Le film Frères de Sang (Taegukgi)

Critique : Frères de Sang, un film de guerre puissant avec Jang Dong Gun et Won Bin

Sorti en 2005 et devenu un classique, Frères de Sang oppose Jang Don Gun et Won Bin dans les rôles de deux frères séparés par la Guerre de Corée. Découvrez notre critique.

ARCHIVE – A l’époque de la sortie de Frères de Sang, Kang Je Gyu est le seul réalisateur coréen à pouvoir s’offrir le luxe d’un projet aussi ambitieux s’agissant des moyens investis dans la production – 13 millions de dollars de budget. L’idée du film germe en 2000, lorsqu’il découvre un documentaire sur l’exhumation des combattants de la Guerre de Corée. Convoquant un casting quatre étoiles porté par Jang Dong Gun (Friend) et Won Bin (Guns and Talks), le cinéaste signe avec Frères de Sang un film de guerre puissant et émouvant, dans lequel le conflit entre Corée du Sud et Corée du Nord est personnifié par deux frères déchiré par un contexte politique qui les dépasse. On n’en ressort pas indemne.

L'acteur coréen Jang Dong Gun dans Frères de Sang

La Guerre de Corée vue par les Coréens

L’histoire nous emmène donc à Séoul, au début des années 1950. Cireur de chaussures, Jin Tae consacre ses modestes ressources à l’éducation de son frère cadet, Jin Suk, qu’il espère envoyer prochainement à l’Université. Leur mère, veuve et handicapée, tient une échoppe avec la jeune Yong Shin, fiancée de Jin Tae, qu’elle a recueillie quelques années plus tôt.

Tout s’effondre brutalement le 25 juin 1950, lorsque la guerre éclate. Jin Seok est alors recruté de force et envoyé au front. Intervenant pour contester cette décision, Jin Tae subit le même sort. Les deux frères rejoignent cette armée du Sud, mal équipée, mal nourrie, mal organisée, harcelée jour et nuit par un ennemi supérieur en nombre et en force…

Au début du film, Jin-seok (Won Bin) et Jin-tae (Jang Dong-gun) forment une famille unie avec leur mère et filent un bonheur parfait. Si les scènes partagées par les deux frères paraissent excessivement idylliques, voire naïves, c’est pour mieux faire ressortir le contraste cruel avec les événements qui se produiront par la suite. Dès l’instant où les deux frères sont projetés dans le combat, le film bascule.

Jang Dong Gun et Won Bin jouent deux frères

Pour retranscrire la guerre dans toute son horreur, Kang Je-gyu mise sur le réalisme à fond et nous plonge dans les tranchées, au cœur des explosions de grenades, au milieu des corps mitraillés et mutilés, filmant le tout à la manière d’un documentaire. Fort d’un énorme travail de reconstitution d’équipement militaire, d’effets spéciaux numériques réussis et de la participation de 25 000 figurants, Frères de Sang comporte des scènes d’anthologie, telles que l’attaque surprise par des milliers de soldats chinois, ou encore le raid aérien lancé par les Américains, qui donne lieu à des plans impressionnants.

Loin de résumer le quotidien guerrier à une suite de scènes spectaculaires, Kang Je-gyu s’attarde aussi sur les conditions atroces dans lesquelles les soldats sud-coréens combattent. Ceux-ci ne bénéficient en effet d’aucun secours logistique et le film montre des hommes qui crèvent de faim et craquent psychologiquement, ou encore des blessés dévorés par des vers. Aucun détail sordide ne nous est épargné. Et si la dimension réaliste des batailles évoque inévitablement Il faut Sauver le Soldat Ryan, film avec lequel Spielberg imposait de nouveaux standards au genre, la comparaison ne va guère plus loin dans la mesure où le contexte et le traitement du sujet y sont très différents.

Même s’il s’agit d’un film de guerre, Frères de Sang n’est ni un film patriotique, ni même un film politique. Kang Je-gyu se garde de porter un jugement global sur une guerre qu’il est encore de nos jours difficile d’analyser. La Corée est devenue un terrain où s’affrontent des puissances extérieures avec une technologie qui dépasse les soldats sud-coréens, engagés souvent de force dans ce conflit fratricide dont ils ne connaissent pas vraiment les raisons profondes. Ainsi, rien de ce qui se passe en haut de la hiérarchie n’est ici montré, et les alliés de chaque camp (Américains, Chinois) n’ont pas de visage.

Jang Dong Gun tient à fusil

La première scène où les deux frères sont pris dans une attaque est à ce titre symbolique : malade du cœur, Jin-seok est victime d’une crise alors qu’il tente d’échapper à la tuerie qui l’environne, et le réalisateur a choisi des plans jouant sur l’étroitesse de l’espace et marqués par la provenance hors champ des attaques ennemies. Le jeune homme semble alors totalement dépassé, comme un enfant immergé en Enfer.

Comme on pouvait s’y attendre, la vision des soldats nord-coréens est peu valorisante : sans pitié, ils rasent des villages entiers et semblent avoir perdu toute individualité. Mais les soldats sud-coréens valent-ils mieux ? Frères de Sang montre la Corée du Sud de l’époque sous un visage peu flatteur, avec des civils exécutés au moindre soupçon de traîtrise, des prisonniers traités avec cruauté… Cette autocritique aurait pu être menée avec plus de finesse, mais elle reste l’un des aspects les plus marquants du film, d’autant plus qu’on attendait pas forcément une telle vision de la part d’une œuvre dont le titre original n’est autre que « Taegukgi », qui désigne le drapeau national de la Corée du Sud.

Outre quelques lourdeurs comme une musique parfois redondante avec le récit, Frères de Sang pourra surprendre par la manière dont il joue à fond la carte du mélodrame, celui qui se joue entre Jin-seok et Jin-tae. Cet aspect, qui relie le film à la tradition du cinéma sud-coréen, est en effet le véritable fil directeur du film, parfois au détriment des sujets abordés par ailleurs. Mais cette histoire d’amour/haine entre les deux frères est aussi mise au service de ce que le réalisateur tente de faire passer sur cette guerre qui a déchiré de nombreuses familles et traumatisé tout un pays.

Les deux frères symbolisent bien entendu les deux Corées. Jin-seok est victime d’un handicap, à l’image de la Corée du Sud surpassée en moyens et en nombre, et assiste impuissant à la transformation de son frère. Quant à Jin-tae, il a décidé de faire le bonheur de son cadet sans respecter les choix de celui-ci en tant qu’individu, et même s’il est motivé par de bonnes intentions, il se laisse prendre dans un engrenage qui le pousse à commettre des actes terribles.

A ce titre, l’un des atouts majeurs de Frères de Sang est son casting, qui bénéficie de la présence de stars locales. Jang Dong-gun, qui a déjà fait ses preuves à travers d’autres rôles marquants (on se souvient de son impressionnante prestation dans The Coast Guard, de Kim Ki Duk), étonne une fois de plus par la puissance de son jeu.

Won Bin dans le film de guerre Frères de Sang (Taegukgi)

Mais c’est Won Bin qui surprend le plus puisqu’il ne s’agit que de son second film (on l’a vu dans l’excellent Guns and Talks) et qu’il déploie une palette de sentiments et une intensité qu’on était loin de soupçonner de la part de ce jeune homme surtout connu pour son physique glamour. On retiendra aussi Lee Eun-joo (Bungee Jumping of their Own), très émouvante dans le rôle de Young-shin.

Triomphe au box-office local, Frères de Sang est le premier film coréen à montrer la guerre de Corée de manière aussi réaliste et a provoqué de véritable crise de larmes collectives dans les salles coréennes lors de sa sortie. Kang Je-gyu signe une fois de plus un film qui marque une étape dans le cinéma de son pays. Comme dans Shiri, l’association entre l’action et le mélodrame fonctionne et révèle avec force l’étendue de la blessure engendrée par ce conflit. Pour le public occidental, Frères de Sang exprimant un regard coréen sur cette guerre à parvenir jusqu’à nos contrées. Et rien que pour cela, il faut absolument le voir.

Elodie Leroy

* Update : Kang Je Gyu produira quelques années plus tard le drama IRIS, avec Lee Byung Hun, qui aborde de manière inédite le conflit entre Corée du Nord et Corée du Sud à travers une intrigue d’espionnage rondement menée.

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