La Corée du Sud nous envoie la meilleure série TV sur le thème de la prostitution des mineurs. Porté par Kim Dong Hee et Park Joo Hyun, Extracurricular ne vous laissera pas indemne et c’est disponible sur Netflix.
Le regard paniqué de Ji Soo, l’air effronté de Gyuri et l’expression désabusée de Min-Hee vous resteront longtemps en tête. Réalisé par Kim Jin-Min pour Netflix, Extracurricular mélange les codes du thriller et l’esthétique pop du drama de lycée pour raconter la descente aux enfers d‘un groupe de jeunes mêlés à une activité de prostitution. Choquant, palpitant et émouvant, Extracurricular explore son sujet avec une rare honnêteté et dresse le portrait d’une jeunesse urbaine à l’abandon, révélant au passage une brochette de jeunes acteurs talentueux.
Un élève modèle et sans histoires
La première scène d’Extracurricular donne le ton. Sur une image caléidoscopique, des figurines Lego flottent sur un fond rose, puis bleu. L’image se modifie alors pour révéler la vérité : les deux figurines, une fille et un garçon, ne sont que débris dans un amas de détritus à recycler. Un adolescent s’emploie à fouiller le contenant, tandis qu’une voix off d’adulte parle d’un élève modèle et sans histoires. Lorsqu’il trouve une pile chargée, l’élève modèle peut enfin faire fonctionner son taser électrique.
Extracurricular porte bien son titre, qui signifie « périscolaire » ou « extrascolaire ». L’activité extrascolaire d’Oh Ji Soo (Kim Dong-Hee) est un peu particulière : il gère secrètement un service de sécurité à distance pour un groupe de prostituées. Son job ? Envoyer un protecteur lorsqu’elles sont en difficulté. Oui, mais avec son téléphone portable, Ji Soo assure aussi la mise en relation des filles avec les clients, ce qui en fait un parfait proxénète. Comment cet élève timoré et bien noté en classe en est-il arrivé là ?
Ji Soo attire l’attention de l’une de ses camarades, Bae Gyuri (Park Joo-Hyun), qui vient d’une famille riche. Le coup de foudre de Ji Soo pour Gyuri nous plonge brièvement en pleine comédie romantique, à renforts de ralentis sur la jeune fille sur un terrain de sport, mais ce soupçon d’innocence est de courte durée. Leur rencontre tourne au cauchemar quand elle découvre son activité et entreprend de le faire chanter.
L’autre personnage important est Seo Min-Hee (Jung Da-Bin), une élève de la classe qui se trouve faire partie du réseau de prostituées. Grâce à l’argent qu’elle gagne, elle couvre de cadeaux son petit ami, Kwak Ki-Tae (Nam Yoon Soo), le caïd du lycée qui persécute les plus faibles.
Une foule de questions nous vient rapidement à l’esprit : Ji-Soo a-t-il conscience qu’il exploite sexuellement sa camarade de classe ? Gyuri tente-t-elle de l’exploiter à son tour ou simplement de se rapprocher de lui ? Comment réagira Ki-Tae s’il découvre le pot-aux-roses sur sa copine ? Et que pensera ce professeur aux valeurs progressistes qui tente de les inciter à développer leur esprit critique ?
Extracurricular est un drama coréen osé et atypique reposant sur une brillante idée : utiliser l’esthétique pop des fictions pour jeunes pour parler de ces adolescents à la dérive, tout en usant de la mécanique du thriller pour installer une tension psychologique grandissante.
Habitée par un suspense quasi insoutenable, la série est servie par la réalisation admirable de Kim Jin-Min (Lawless Lawer, Marriage Contract), qui sait se montrer percutante pour saisir la violence des situations, tout en collant au plus près des émotions des personnages. L’humour noir s’invite parfois à l’improviste et la jeunesse des personnages leur confère une certaine fraîcheur, mais le tableau social est noir et sans concession.
De la détresse sociale à l’exploitation de l’autre
« Sans ce travail, je ne suis rien ! », se défend Min-Hee quand on lui parle de décrocher. Sur la prostitution juvénile, Extracurricular réussit là où bon nombre de films ont échoué en approchant le sujet dans toute sa complexité.
L’exercice n’est pas évident pour le scénariste Jin Han-Sae, d’autant que le drama arrive juste après l’explosion en Corée du Sud du scandale de la Nth Room, qui fait référence à la découverte d’une chatroom diffusant des vidéos à caractère sexuel et sadique. Des lycéens sont impliqués en tant que victimes et suspects.
La série est une réussite en ce qu’elle pose les bonnes questions sur les choix faits par ces jeunes, sans se faire l’avocate du business destructeur de la prostitution. La clé de cette réussite ? Centrer le récit sur les individus et nous faire ressentir leurs souffrances, leur colère, leurs rêves.
Cette approche sensible permet à Extracurricular d’éviter deux écueils : porter un jugement moral sur ces ados ou au contraire plaquer une lecture idéologique soi-disant progressiste en faveur des travailleurs du sexe.
Nous sommes à des années lumières de la démarche froide du film français Jeune et Jolie (François Ozon, 2013), sur lequel j’avais écrit à l’époque un article qui avait fait polémique, et qui se réfugiait derrière un propos hypocrite sur la sexualité féminine pour justifier le fantasme masculin de l’adolescente qui vend son corps volontairement et sans raison particulière. Nous sommes également loin des délires certes fascinants, mais irréalistes du film coréen Samaria (Kim Ki-Duk, 2004), dans lequel l’adolescente prostituée était presque sanctifiée.
Extracurricular approche la prostitution sous tous les angles à travers le point de vue de ces jeunes qui en parlent tour à tour comme d’une liberté individuelle, celle de disposer de son corps, ou d’une aliénation mentale. On notera que la prostitution n’est en rien présentée comme glamour. Les actes sexuels des prostituées resteront d’ailleurs hors champ : les personnes qui passent à l’acte sont montrées comme des êtres humains, pas comme des objets sexuels.
Il est fort probable que nous ayons tous un ressenti différent sur les personnages. L’histoire s’attarde sur le vécu de chacun, de l’apprenti proxénète qui utilise sa condition sociale comme excuse, à la prostituée tombée dans une addiction à son activité, en passant par le protecteur qui assiste à la déchéance psychologique des jeunes filles, ou la policière qui tente d’aider ces jeunes qui rêvent d’une vie meilleure mais s’autodétruisent dans l’indifférence générale.
Si le déterminisme social est bien entendu pointé du doigt comme l’une des causes de ces dérives, la force du drama réside dans sa manière de relier l’activité de ces jeunes à leur environnement affectif. Il est constamment question d’exploitation de l’autre dans la série, que l’abus soit commis par un père démissionnaire qui escroque son fils, par des parents insensibles prêts à pousser leur fille dans les bras d’investisseurs, ou par le caïd du lycée qui réduit ses camarades en esclavage et se fait appeler « Dominus ».
Au passage, la série remet quelques pendules à l’heure sur la prostitution en tant que telle, même volontaire, qui induit des situations de détresse psychologiques intenses ou au mieux anéantit la part sensible de l’individu – la maquerelle et la tenancière du karaoké sont d’une froideur inhumaine. Le milieu demeure aussi étroitement lié à celui des gangsters, comme les personnages le réaliseront lors d’un sanglant retour à la réalité – il faudra vous préparer à un dénouement d’une violence inouïe.
Kim Dong Hee et Park Joo Hyun, révélations de la série
Dans le rôle de Ji Soo, Kim Dong Hee se révèle extrêmement convaincant. Le jeune acteur, que nous avions découvert dans SKY Castle et qui était à l’affiche d’Itaewon Class cette année, possède une riche palette d’expressions et compose un personnage à plusieurs facettes. Tour à tour abusé et abuseur, Ji Soo est certes touchant dans ses moments de détresse, mais aussi très ambigu avec la fille qu’il exploite.
Le personnage le plus troublant est celui de Gyuri, interprétée par la prometteuse Park Joo-Hyun, vue cette année dans A Piece of your Mind. Cette actrice au visage juvénile devrait faire sensation. Elle possède un incroyable charisme, au point de voler plus d’une fois la vedette à son partenaire. Gyuri est le personnage le plus difficile à cerner de la série. Froide et intelligente à certains moments, elle se révèle touchante dans son cheminement atypique d’apprentissage des sentiments au contact de Ji Soo.
Dépouillés de l’affection de leurs parents, Ji Soo et Gyuri ont des tas de circonstances atténuantes. Mais jusqu’à quel point leur situation respective de victime excuse-t-elle leur cynisme vis-à-vis de ce trafic humain ? Le fait que Ji Soo gère son activité à distance par le biais de son appli mobile en dit long sur sa déconnexion avec la réalité. Extracurricular pointe l’impossibilité, pour des jeunes de cet âge, de comprendre et d’assumer pleinement les responsabilités de leurs actes.
Le personnage de Min-Hee, interprété avec intensité par Jung Da-Bin (Should We Kiss First), prend de plus en plus d’importance au fil du drama et personnifie les ravages de la prostitution, mais aussi le vide affectif de ces jeunes. Si son mépris envers Ji-Soo ne la rend guère sympathique, son besoin désespéré d’attention auprès de ses amis et l’affection qu’elle voue au mystérieux Mr. Lee montrent sa fragilité.
Le lien de Min-Hee et Mr. Lee n’est pas sans évoquer celui de Léon et Mathilda dans Léon (Luc Besson), comme le souligne un personnage de l’histoire. Choi Min-Soo (Lawless Lawyer, Warrior Baek Dong Soo) dégage à ce titre une présence impressionnante dans le rôle de Mr. Lee, le gros bras presque mutique dont le regard traduit un vécu douloureux mais aussi une lucidité sur ces jeunes.
Extracurricular Saison 2 à confirmer
L’ensemble du casting d’Extracurricular est parfaitement à sa place. On retiendra également le nom de Nam Yoon-Soo, qui s’avère excellent dans le rôle de Kwak Ki-Tae, un bully pas aussi unidimensionnel qu’il en a l’air.
On a également plaisir à retrouver Park Hyuk-Kwon (Six Flying Dragons) en professeur bienveillant et idéaliste et Kim Yeo Jin (Witch At Court) en policière qui garde ses valeurs dans un système qui abandonne les plus défavorisés.
La question qui nous taraude à présent est la suivante : quand sortira la saison 2 d’Extracurricular ? La fin de l’épisode 10 laisse planer la possibilité d’une suite, mais Netflix n’a pas encore apporté de confirmation. Nous vous tiendrons informés dès que nous en saurons davantage…
Elodie Leroy
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