A Bloody Lucky Day : Yoo Yeon Seok époustouflant dans un thriller cauchemaresque et sans concession

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Un chauffeur de taxi prend sans le savoir un tueur en série à son bord. Portée par un casting haut de gamme, cette odyssée macabre et oppressante réussit le tour de force de ne jamais être racoleuse.

Il est passionnant de voir comment les Coréens s’attachent à remettre en question la romantisation du serial killer qui hante le cinéma et les séries depuis que le monde a découvert Anthony Hopkins en Hannibal Lecter dans Le Silence des Agneaux. Ce mythe répandu, c’est celui d’un homme supérieurement intelligent, voire raffiné à ses heures, qui mériterait que le commun des mortels s’interroge sur sa personnalité pour comprendre les raisons profondes, peut-être même mystiques, derrière ses crimes atroces.

Il n’y a pas trace de l’héritage du film de Jonathan Demme dans A Bloody Lucky Day. Avec son portrait sans complaisance d’un tueur en série contemporain, la série s’inscrit davantage dans la lignée de thrillers psychologiques coréens récents tels que Mouse et Through the Darkness. Ce dernier, en particulier, disséquait de manière très documentée les profils de différents tueurs en série, mettant en évidence leur point commun à tous, à savoir la trivialité de leurs motifs et de leur personne.

Le titre A Bloody Lucky Day, traduction littérale de l’original 운수 오진 날, est éloquent : croiser la route d’un tueur en série a tout à voir avec la chance, ou plutôt la malchance, comme de se retrouver soudain nez à nez avec un grand fauve au détour d’un chemin de campagne.

Le héros de ce drame, Oh Taek (Lee Sung Min), est un modeste chauffeur de taxi qui vit sa vie comme il le peut, accablé par un monceau de dettes contracté après qu’il a été accusé à tort de détournement de fonds. A présent séparé de sa femme et éloigné de ses enfants, il rêve de se racheter. C’est alors que la chance semble lui sourire : après une journée particulièrement fructueuse, un homme d’une trentaine d’années, Geum Hyuk Soo (Yoo Yeon Seok), s’invite dans sa voiture et lui propose de l’emmener dans la ville portuaire de Mukpo contre une grosse somme d’argent.

Au même moment, une agricultrice du nom de Hwang Soon Kyu (Lee Jung Eun) tente de convaincre l’inspecteur Kim Joong Min (Jeong Man Sik) que son fils ne s’est pas suicidé mais a été tué par Geum Hyuk Soo, justement. Désabusée par l’indifférence du policier, elle se lance elle-même à la poursuite du meurtrier.

Diffusé sur TVING entre le 24 novembre et le 19 décembre 2023, et disponible sur la plateforme Paramount+ depuis le 1er février 2024, A Bloody Lucky Day est adapté d’un webtoon de Aporia par un scénariste chevronné, Kim Min Sung (The Roundup: No Way Out), et une scénariste débutante, Song Han Na. Le réalisateur Pil Gam Sung a seulement un film à son actif (Hostage: Missing Celebrity, avec Hwang Jung Min), mais fait déjà preuve d’un savoir-faire bluffant et d’un amour du cinéma qui transpire de chaque plan. 

Situé quelque part entre le road movie et le film de chasse à l’homme, A Bloody Lucky Day bénéficie en effet d’une réalisation très pensée qui tire parti à la fois des physiques des acteurs – le récit confronte souvent ses personnages les uns aux autres, et comporte plusieurs scènes d’action réalistes – et de ses nombreux décors, notamment les paysages et bâtiments ruraux de la Corée profonde. Un soin particulier est apporté aux lumières, l’intrigue se déroulant presque exclusivement de nuit.

D’un point de vue esthétique comme de l’ambiance musicale, la série emprunte aux films d’horreur américains des années 80, avec leurs plans nocturnes traversés de couleurs saturées et leurs musiques inquiétantes au synthé.

C’est d’ailleurs sur les codes de l’horreur que s’appuie le réalisateur pour opérer le savant glissement du quotidien ordinaire de Oh Taek vers sa rencontre inattendue avec Geum Hyuk Soo, puis à leur conversation dans le taxi, durant laquelle le brave homme réalise avec effroi qu’il a accepté un passager dangereux. La montée en tension s’avère particulièrement efficace jusqu’à cette scène impressionnante de l’épisode 2, où Geum Hyuk Soo surgit au milieu d’un brouillard rouge, tel un démon venu sur Terre pour semer la désolation autour de lui, et exécute un innocent sous les yeux de Oh Taek.

Tout au long de ce voyage au bout de l’enfer, A Bloody Lucky Day n’aura de cesse de démystifier le tueur en série pour le remettre à sa place : celle d’un prédateur qui, même s’il est doté intelligence, met seulement celle-ci à contribution pour traquer et torturer ses proies, puis pour sauver sa peau une fois qu’il est démasqué. Un être aussi vain et vulgaire que ses crimes gratuits. La série ne tente pas pour autant de le tourner en ridicule, car ce serait l’humaniser et diminuer la menace qu’il représente pour ses congénères.

Si le personnage n’a rien de fascinant, la performance de Yoo Yeon Seok l’est en revanche. Passant avec aisance de la plus parfaite nonchalance à la sauvagerie la plus totale puis à une apparente normalité, l’acteur de Quand le téléphone sonne apparait transformé, méconnaissable. Il est le clou du spectacle. Difficile d’oublier son expression de cruauté démente lorsqu’il commet son premier meurtre. Ou le réalisme avec lequel il prend ses victimes à bras le corps pour les tuer, sans toujours réussir du premier coup. L’absence de maniérisme dans son interprétation, notamment dans sa manière de parler, rend le personnage d’autant plus glaçant.

De la part du réalisateur, il y a également quelque chose d’audacieux dans le choix d’un acteur athlétique et séduisant pour jouer ce criminel. Le fait que le personnage suscite malgré son apparence un sentiment de répulsion prouve non seulement le talent de Yoo Yeon Seok, mais sert finalement le propos critique de A Bloody Lucky Day.

Face au mal absolu, le bon chauffeur de taxi est forcé de sortir de sa torpeur pour suivre un parcours initiatique tardif mais nécessaire. Car Oh Taek a un problème : il est trop « gentil », ou plutôt trop naïf, tellement même qu’il donnerait presque l’impression de fermer volontairement les yeux, pour « laisser courir », selon sa devise. A travers lui, la série montre qu’un excès de crédulité maquillé en bonnes intentions peut causer des ravages dans la vie d’une personne. Lee Sung Min compose ainsi un personnage de monsieur tout le monde plus vrai que nature, à mille lieues de son rôle de patriarche tyrannique dans le drama fantastique Reborn Rich.

Quant à Hwang Soon Kyu, elle voit juste, mais personne ne l’écoute. L’arrivée dans la partie de cette mère désespérée mais déterminée apporte une dimension encore plus imprévisible à l’intrigue, lui évitant de sombrer dans le simple jeu de massacre. Avec son jeu très authentique et son regard intense, Lee Jung Eun, vue récemment dans le thriller Les Silences de la forêt, se révèle très attachante.

Pour finir sur une note plus légère, on notera en fond dans une scène de l’épisode 2 la chanson My Day de J.UNA, entendue abondamment dans Yumi’s Cells 2, une autre série TVING.

Caroline Leroy

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