Ce thriller corĂ©en ultraviolent a crĂ©Ă© la controverse en CorĂ©e, et ce n’est pas pour rien : il nous a littĂ©ralement Ă©cĆurĂ©es par sa misogynie. Coup de gueule.
RĂ©alisĂ© par Park Hoon Jung, V.I.P. a choquĂ© le public corĂ©en lors de sa sortie en 2017 en raison du traitement dĂ©gradant rĂ©servĂ© aux femmes. Si la polĂ©mique se justifie pleinement, nous avons malgrĂ© tout laissĂ© une chance Ă ce thriller avec Jang Dong Gun et Lee Jong Suk, en lâĂ©valuant sur ses qualitĂ©s artistiques. Le verdict nâest guĂšre concluant. Les quelques scĂšnes choquantes qui habillent ce Ă©niĂšme thriller ultra masculin Ă la corĂ©enne cachent une autre rĂ©alitĂ©, celle d’un scĂ©nario d’une incroyable vacuitĂ©.
Synopsis : Un tueur en sĂ©rie venu de CorĂ©e du Nord, Kim Kwang Il (Lee Jong Suk), sâinstalle en CorĂ©e du Sud et devient le principal suspect dâune sĂ©rie de meurtres de femmes. ChargĂ© de lâenquĂȘte, lâinspecteur Cha Yi Do (Kim Myung Min) met tout en Ćuvre pour lâarrĂȘter, mais Kim Kwang Il bĂ©nĂ©ficie de soutiens imparables, Ă commencer par celui de Park Jae Hyuk (Jang Dong Gun), un agent des services secrets.
Polémique en Corée du Sud
Comment marquer les esprits et sâexporter dans quelques festivals avec un film creux et sans Ă©clat ? Avec V.I.P., Park Hoon Jung (New World) applique la recette miraculeuse : parsemez votre film de sĂ©quences froides et ultraviolentes, ajoutez quelques jets dâhĂ©moglobine en direction de la camĂ©ra dĂšs la premiĂšre sĂ©quence, et surtout, battez et humiliez toutes les femmes ayant le malheur de croiser le chemin des protagonistes, et le tour est jouĂ© !
En plus de maltraiter les femmes, que vous montrerez de prĂ©fĂ©rence dĂ©nudĂ©es, mais auxquelles vous nâaurez pas la dĂ©licatesse dâaccorder un nom ni une seule rĂ©plique intelligible, nâoubliez pas dâengager quelques acteurs de la nouvelle gĂ©nĂ©ration et de leur faire passer un sale quart dâheure. Par exemple Lee Jong Suk (While You Were Sleeping, W), dont le nom devrait aussi faciliter les levĂ©es de fonds.
V.I.P. a fait polĂ©mique pour de bonnes raisons et nous ne pouvons que saluer la rĂ©action saine du public corĂ©en, alertĂ© par la reprĂ©sentation dĂ©gradante des femmes dans le film, mais aussi par le traitement rĂ©servĂ© Ă des actrices dĂ©butantes face Ă des acteurs masculins bien installĂ©s et bien payĂ©s. Je mâinsurgeais dĂ©jĂ de cette tendance dans ma critique de Hwayi: A Monster Boy (Jang Joon Hwan), mais V.I.P. va encore plus loin dans la misogynie. TrĂšs loin.
Jâai comptĂ© le nombre de femmes dont le visage apparaĂźt Ă lâĂ©cran et elles sont trĂšs exactement au nombre de quatre, dont une nâest quâun cadavre dĂ©nudĂ© â pensĂ©e pour lâactrice qui a dĂ» rester dans cette posture au milieu de dizaines dâhommes ne tĂ©moignant aucune empathie. Seule la policiĂšre en uniforme qui apparaĂźt pendant quatre secondes aux deux tiers du film, le temps dâattraper un dossier sur une Ă©tagĂšre, est Ă©pargnĂ©e par ce regard pervers. Les autres ne sont que chair ruinĂ©e, expression de souffrance rĂ©signĂ©e.
Entre ces Ă©claboussures de sang et ces humiliations sexuelles de femmes, la rĂ©alisation de V.I.P. est plate et sans saveur, la direction de la photographie sans personnalitĂ©. Seules les sĂ©quences dâultraviolence bĂ©nĂ©ficient dâun rĂ©el soin visuel. La scĂšne de torture de lâĂ©coliĂšre nord-corĂ©enne, dont nous ne connaĂźtrons pas le nom comme je vous le disais plus haut (seul son pĂšre est nommĂ© !), est de loin la meilleure du film sur un plan purement visuel, du moins la seule dans laquelle le rĂ©alisateur tĂ©moigne dâune envie de faire quelque chose dâartistique avec sa camĂ©ra.
Lâautre scĂšne phare est la fusillade impliquant Jang Dong Gun (Arthdal Chronicles, FrĂšres de Sang) au dĂ©but du mĂ©trage, une scĂšne qui sera reprise presque Ă lâidentique Ă la fin du film â lâangle de vue change pour deux ou trois plans â avant que le climax sanglant, mais peu intĂ©ressant si lâon y rĂ©flĂ©chit, ne tente de marquer un dernier but.
Lee Jong Suk en psychopathe
Lâindigence du scĂ©nario de V.I.P. nâarrange rien Ă cette entreprise, malgrĂ© un propos pas si bĂȘte sur lâimpunitĂ© dont bĂ©nĂ©ficient les classes sociales privilĂ©giĂ©es, au nord comme au sud. En tant que scĂ©nariste, nous avons connu Park Hoon Jung plus inspirĂ© avec The Unjust (Ryu Seung Wan). Mais nous lâavons aussi connu tout aussi peu inspirĂ© avec le scĂ©nario de Jâai rencontrĂ© le diable (Kim Jee Woon), dont la misogynie Ă©tait comparable et lâintrigue sans grand intĂ©rĂȘt. Le film de Kim Jee Woon avait au moins le mĂ©rite dâĂȘtre visuellement saisissant.
Comme dans Jâai rencontrĂ© le diable, la caractĂ©risation des personnages se rĂ©duit au strict minimum. Le personnage de Jang Dong Gun sort du lot grĂące au charisme naturel de lâacteur, qui ne cherche pas Ă en faire des caisses pour avoir lâair dâun dur et parvient Ă transformer la vacuitĂ© dâĂ©criture de son personnage en touche de mystĂšre. Chapeau !
Kim Myung Min (A New Leaf) et Park Hee Soon (Missing Noir M) nâont rien Ă se reprocher, mais leurs rĂŽles insipides ont dĂ©jĂ Ă©tĂ© vus mille fois auparavant. Quant Ă Lee Jong Suk, il fait du bon travail dans un registre radicalement diffĂ©rent de lâimage romantique qui a fait son succĂšs, mais son rĂŽle de psychopathe ne parvient pas Ă susciter dâintĂ©rĂȘt au-delĂ dâune premiĂšre apparition rĂ©ussie.
V.I.P. est finalement victime, comme tant dâautres films avant lui, de son parti pris misogyne. A force de sâacharner Ă exclure les femmes de toute intervention dans lâintrigue, le monde dĂ©peint dans cette sombre histoire manque singuliĂšrement de relief. PrivĂ©s de toute interaction avec lâautre sexe, enfermĂ©s dans un entrisme masculin qui atteint mĂȘme la tranche dâĂąge des acteurs (on sent un dĂ©goĂ»t des jeunes), les personnages du film paraissent unidimensionnels et inaboutis.
Le thriller noir coréen en crise ?
Il est loin, le temps de The Chaser (Na Hong Jin) et Man From Nowhere (Lee Jeong Beom) ! Ces thrillers Ă©taient certes des films dâhommes, mais portaient un regard humain sur les personnages fĂ©minins en leur associant une identitĂ©, une histoire. Tout ce qui manque dans V.I.P, et qui aurait pu rendre lâexpĂ©rience acceptable.
V.I.P. ne susciterait peut-ĂȘtre pas une rĂ©action aussi Ă©pidermique sâil sâagissait dâun film ovni. Le problĂšme est que ce regard dĂ©nuĂ© dâhumanitĂ© sur les femmes est caractĂ©ristique dâune certaine mouvance des thrillers noirs qui rĂšgne dans le cinĂ©ma corĂ©en depuis le dĂ©but des annĂ©es 2010. De maniĂšre intĂ©ressante, câest prĂ©cisĂ©ment Ă cette pĂ©riode que le genre a Ă©mergĂ© sur le petit Ă©cran sur les chaĂźnes du cĂąble comme OCN.
V.I.P. est une preuve de plus, pour les aficionados de fictions corĂ©ennes, de la nĂ©cessitĂ© de revoir ses standards Ă la hausse en se tournant vers le petit Ă©cran. Je vous recommande lâexcellente saison 1 du drama Voice, thriller noir Ă suspense dans lequel deux policiers tentent aussi de faire tomber un assassin V.I.P. aux mĂ©thodes retorses et dont lâĂ©criture et lâinterprĂ©tation sont autrement plus fascinantes.
Elodie Leroy
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