Poster Guns and Talks (Jang Jin)

Critique : Guns and Talks, quand les tueurs deviennent sentimentaux

Cette comédie d’action coréenne signée Jang Jin séduit par son humour décalé et par le charme irrésistible de ses acteurs, qui interprètent des tueurs à gages pas comme les autres.

ARCHIVE – Réalisé en 2001 par Jang Jin, metteur en scène et scénariste incontournable en Corée du Sud, Guns and Talks est une comédie d’action dans laquelle il est question du quotidien d’une bande de tueurs pas comme les autres. Décalé, fantaisiste et terriblement attachant, Guns and Talks est une pépite injustement méconnue du cinéma coréen des années 2000. C’est aussi le troisième film réunissant les noms du réalisateur Jang Jin et des acteurs Shin Ha Gyun et Jung Jae Young, une collaboration de longue date qui se perpétue non seulement autour de la caméra mais aussi sur la scène théâtrale. Enfin, Guns and Talks est le premier film de Won Bin et donne l’un de ses premiers rôles de Gong Hyo Jin… Toujours pas convaincus ?

Jung Jae-Young, Shin Ha-Gyun, Won Bin et Shin Hyun-Jun

Des James Bond coréens… ou presque

Après une rencontre énigmatique entre un homme et une femme dans une voiture échouée sur une route déserte, Guns and Talks démarre en trombe avec une scène montrant en action une équipe de quatre tueurs professionnels que la police, impuissante, échoue à rattraper. En quelques plans significatifs, les personnages principaux sont présentés à travers leur rôle respectif dans la mission criminelle qui fait partie de leur routine : Sang Yeon (Shin Hyun Jun) est le chef qui détermine le plan, Jung-Woo (Shin Ha Gyun) assure la pose des bombes, Jae Yung (Jung Jae Young) est tireur d’élite, et Ha Yeon (Won Bin) est le petit frère de Sang Yeon et occupe la fonction de hacker.

Une présentation efficace qui permet aussi de donner le ton de Guns and Talks. Soutenue par un montage rythmé, la mise en scène stylisée de ces premières minutes laisse présager d’un film d’action plein d’énergie et teinté d’humour noir, comme en témoigne le coup de téléphone cynique que Jung Woo passe à l’une de ses victimes tout en dégustant un bol de nouilles.

Séance de brainstorming chez nos tueurs

Par la suite, le moins qu’on puisse dire est que Guns and Talks remplit pleinement le cahier des charges propre au genre du film de gangsters. En réalité, tout y est : les infiltrations en tant que vigiles, les gadgets fournis par l’oncle bricoleur, les passages dans de larges conduits d’aération (comme chacun sait, tous les immeubles possèdent des conduits d’aération permettant de se balader tranquillement d’un secteur à l’autre), les séances de tir d’élite en plein spectacle, le personnage du flic usé qui poursuit les hors-la-loi sans relâche. Mais les apparences sont parfois trompeuses.

Les tueurs, des fanboys comme les autres

En effet, après avoir assisté aux exploits de Sang Yeon, Jung Woo, Jae Yung et Ha Yeon dans leur travail, il nous est donné de les découvrir en privé. Et ce qui aurait pu n’être qu’une énième histoire de gangsters cool se démarque rapidement par le traitement humoristique et original de ses personnages. Guns and Talks n’est pas un film de gangsters comme les autres et si des scènes d’action viennent régulièrement ponctuer le récit, le film fait surtout beaucoup rire.

A travers le point de vue de Ha Yeon (Won Bin), qui s’exprime en voix-off (rôle dont il soulève d’ailleurs la difficulté suite à un léger dérapage), on découvre l’univers improbable de ces quatre tueurs à gages – ou de ces quatre gamins – bien loin de ressembler à des autistes à la Léon, même si le légendaire personnage de Luc Besson a droit à son clin d’œil rituel.

Ces quatre jeunes hommes décontractés, plutôt beau gosses et visiblement réputés dans leur métier vivent en colocation dans un quartier résidentiel bien tranquille. Comme des frères, ils partagent tout, déjeunent quotidiennement ensemble, se rendent des comptes, admirent la même présentatrice de journal télévisé qui les laisse pantois d’admiration à chacun de ses passages sur le petit écran.

Guns and Talks est adapté d’une pièce écrite par Jang Jin lui-même, et l’influence théâtrale s’impose comme une évidence. En effet, malgré la profusion de décors qu’autorise le médium du cinéma, la maison dans laquelle vivent les quatre personnages reste au centre du film, telle une unité de lieu, la narration consistant ainsi essentiellement en une suite d’aventures racontés au spectateur par Ha Yeon (Won Bin) et mises en images.

Dans cette maison, l’équipe présidée par Sang Yeon (Shin Hyun Jin) élabore sa tactique, chacun fait le rapport des missions qu’il effectue de son côté, des visiteurs plus ou moins bienvenus font leur entrée, parfois à leur insu. C’est lorsque les quatre tueurs vont commencer à se faire mutuellement des cachotteries que les ennuis vont commencer. Si chacun vit des expériences séparément, ce petit monde ne risque-t-il pas de s’en trouver définitivement bouleversé ?

L’humour inimitable de Jang Jin

La dimension culte de Guns and Talks tient avant tout à l’humour d’un genre assez unique qui caractérise cette comédie. Si le ton décalé des premières scènes pourra un instant évoquer l’esprit des films de Guy Ritchie (Snatch), Jang Jin possède en réalité son style propre, sa manière bien à lui de rendre hilarantes des situations a priori banales. Le réalisateur et scénariste ne se contente pas de jouer sur les répliques qui tuent, même si certaines resteront en mémoire (et l’on passe sans doute à côté de plein de choses en ne parlant pas coréen), mais tourne aussi en dérision ses personnages en mettant l’accent sur une mauvaise interprétation de leur part, un mensonge, ou même leur embarras face à une situation inattendue.

Quelques scènes anodines sur le papier deviennent ainsi mémorables, comme ce moment où Sang Yeon déguisé en guichetier de péage d’autoroute se retrouve brusquement confronté à un imprévu, ou encore cette scène où Jung Woo danse avec la jeune femme qu’il est censé assassiner mais auprès de laquelle il découvre l’amour comme un adolescent. C’est sans doute le mélange de cynisme et d’esprit par ailleurs bon enfant, voire naïf parfois, qui rend l’humour de Guns and Talks aussi inimitable.

Won Bin et Shin Hyun Jun

Autre séquence mémorable, ce moment où Ha Yeon délire soudainement sur « l’amour pur » à travers un discours enflammé, son commentaire en voix off témoignant par ailleurs de sa perception erronée de la réaction de ses amis. Cette scène emblématique fait d’ailleurs brusquement prendre conscience du parti pris narratif du film : le narrateur, dont le point de vue est censé être la référence, est alors précisément celui qui est tourné en dérision, les autres personnages devenant à l’inverse les complices du spectateur. A partir de cette scène, on ne peut que se demander quelle est la part de vérité dans les faits racontés par Ha Yeon…

Au style enlevé de Guns and Talks vient s’ajouter une excellente direction d’acteurs et les quatre comédiens principaux font d’ailleurs montre d’une extraordinaire alchimie qui participe énormément à rendre le film attachant.

De Shin Hyun Jun à Won Bin, un casting ébouriffant

Shin Hyun Jun laisse tomber son allure autoritaire et son regard glaçant (mais ô combien troublant dans Bichunmoo) pour révéler des talents de comique qu’on ne lui soupçonnait pas – il faut le voir avec ses cheveux en pétard sur la tête ! Shin Ha Gyun endosse quant à lui le rôle du nerveux de service avec l’aisance qu’on lui connaît – l’acteur de Sympathy for Mr Vengeance excelle décidément dans tous les registres.

Star de télévision, Won Bin (Frères de Sang) trouve ici son premier rôle au cinéma et ne se contente pas de distribuer des sourires béats (bien que la béatitude fasse partie du charme de son personnage), mais impose sa présence discrète au sein d’une distribution imposante. On peut en revanche regretter que le personnage de Jung Jae Young (No Blood No Tears) apparaisse si peu à l’écran, comme s’il avait souffert de quelques coupes au montage – une impression qui se confirme à la vue des scènes coupées dans les bonus DVD.

Les seconds rôles ne sont en revanche pas en reste puisque l’on retrouve Jung Jin Young (The King and the Clown) en flic désabusé et ironique, personnage qu’il interprète non sans une certaine auto-dérision, ou encore l’excellente Gong Hyo Jin (Volcano High) qui nous faire bien rire dans le rôle d’une lycéenne boudeuse dotée d’un culot monstre et de compétences en anglais visiblement hors du commun aux yeux de nos quatre hors-la-loi.

A la fois divertissant et délicieusement loufoque, Guns and Talks réussit aussi le tour de force de faire passer un soupçon de drame dans un film frisant par ailleurs plus d’une fois l’absurde. Et on rigole devant cette histoire en fin de compte bien immorale, mais qu’importe puisqu’elle est évidemment à prendre au second degré. Guns and Talks prend de la valeur à chaque vision et reste l’une des comédies d’action les plus sympathiques et rafraîchissantes que le cinéma coréen nous ait offert ces dernières années.

DOSSIER : Jang Jin, Shin Ha Gyun et Jung Jae Young : du Théâtre au Cinéma

Comme tous les films de Jang Jin, Guns and Talks était au départ une pièce à succès écrite par le réalisateur, avant tout connu en tant que metteur en scène de théâtre. Né en 1971 et diplômé de l’Institut des Arts de Séoul, Jang Jin remporte son premier succès critique avec la pièce Heotang en 1995. Sans abandonner la scène, il commence la même année à travailler sur des scénarios destinés au cinéma, débutant avec celui de A Hot Roof (Lee Min-Yong) pour signer cinq ans plus tard celui du drame fantastique Ditto (Kim Jung-Gwun). C’est en 1998 qu’il réalise son premier long métrage, The Happenings, suivi en 1999 par The Spy dont il écrit aussi le scénario.

En 2001, Guns and Talks remporte un grand succès public, ce qui permet à l’auteur d’élargir ses activités. Il devient ainsi producteur en 2002 avec No Comment, un film divisé en trois segments. Il écrit lui-même le second, My Nike, qui se trouve être dirigé par Park Kwang-Hyun, futur réalisateur de Welcome to Dongmakgol.

Jusqu’à récemment, la carrière de Jang Jin au cinéma semblait suivre deux lignes directrices simultanées puisque ses propres films appartenaient au registre de la comédie tandis que ses scénarios semblaient davantage destinés aux amateurs de mélodrames (Ditto, notamment). Avec Someone Special (2004), Jang Jin semble cependant vouloir mélanger les deux genres à travers une histoire paradoxalement humoristique, celle d’un joueur de basket-ball qui apprend qu’il va bientôt mourir mais qui rencontre l’amour en la personne d’une femme marginale. Si le film ne réitère pas le succès commercial de Guns and Talks, il est néanmoins salué par la critique et permet à son acteur principal, Jung Jae Young, de remporter un Prix d’Interprétation au Pusan Film Critic Awards 2004.

Reconnu pour son observation fine de la société et pour son humour enlevé, parfois saupoudré de touches mélodramatique, Jang Jin inspire dorénavant d’autres réalisateurs : sorti en 2005, le film Welcome to Dongmakgol est adapté de l’une de ses pièces de théâtre par son fidèle collaborateur Park Kwang Hyun. Grand succès public et critique, cette fable humaniste dont Jang Jin est aussi producteur met en scène Shin Ha Gyun, Jung Jae Young et Kang Hye Jung (Old Boy). L’histoire plante son décor pendant la Guerre de Corée et met en scène deux soldats du Nord obligés de se réfugier dans un petit village de montagne, et qui vont devoir cohabiter avec des soldats du sud…

A trente-cinq ans seulement, Jang Jin a déjà une carrière impressionnante à son actif : il est à la fois scénariste, metteur en scène au théâtre comme au cinéma, et producteur de l’un des plus gros hit de ces dernières années puisque Welcome to Dongmakgol a attiré plus de 8 millions de spectateurs coréens dans les salles. Un parcours qui a de quoi faire rêver.

Son dernier film en date en tant que réalisateur, The Big Scene, est adapté de sa pièce à succès Leave While People Are Clapping et lui permet de retrouver à nouveau l’acteur Shin Ha Gyun. Ce dernier interprète un meurtrier qu’un inspecteur de police va tenter de faire avouer ses crimes devant les caméras d’une émission de télé réalité… Encore de l’humour noir et de la satire en perspective.

Si l’on retrouve Shin Ha Gyun et Jung Jae Young – le poseur de bombe et le tireur d’élite de Guns and Talksdans la plupart des films de Jang Jin, c’est parce que les deux acteurs font partie de la famille Suda, la troupe de théâtre fondée par le metteur en scène.

Shin Ha Gyun

Shin Ha Gyun débute sur la scène sous la direction de Jang Jin avant de faire ses premiers pas au cinéma dans The Happenings, du même réalisateur, une collaboration qui se poursuivra l’année suivante avec The Spy. Comme on le sait déjà, Shin Ha Gyun a largement diversifié son registre : son visage est particulièrement familier aux amateurs des films de Park Chan Wook.

Après une petite apparition dans l’excellent The Foul King de Kim Jee Woon, Shin Ha Gyun obtient en 2000 un rôle dans un futur classique du cinéma coréen : JSA (Joint Security Area). Dans ce chef-d’œuvre signé Park Chan Wook, Shin Ha Gyun interprète aux côtés de Song Kang Ho un soldat de Corée du Nord impliqué dans le drame amené à occuper le coeur du film, et qui implique également des soldats du sud. Premier film à mettre en scène une amitié entre des soldats des deux camps, JSA (Joint Security Area) provoque l’émoi des Coréens et fait polémique chez les soldats sud-coréens.

Par la suite, Shin Ha Gyun rejoint de nouveau l’équipe de Jang Jin pour la comédie Guns and Talks avant de retrouver de nouveau Park Chan Wook et Song Kang Ho dans Sympathy for Mr Vengeance, autre chef d’œuvre à l’occasion duquel il nous livre une composition saisissante dans le rôle d’un sourd-muet. On le retrouvera quelques années plus tard chez Park Chan Wook à l’occasion d’une caméo dans Lady Vengeance, toujours aux côtés de Song Kang Ho. Entre temps, Shin Ha Gyun confirme son talent dans Save the Green Planet (Jang Joon Hwan) – qui lui a valu un Prix d’Interprétation au Pusan Film Awards 2003 –, croise à nouveau le chemin de Won Bin dans My Brother (Ahn Kwon Tae), et retrouve son ami Jang Jin dans The Big Scene (aussi intitulé Murder, Take One) et Welcome to Dongmakgol.

Jung Jae-Young

De son côté, Jung Jae-Young débute sa carrière cinématographique avec des petits rôles dans des films tels que The Adventures of Mr Park (Kim Tae Gyun), Green Fish (Lee Chang Dong) ou encore The Quiet Family (Kim Jee Woon). Considéré par les producteurs comme trop banal physiquement pour tenir un premier rôle sur le grand écran, le comédien consacre en réalité le plus clair de son temps à la scène au sein de la troupe de théâtre Suda. Jang Jin lui offre avec Guns and Talks son premier rôle important au cinéma, mais c’est surtout grâce à son personnage de tueur sans pitié dans No Blood No Tears (Ryu Seung Wan) qu’il va pour la première fois marquer le public. Ce personnage lui colle d’ailleurs à la peau au point de lui valoir l’étiquette d’acteur destiné à camper des hommes violents !

Par la suite, il obtient un petit rôle dans Sympathy for Mr Vengeance avant de revenir en force dans Silmido, gros succès public et critique traitant d’un fait historique réel – la mission suicide d’un commando d’anciens condamnés à mort envoyés au Nord en 1968 par la KCIA pour décapiter Kim Il Sung – et qui lui vaut un Prix du Meilleur Second Rôle Masculin au Blue Dragon Film Awards 2004. Il reçoit la même année un Prix d’interprétation au Busan Film Critic Awards pour son interprétation dans Someone Special de Jang Jin.

En 2005, Jung Jae Young s’internationalise en tournant à Hong Kong sous la direction de Arthur Wong (qui s’était notamment illustré en tant que directeur de la photographie sur des films tels que Crime Story ou Iron Monkey) dans Nine Beauties, aux côtés de Kelly Chen et Karena Lam. A nouveau salué par la critique pour sa prestation dans Welcome to Dongmakgol, Jung Jae Young est enfin passé du statut de figurant à celui d’acteur courtisé par les producteurs. Il tenait récemment le premier rôle dans Wedding Campaign (Hwang Byung Kuk), film de clôture du dernier festival de Busan et dans lequel il incarne un fermier qui parcourt l’Ouzbékistan afin de trouver une épouse.

Shin Ha Gyun et Jung Jae Young dans Welcome to Dongmakgol, de Park Kwang Hyun

Les carrières cinématographiques de Shin Ha Gyun et Jung Jae Young sont dorénavant bien installées mais les deux compères ne négligent pas la scène puisqu’ils poursuivent leur collaboration avec Jang Jin au sein de la troupe Suda. Fondateur d’une maison de production du nom de Filmitsuda, Jang Jin s’apprête à l’enrichir d’une branche théâtrale et recherche, à l’heure où ce texte est écrit, un complexe capable d’accueillir plusieurs représentations en même temps – une sorte de multiplexe théâtral, semble-t-il. La troupe Suda devrait y jouer non seulement les propres œuvres de l’auteur mais aussi celles d’autres talents ainsi que des œuvres occidentales.

Elodie Leroy

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