My Liberation Notes dresse avec humour, finesse et poésie le portrait d’une génération de trentenaires en pleine crise existentielle. Découvrez notre critique.
A plus de trente ans, Yeom Mi Jung (Kim Ji Won), son frère Chang Hee (Lee Min Ki) et sa sœur Gi Jung (Lee El) vivent chez leurs parents dans un village de la province du Gyeonggi, et se rendent chaque jour à Séoul pour travailler. Chacun de leur côté, ils rêvent d’échapper à un quotidien terne qui ne leur offre aucune perspective. L’arrivée dans le voisinage de M. Gu (Son Suk Ku), un homme au passé mystérieux, va-t-elle changer la donne ?
Diffusé du 9 avril au 29 mai 2022 sur JTBC et disponible sur Netflix, My Liberation Notes a connu un joli succès en Corée du Sud, où ses ratings sont passés de 2,9 % à 6,7 % entre le premier et le dernier épisode. Il faut dire que l’histoire fait mouche sur les préoccupations d’une génération qui rêve de bonheur sans parvenir à définir ses aspirations. Porté par un casting savoureux, cette série pas comme les autres dresse les portraits attachants de jeunes gens en pleine remise en question et ravit par son écriture subtile, ses dialogues pleins de verve, mais aussi par sa réalisation très vivante, qui peint le réel pour faire jaillir une palette d’émotions d’une richesse rare. Notre coup de cœur de l’année 2022.
Crise de la trentaine
Les premières scènes de l’épisode 1 saisissent les trois protagonistes principaux, deux sœurs et un frère, dans une situation caractéristique de leur vie. Graphiste en entreprise, Mi Jung, la cadette, est une femme inhibée, qui a l’art de se faire ignorer par les autres. Ce jour-là, elle se laisse entraîner dans un dîner entre collègues qu’elle aurait préféré éviter. Gi Jung, la sœur aînée, déprime de rester célibataire et a tendance à parler sans réfléchir. Au restaurant avec ses amies, elle commet une énorme gaffe devant un père divorcé. Quant à Chang Hee, l’aîné de la fratrie, il vient de se faire larguer par sa copine, qu’il retrouve pour se disputer avec elle en pleine rue. En fin de soirée, épuisés émotionnellement, les deux sœurs et leur frère se retrouvent pour faire le trajet du retour ensemble, sans un mot.
Mi Jung, Gi Jung et Chang Hee ne sont pas des opprimés ni des victimes de la vie, mais de jeunes actifs ordinaires. Comme beaucoup d’employés de bureau à Séoul, ils n’ont pas les moyens de louer un appartement en ville et vivent en lointaine banlieue. Leur situation est néanmoins spécialement infantilisante, puisqu’ils habitent encore sous le toit de leurs parents. Ils sont aussi minés par une souffrance diffuse, qui bloque leur épanouissement personnel. Trop jeunes pour avoir connu les temps difficiles en Corée, mais suffisamment âgés pour avoir encaissé des blessures de la vie, ils se sentent enfermés dans une prison insidieuse, forgée par les pressions sociales et les échecs passés.
Les parents, deux agriculteurs et commerçants, ne sont guère plus épanouis, entre la mère qui ne cesse de critiquer ses enfants et le père qui reste muré dans son silence. En même temps, ils se font aider dans les champs pendant le week-end par leurs trois enfants.
L’arrivée de M. Gu va bousculer le train-train quotidien des Yeom, sans que ces derniers ne le voient venir. Comme nous, d’ailleurs. Car lorsque nous faisons connaissance avec eux, il est déjà présent, parmi eux, pour leur prêter main forte dans les champs et aider M. Yeom dans son commerce d’éviers. Impénétrable, il ne décroche pas un mot et paraît hanté par une mélancolie sourde, qu’il noie chaque soir dans l’alcool. Une demande surprenante de Mi Jung l’extrait de son apathie et le rapproche de la jeune femme.
Petits conflits du quotidien
On connaissait le talent du réalisateur Kim Suk Yoon (The Light in Your Eyes, Listen To Love) pour faire naître l’émotion en filmant le réel. Il est au sommet de son art dans My Liberation Notes. Reposant sur un style naturaliste, notamment dans sa manière de saisir la dynamique familiale, la réalisation distille un charme habituellement réservé au cinéma d’auteur en s’accordant au rythme des personnages pour nous faire ressentir leurs désirs et leurs frustrations. Elle s’autorise également des moments plus lyriques, soutenu en cela par une bande son soignée (My Liberation Notes de Choe Jeong In, Here We Are de Kim Feel).
Kim Suk Yoon bénéficie d’un matériau en or avec le scénario de Park Hae Young (My Mister, Another Miss Oh), qui aborde ses personnages avec un mélange de tendresse et d’humour, le tout agrémenté de dialogues finement écrits dont on se délecte à chaque scène.
Le contraste entre les conditions de vie rudes de la campagne, que le réalisateur filme de manière sensorielle (le travail agricole, notamment), et le lifestyle moderne et bruyant de Séoul est au cœur du drama. Chaque jour, les personnages effectuent un va-et-vient entre ces deux mondes, des déplacements rituels qui les ramènent constamment à la case départ, cette maison parentale qu’ils ne parviennent pas à quitter. Le générique du début consiste d’ailleurs en une succession de scènes animées montrant la fratrie voyager en bus, en métro ou en taxi. Leur mal-être est illustré par la métaphore amusante de Chang Hee, qui compare le Gyeonggi à un blanc d’œuf, tandis que Séoul serait le jaune d’œuf.
Séoul est pourtant loin d’être présenté comme un paradis sur terre. Comme c’était déjà le cas dans My Mister, la vie en entreprise est dépeinte comme un monde ennuyeux et sans saveur, dans lequel chacun est prié de rentrer dans le moule. L’injonction reçue par Mi Jung de s’inscrire à un club d’activité extraprofessionnelle proposé par son entreprise traduit à la perfection ce conformisme pesant.
Sans céder à la facilité de dramatiser les situations, le drama fait ressortir avec acuité les souffrances engendrées par les petits conflits du quotidien inhérents au monde du travail – les critiques du travail de Mi Jung par son patron jaloux, qui confinent au harcèlement moral, les remarques dévalorisantes encaissées par Gi Jeong de la part d’une collègue, l’irritation de Chang Hee envers une voisine de bureau envahissante.
Club de la libération
Si la direction d’acteurs de Kim Suk Yoon porte attention à chaque détail, le casting est aussi pour beaucoup dans la réussite de My Libération Notes et l’on se prend d’ailleurs d’affection pour chaque personnage.
Mi Jung est notre point de vue de référence, celle dont les monologue intérieurs défilent en voix-off, alors qu’elle parle finalement très peu. L’actrice Kim Ji Won, qui montrait déjà son aisance dans le style réaliste avec Fight For My Way et surtout Lovestruck in the City, aborde avec une sensibilité touchante le personnage de cette jeune femme renfermée qui va peu à peu se reconnecter à ses propres émotions. De manière surprenante, c’est elle qui donne l’impulsion du changement dans son entourage, d’abord en embarquant des collègues de travail dans son projet de « club de la libération », où échouent les introvertis qui peinent à s’intégrer, ensuite en entamant avec M. Gu une relation singulière, à la fois libre et imprévisible.
Le mystérieux M. Gu est le personnage romantique de cette histoire, celui dont l’histoire personnelle amène une pincée de thriller dans le drama. Il est interprété par Son Suk Ku, dont la popularité a été boostée en 2022 simultanément par My Liberation Notes et le film The Roundup – le second est sorti en salles alors que le premier était en cours de diffusion.
Avec son regard perçant, Son Suk Ku est l’homme de la situation pour camper ce personnage discret mais charismatique. Son jeu d’acteur exploite tous les ressorts du langage non verbal pour exprimer les émotions contenues de M. Gu, dont on se surprend à guetter la moindre expression, comme le fait Mi Jung. Au passage, la scénariste Park Hae Young confirme son goût pour les personnages introvertis à l’extrême – le personnage d’IU dans My Mister était aussi une femme de peu de mots.
Le caractère de Gi Jung est à l’opposé de celui de sa sœur. Râleuse dans sa famille et maladroite dans ses relations amoureuses, elle apparait au premier abord comme une loser qui aurait besoin de clamer ses insuffisances sous tous les toits – l’anecdote qui lui vaut le surnom de « ramasseuse » vaut son pesant d’or. Interprétée avec beaucoup d’humanité par Lee El (When The Devil Calls Your Name), qui trouve toujours le bon dosage entre comédie et authenticité, Gi Jung révèle ses failles et sa sincérité au fil d’une histoire d’amour compliquée avec un père célibataire prisonnier d’un sentiment de culpabilité.
Quant à Lee Min Ki (The Lies Within), il est excellent dans le rôle de Chang Hee, grand enfant à la fois bien inséré dans le monde professionnel et immature dans ses relations amoureuses et familiales. On perçoit très vite le rôle-clé joué par son conflit avec son père dans ses difficultés à s’affirmer dans la vie, mais aussi les blocages intérieurs qu’il doit surmonter par lui-même. Ainsi, son personnage illustre à merveille la manière dont la perpétuation du cocon familial empêche un adulte de prendre son envol. L’acteur parvient à nous faire ressentir les frustrations de Chang Hee, tout en rendant irrésistiblement drôle et attachant ce bavard invétéré un brin psychorigide.
Les acteurs secondaires ne sont pas en reste, de Cheon Ho Jin (Save Me 2) et Lee Kyung Sung (Missing), tellement crédibles dans les rôles des parents ancrés dans la vie campagnarde, à Jeon Hye Jin (Mother) dans celui de Hyun-A, l’amie intrigante de Mi Jung, en passant Lee Ki Woo (18 Again), touchant dans le rôle du petit ami de Gi Jung, et Jung Soo Young (Uncle), qui interprète sa sœur toxique.
My Libération Notes laisse l’impression agréable d’avoir fait un bout de chemin avec cette famille et leur entourage, avec la satisfaction d’avoir vu les personnages évoluer, sortir de leur coquille ou se reconnecter les uns aux autres. On retient également des moments de pure magie cinématographique survenant ici et là, nous prenant souvent par surprise, comme cette scène libératrice qui clôture l’épisode 4 – M. Gu sautant par-dessus un fossé pour récupérer le chapeau de Mi Jung. Rien que pour ce mélange de vérité, d’émotion et de poésie, My Liberation Notes nous touche droit au cœur.
Elodie Leroy
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