Ce thriller d’espionnage avec Han Suk Gyu et Kim Yoon Jin a bouleversé les standards de production du cinéma coréen.
ARCHIVE – En 1996, un joli film mêlant le fantastique et la romance et teinté d’une touche gothique est produit en Corée : Gingko Bed, réalisé par un certain Kang Je-Gyu. Le cinéma coréen ne bénéficie alors d’aucune diffusion en Occident, mais Gingko Bed traverse les frontières pour être projeté à Cannes. Trois ans plus tard, le même Kang Je-Gyu revient avec Shiri, un thriller d’espionnage qui deviendra le film emblématique du renouveau du cinéma coréen.
Shiri est le film qui a tout changé, sans lequel le cinéma coréen n’aurait jamais eu l’essor qu’il a connu dans les années 2000. Nous y retrouvons également une brochette d’acteurs aujourd’hui incontournables, de Han Suk Gyu à Kim Yoon Jin, en passant par Song Kang Ho et Choi Min Sik. Rien que ça.
Synopsis : Redoutable espionne nord-coréenne recherchée par les services secrets en Corée du Sud, Hee réapparaît après plusieurs années d’absence accompagnée d’autres terroristes. Pour l’agent Yu Jong Won (Han Suk Gyu), chargé de l’affaire, c’est le début d’une course poursuite sans merci qui aura des retentissements inattendus sur sa vie.
Premier véritable blockbuster coréen, Shiri annonce la couleur dès la première scène : des espions nord-coréens enragés mènent un entraînement barbare, une vision basée sur des témoignages véridiques. La suite est à l’avenant : tout au long du film, les scènes d’action s’avèrent maîtrisées, violentes, soutenues en cela par une réalisation et un montage percutants. On n’avait jamais vu ça en Corée du Sud.
A l’époque où le film sort sur les écrans, l’industrie produit principalement des mélodrames. Le genre du thriller a longtemps été interdit en Corée, en raison de sa tendance à dépeindre la société sous un jour pessimiste et négatif. La fin de la dictature en 1987 libère la parole dans les années 1990. A cette période émergent déjà plusieurs cinéastes de la nouvelle vague – au hasard, Park Chan Wook, Bong Joon Ho… – mais ils bénéficient encore de moyens réduits.
La politique culturelle initiée sous l’administration du président Kim Dae Jung, élu en 1998, apporte un nouveau souffle aux industries culturelles coréennes et aux nouvelles technologies. C’est le début de l’essor du cinéma coréen, mais aussi de la musique K-pop et des dramas coréens.
Sous l’œil occidental, Shiri fascine immédiatement par sa puissance dramatique, en plus de surprendre par le professionnalisme avec lequel sont réalisées les courses-poursuites, gunfights et autres affrontements ultraviolents. Le film mélange des ingrédients opposés : Shiri est à la fois un thriller d’action haut-de-gamme et une histoire d’amour tragique.
Agent nord-coréen sans pitié en infiltration, le personnage féminin évoque immédiatement Nikita (personnage qui a marqué en Asie, comme le démontrait en 1996 Beyond Hypothermia de Patrick Leung), pour sa capacité à se fondre dans le rôle de l’épouse parfaite. Il serait cependant réducteur de se limiter à cette vision pour appréhender Shiri. Le film de Kang Je Gyu parle aussi de la Corée, de ce pays cassé en deux, de la douleur d’une population dont les ennemis sont des frères et des sœurs, des parents ou des épouses.
Rappelons que nous sommes en 1999. Shiri est alors le premier film à dépeindre les Nord-coréens comme des personnes à part entière. L’épouse criminelle est interprétée par Kim Yoon Jin (de la série Lost), dont le personnage est finalement aussi émouvant qu’implacable lors de ses missions.
Son époux, qui la pourchasse sans le savoir, est incarné par Han Suk-Gyu (The President’s Last Bang), aussi charismatique que convaincant – il deviendra l’un des acteurs majeurs de l’industrie du cinéma, mais aussi des séries, comme le démontrera Dr. Romantic plus de quinze ans plus tard.
Aux côtés de ce duo de choc, nous retrouvons une concentration d’acteurs que l’on n’ose même plus rêver voir réunis dans un même film : le monumental Choi Min Sik (Old Boy), intense en terroriste brisé, mais aussi l’incontournable Song Kang Ho (Parasite, JSA (Joint Security Area)) dans le rôle du coéquipier, ainsi que Hwang Jung Min (Veteran) en enquêteur et Kim Su Ro (A Gentleman’s Dignity) en terroriste.
Avec ce film d’action emballé comme une production hollywoodienne, Kang Je-Gyu est le premier à évoquer explicitement le conflit entre les deux Corées dans un film au cinéma.
Le cinéaste Kang Je-Gyu ne s’arrêtera pas là puisqu’il réalisera quelques années plus tard Frères de Sang (avec Jang Dong-Gun et Won Bin), premier film de guerre coréen à mettre en scène la Guerre de Corée. Des années après, on constate encore l’énorme impact qu’a eu Shiri sur l’industrie du cinéma coréen, qui lui doit en grande partie son rayonnement actuel. Un must.
Elodie Leroy
Article actualisé le 24 janvier 2020.
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