Le drama coréen The Worst of Evil

Critique: The Worst of Evil, un polar noir qui prend aux tripes

Sombre, captivant et superbement produit, The Worst of Evil se hisse à la hauteur des classiques du genre Undercover et offre à Ji Chang Wook l’un des meilleurs rôles de sa carrière.

Séoul, 1994. Park Jun Mo (Ji Chang Wook) est un officier supérieur de police de patrouille de province dévoué, mais il se fait constamment rabaisser par la famille de son épouse Yoo Eui Jeong (Im Se Mi), future membre d’élite de la Division de la Sécurité de la police métropolitaine de Séoul. En raison de ses qualités athlétiques et de son relatif anonymat, il est recruté par la police de Séoul pour infiltrer un gang du quartier de Gangnam, qui est soupçonné d’être au cœur d’un trafic de drogue international impliquant la Chine et le Japon.

Pour ce faire, Jun Mo se rapproche du nouveau boss, Jung Gi Cheul (Wi Ha Joon), sans savoir que celui-ci est aussi le premier amour de sa femme. La situation prend un tour encore plus périlleux lorsque le chef de la police décide d’envoyer également Eui Jeong en mission secrète auprès de Gi Cheul. De plus en plus impliqué dans le gang, Jun Mo se retrouve bientôt en négociation pour une livraison de drogue avec Lee Hae Ryun (BIBI), une séduisante cheffe de gang sino-coréenne.

Diffusé sur Disney+ entre le 27 septembre 2023 et le 25 octobre 2023, The Worst of Evil (Aux côtés du Mal, en VF) possède les qualités formelles d’un film de cinéma tout en utilisant à plein les possibilités offertes par la narration télévisée, s’imposant comme l’un des fleurons coréens de la plateforme américaine, à l’instar de Moving, Big Bet ou encore Shadow Detective.

Quand on pense au genre du polar undercover, plusieurs titres viennent immédiatement à l’esprit, de Reservoir Dogs (Quentin Tarantino) à Infernal Affairs (Andrew Lau, Alan Mak) et son remake américain The Departed (Martin Scorsese), en passant par le drama coréen Time Between Dog and Wolf (Kim Jin Min).

Sur le principe, The Worst of Evil rappelle plutôt le film américain Donnie Brasco (Mike Newell), sorti en 1997, où l’on suit un agent du FBI en infiltration dans l’une des grandes familles de la mafia de New York à la fin des années 1970. Comme celui-ci, il dépeint avec réalisme le milieu des gangsters à travers une belle reconstitution historique, en l’occurrence celle du quartier chaud d’Akpujeong au début des années 90. Le contexte, jusqu’à présent peu exploré dans les dramas coréens, est celui de la montée en puissance économique de la Corée du sud et de l’explosion simultanée de la criminalité en bande organisée en lien avec l’étranger.

Ji Chang Wook / © Disney

On retrouve aussi dans The Worst of Evil l’ambiance des gangs d’amis qui se connaissent depuis 20 ans et oscillent constamment entre loyauté et rivalité, à mesure que le paysage hiérarchique évolue autour d’eux. Le parrain est loin, inaccessible pour la plupart des malfrats, sauf pour Jung Gi Cheul qui tient à démontrer son ambition.

The Worst of Evil se démarque cependant de la plupart des œuvres du genre par la fraicheur de son approche, une caractéristique due notamment à la jeunesse de ses personnages, qui ont presque tous dans la trentaine. Ce critère a d’ailleurs largement participé à convaincre les acteurs Ji Chang Wook et Wi Ha Joon de choisir ce projet. L’intrusion de l’épouse du héros dans l’intrigue policière apporte également une touche d’originalité et de romantisme dans cette ambiance résolument virile.

D’un point de vue formel, le réalisateur Han Dong Wook a confié s’être inspiré de l’esthétique des polars de Hong Kong des années 80-90, caractérisée par une image léchée et l’omniprésence de néons, mais il y ajoute un aspect granuleux qui est inhabituel dans les dramas et accentue le côté brut de l’ensemble. L’atmosphère est rehaussée par une bande originale accrocheuse dont on retient particulièrement le titre de fin rétro et entêtant « Worst of Evil ».

Im Se Mi / © Disney

Les inspirations de The Worst of Evil sont multiples, mais elles sont parfaitement digérées par le réalisateur qui insuffle à sa série une identité et un ton propres. Il faut dire que même s’il a seulement dirigé un film – un mélodrame romantique intitulé When a Man Loves a Woman –, il connait son sujet pour avoir été assistant réalisateur (et parfois même figurant) sur de nombreux films noirs, parmi lesquels The Unjust de Ryu Seung Wan et Nameless Gangster de Yoon Jong Bin.

Cette expérience transparait à travers sa faculté à gérer simultanément un grand nombre de personnages à l’écran tout en parvenant constamment à les individualiser. A ce titre, les scènes d’affrontement durant lesquelles Park Jun Mo et Jung Gi Cheul combattent au milieu de la mêlée forcent particulièrement l’admiration, qu’elles soient teintées d’humour (la bagarre dans l’immeuble de l’épisode 1) ou de sauvagerie (le règlement de compte sanglant de l’épisode 8). Le directeur des cascades Kwon Ji Hoon a d’ailleurs expliqué que ces scènes avaient nécessité plusieurs mois de préparation.

Wi Ha Joon / © Disney

De manière intéressante, la configuration des scènes d’action de groupe reflète l’ambiance paranoïaque de The Worst of Evil, où les protagonistes principaux ont rarement le luxe d’être seuls. Qu’il soit sous la surveillance des hommes de main de Gi Cheul ou de ceux de Hae Ryun, Jun Mo est contraint d’être constamment sur le qui-vive de peur d’être démasqué. Ironiquement, la situation du mafieux Gi Cheul se rapproche peu à peu de la sienne dès lors qu’il décide de cacher à ses hommes de main sa relation avec une policière. Quant à Eui Jeong, elle doit faire mine d’accepter les sentiments de Gi Cheul – elle prétend être divorcée – tout en jouant l’indifférente devant son mari en difficulté.

Le sentiment claustrophobique qui émane du drama est encore alimenté par la quantité phénoménale de fumée de cigarette répandue à l’écran par l’ensemble des personnages à chaque épisode.

Le scénariste Jang Min Suk, connu notamment pour le film Secret Reunion, réussit à maintenir un suspense redoutable jusqu’au dénouement, très cohérent, et ce, sans jamais négliger les personnages, à l’exception peut-être de Eui Jeong qui aurait mérité davantage de développement.

Ji Chang Wook / © Disney

La tension qui parcourt la série est cependant impulsée avant tout par Ji Chang Wook, dont la performance viscérale s’impose comme l’une des plus marquantes de sa carrière. Après Lovestruck in the City et The Sound of Magic, l’acteur revient avec The Worst of Evil vers le genre qui a fait sa popularité, celui de l’action, mais le rôle ne ressemble en rien aux précédents.

Le regard aux aguets, la démarche nerveuse, il opère une véritable transformation tout au long de l’intrigue, à mesure que le flic sans histoire prend goût à jouer les caïds arrogants, puis les gangsters de haut vol, quitte à perdre pied. L’une des forces de son jeu est de parvenir à entretenir une ambigüité croissante autour de la nature même des conflits intérieurs de son personnage, comme dans cette scène de l’épisode 4 où Jun Mo, encore bouleversé par la perte d’un proche, demande contre tout attente à Gi Cheul de le promouvoir dans l’organisation, surprenant également le spectateur qui croyait l’avoir cerné.

Face à lui, Wi Ha Joon campe un Jung Gi Cheul déroutant, aussi calme et direct que Park Jun Mo apparait rugueux et mystérieux. Wi Ha Joon a su évoluer en quelques années du second rôle romantique (Romance Is a Bonus Book) vers des rôles exploitant son charisme et ses capacités physiques (Squid Game), mais il montre une dimension supplémentaire dans The Worst of Evil, conférant à son personnage de gangster dangereux un capital de sympathie qui nous empêche de le détester.

Yoon Kyung Ho face à Wi Ha Joon
Yoon Kyung Ho face à Wi Ha Joon / © Disney

L’alchimie entre les deux acteurs met en évidence la relation complexe de leurs personnages, à la fois antagonistes et fascinés l’un par l’autre, différents dans leur parcours et semblables dans leur sentiment de ne pas être à leur place.

On remarque en effet que Jun Mo fait preuve d’une assurance insoupçonnée dès sa première rencontre avec le puissant chef de gang. Il n’aura de cesse ensuite de déployer de nouveaux talents, mais ne pourra le faire que sous une autre identité. Quant à Gi Cheul, il n’est pas devenu gangster par vocation, et malgré son parcours dans la mafia, il semble regretter la vie normale qu’on lui a volée.

Eui Jeong a épousé Jun Mo, et découvre au cours de l’enquête qu’elle a gardé une affection pour Gi Cheul, qui est son premier amour. Ses actions apparaissent en conséquence de plus en plus ambiguës au fur et à mesure de l’intrigue. Enfin, Ha Ryun, l’héritière du lot, doit poursuivre l’action de son père, mais se rend compte au contact de Jun Mo que ses aspirations personnelles sont sans doute autres.

BIBI / © Disney

Si Im Se Mi, que l’on a vue en 2023 dans Duty After School, livre une prestation honnête en flic infiltrée, la novice BIBI finit peu à peu par lui voler la vedette, aidée il faut dire par un personnage plus sulfureux. Chanteuse à succès ayant débuté l’année dernière dans le film Hopeless, BIBI, de son vrai nom Kim Hyung Seo, crée la surprise avec une interprétation pleine d’ironie et une présence très affirmée. Et même s’il lui reste à travailler certains points, comme la diction, elle montre qu’elle a l’étoffe d’une future bonne actrice.

Avec sa profusion de personnages, The Worst of Evil compte aussi des seconds rôles exceptionnels, qui font beaucoup pour la densité de chaque épisode. Parmi ceux-ci, on retient particulièrement Im Seong Jae (D.P. saison 2), absolument brillant dans le rôle du bras droit soupçonneux de Gi Cheul, et Yoon Kyung Ho (Vigilante), à la fois drôle et inquiétant dans la peau d’un flic pot de colle et tête à claques. Enfin, Ji Seung Hyun (My Dearest) laisse une empreinte tenace dans le rôle du collègue de Jun Mo, qui est aussi son point d’attache à la réalité.

Le réalisateur Han Dong Wook a laissé entendre non sans humour que Ji Chang Wook lui avait suggéré une idée de suite potentielle à The Worst of Evil. Même si la série se suffit à elle-même, on ne peut pas s’empêcher d’espérer que cette idée fera son chemin.

Caroline Leroy

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