique The Night Owl, qui lui a valu le prix du meilleur acteur aux Baeksang Art Awards 2023.
On pourrait être tenté de croire que The 8 Show parle uniquement de l’exploitation des pauvres par les riches. Le personnage de Song Se Ra, alias « 8ème étage », semble être l’exemple type de la riche enfant gâtée. Ne sachant que faire de sa fortune acquise sans peine, elle la dilapide en futilités, mais ne donne jamais. Son plus grand plaisir consiste à soumettre les autres à sa volonté.
L’actrice Chun Woo Hee, que l’on a aussi appréciée cette année dans The Atypical Family, apporte ce qu’il faut d’humour noir à ce personnage de femme sadique et puérile, s’affirmant comme l’autre point fort du casting du drama.
A l’opposé de Se Ra, le personnage de 1er étage, à la fois pauvre et handicapé, fait bientôt figure de martyre. Mais entre ces deux-là, on trouve en réalité toutes les nuances de gris. Et l’on s’aperçoit ainsi bien vite que Se Ra n’est pas la seule à se satisfaire de l’humiliation des autres. Qu’ils soient portés par la dynamique du groupe ou inquiets pour leur sort, certains deviennent lâches, voire cruels. D’autres croient aussi bien faire, sans réaliser que l’excès d’empathie, tout le refus d’accepter sa part de sensibilité, peut devenir un poison pour soi et pour les autres.
The 8 Show montre également de manière subtile que le plus pauvre peut exploiter moins pauvre que lui lorsqu’il recueille le fruit du dur labeur de ce dernier sans rien partager. Cette idée est explorée de manière percutante lorsque 5e étage insiste auprès de 3ème étage pour qu’il cède son repas à 1er étage, après que 3e étage s’est tué à la tâche pour rendre service à 1er étage. Parallèlement, on note que 5e étage demande à celui qui est en dessous d’elle dans l’échelle sociale de céder sa part sans protester, et non à ceux qui sont au-dessus, déséquilibrant encore les rapports sociaux.
On trouve ainsi dans The 8 Show l’idée plutôt bien amenée que les pauvres s’arnaquent entre eux, devenant ainsi encore plus pauvres, tandis que les riches restent inaccessibles. Ce propos est d’autant plus pertinent que la psychologie des personnages est crédible, tant au niveau individuel que collectif. On peut même avancer que les huit protagonistes incarnent différents aspects de la nature humaine. A chacun de se demander de qui il se sent le plus proche. Il y a fort à parier que ce ne sera pas d’un seul personnage.
Malgré son propos caustique sur la violence des rapports sociaux, la série The 8 Show a pour grande qualité de ne pas être racoleuse. Elle évite ainsi habilement de verser dans le spectaculaire, restant à hauteur humaine en respectant constamment son format de huis clos de plus en plus oppressant. Le spectateur est néanmoins inévitablement placé face à son envie de voir du trash. Pour autant, il n’est pas à la place des VIP qui regardent le show puisqu’il est invité à ressentir de l’empathie pour les personnages.
Autour de Ryu Jun Yeol et Chun Woo Hee, chaque acteur contribue à rendre l’aventure palpitante, de Park Jung Min (Smugglers) à Bae Sung Woo (Live) en passant par Lee Yul Eum (Nevertheless), Park Hae Joon (The World of the Married), Lee Zoo Young (Believer 2) et Moon Jung Hee (Vagabond).
The 8 Show illustre finalement l’une des grandes forces des fictions coréennes, qui est d’éviter toute idéologie, même lorsqu’il s’agit d’insérer des thématiques sociales, pour se concentrer sur les multiples nuances des travers humains, tout appuyant leur intrigue sur des personnages vivants et bien écrits. C’est ce qui les rend si universelles et intemporelles, et qui explique sans doute le succès global de cette série singulière qui s’est classée dans le Top 10 mondial de Netflix pendant 5 semaines après sa sortie le 17 mai 2024.
Caroline Leroy
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